Philippe Chalmin est économiste et spécialiste des questions pétrolières. Professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine, il est fondateur du Cercle Cyclope, qui publie un rapport annuel sur l’état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières. Il revient pour Techniques de l’Ingénieur sur les causes et les conséquences de cette crise au niveau mondial.
Techniques de l’Ingénieur : Le prix du baril de Brent est à son plus bas depuis 2002. Pourquoi ?
Philippe Chalmin : Depuis les frappes américaines sur l’Iran en janvier, le prix du baril de Brent est resté dans la zone des 50-55 dollars. Début mars, lors d’une réunion de l’OPEP+, les pays de l’OPEP proposent de réduire la production pour soutenir les prix. Ils veulent réduire de 1,5 million de barils par jour pour les pays de l’OPEP et de 500 000 barils par jour pour la Russie. Le lendemain, les Russes refusent et annoncent maintenir leur production. Mohamed Bin Salman, le prince héritier d’Arabie Saoudite, décide alors de casser le marché et ouvre les vannes. En quelques jours, le baril passe de 55 dollars à 25 dollars. Le baril n’a pas été aussi bas depuis 2002.
Qu’est-ce que cela implique alors que surgit une crise mondiale liée au coronavirus ?
La stratégie saoudienne peut se comprendre, mais elle intervient au moment où la crise du coronavirus devient mondiale. Des activités entières sont paralysées, la demande de pétrole au niveau mondial va s’effondrer à partir du mois de mars. Plusieurs experts anticipent des baisses de la demande mondiale. Les estimations qui tournent prévoient une baisse entre 5 et 10 millions de barils par jour, alors que la production journalière mondiale tourne autour de 100 millions de barils.
Ajoutez à cela le fait que les Saoudiens comptent augmenter leur production de 9,7 à 12 millions de barils par jour en avril. Pour leur part, les Emiratis augmenteront leur production de 500 000 barils. La Russie, en réaction, va aussi augmenter sa production pour tenir tête. Le résultat est qu’au moment où la demande va diminuer de 5 à 10 millions de barils par jour, l’offre va augmenter de 3 millions de barils par jour. A priori, nous allons donc nous retrouver avec un excédent mondial pouvant peser 10 millions de barils par jour, c’est-à-dire 10 % du marché mondial. À ce niveau-là, les prix vont continuer à baisser. Donald Trump a dit qu’il se tenait prêt à intervenir « au moment opportun » dans cette guerre des prix, mais là encore, personne ne sait ce que cela signifie.
Quelles peuvent être les conséquences au niveau mondial ?
Beaucoup de raffineries vont soit fermer, soit entrer en maintenance. La baisse est un sacré cadeau pour tous les pays en développement importateurs comme l’Inde. Au-delà, cela va impliquer une crise majeure pour tous les pays exportateurs. Les pays producteurs définissent l’équilibre de leur budget sur un prix du baril. Pour la Russie, c’est 42 dollars, pour l’Algérie 109 dollars et pour l’Arabie Saoudite 83 dollars. À 30 dollars le baril, l’Arabie Saoudite a un déficit budgétaire de 22 %. Cela représente 170 milliards de dollars de déficit. Le pays dispose d’un fonds souverain de l’ordre de 500 milliards de dollars, mais cela risque de ne pas être totalement suffisant.
Malgré la crise, la Chine a plutôt maintenu ses importations de pétrole pour l’instant. Si le pays a augmenté ses stocks stratégiques, il dispose aussi d’une grosse activité de raffinage et réexporte de nombreux produits raffinés. Il devient en plus intéressant pour les entreprises de négoces d’acheter du pétrole et de le stocker pour le revendre plus tard. La Chine a ainsi importé 10,7 millions de barils par jour en décembre, 10,4 en janvier et il semblerait qu’elle importerait encore 10 millions de barils par jour en mars. Rappelons que le confinement n’a pas été total en Chine. La production industrielle en Chine a diminué de 13 % sur janvier et février, mais le pays a maintenu ses importations, aussi sur les autres matières premières : fer, métaux non ferreux…
Propos recueillis par Matthieu Combe
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