Co-développée par l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’agence spatiale russe Roscosmos, ExoMars 2020 se promet de trouver sur Mars des signes de vie passée. Alors que le lancement de la mission était prévu pour juillet 2020, les deux agences spatiales en charge ont annoncé ce 12 mars son report pour 2022. Les raisons derrière cette décision : des difficultés techniques et l’épidémie du nouveau coronavirus Covid-19, rapporte l’AFP. À terme, la mission devra atterrir dans le bassin martien Oxia Planum.
Avec ExoMars 2020, “il y a beaucoup d’espoir”, note Frances Westall, directrice de recherche responsable du groupe Exobiologie au CNRS d’Orléans. La chercheuse a co-piloté le développement de la caméra rapprochée Clupi embarquée sur le rover “Rosalind Franklin” qui fera le voyage dans le cadre de cette mission. Les technologies intégrées au rover suscitent un optimisme inédit. Même s’il faudra creuser un peu pour y arriver ! Et pour cause… “De puissants rayons UV atteignent la surface de Mars et détruisent les molécules organiques, ne laissant que des molécules organiques extrêmement dégradées, détaille Frances Westall. Pour essayer de trouver des molécules organiques qui ne sont pas dégradées, le rover va forer jusqu’à 2 mètres en-dessous de la surface. Nous avons en effet construit des modèles et réalisé des expériences qui nous ont permis de démontrer que les effets des radiations et des oxydants sont négligeables à cette profondeur”.
Les oxydants qu’évoque Frances Westall sont les perchlorates. Et ce n’est pas tout, pour pouvoir analyser l’échantillon collecté, les instruments de mesure embarqués doivent le chauffer et le broyer ! En effet : “Les instruments à bord du rover doivent chauffer l’échantillon collecté afin d’analyser les molécules organiques, explique la chercheuse, d’abord par chromatographie en phase gazeuse, afin de les séparer, puis mesurer leur masse par spectrométrie de masse pour les identifier. Et quand les échantillons contenant du perchlorate sont chauffés, les molécules organiques seront dégradées”. Mais avant tout, “les instruments doivent broyer l’échantillon”, ajoute la géologue. Et c’est là que la caméra Clupi entre en jeu.
Des carottes martiennes immortalisées en 3D
“Clupi se comporte comme une loupe, souligne Frances Westall. Elle possède une résolution spatiale très performante de 15 microns par pixel à 10 centimètres, ainsi qu’un système d’autofocus mécanique qui permet la prise de 10 images à différentes profondeur de champ d’un même endroit pour les superposer ensuite et créer une image 3D et en couleurs. Grâce à cet appareil, nous pourrons réaliser des captures photographiques de l’échantillon avant qu’il ne soit broyé, pour bien documenter le contexte environnemental dans lequel les biosignatures seraient repérées.” Et qu’entend-on par “biosignatures” ? “Une biosignature est une signature physique, chimique ou minéralogique qui est en lien avec la vie ou un reste de vie, décrit la chercheuse. Il peut s’agir d’un tapis microbien minéralisé, de fossiles de bactéries, de minéraux précipités par des bactéries, etc…” Mais la géologue précise que sur Mars “il est plus probable de trouver des traces de matière organique que, par exemple, des fossiles bactériens”.
Or, toujours selon Frances Westall, la matière organique peut provenir de phénomènes abiotiques, qui ne sont donc pas liés à la vie. D’où l’importance d’étudier l’environnement dans lequel les traces de matières organiques auront été détectées : “Clupi nous permettra d’apercevoir des détails petits et rapprochés qui apportent des informations sur la composition des sédiments, comment ils se sont formés, quel en est la texture, poursuit la chercheuse. Supposons que par chance des bactéries fossilisées – sachant que leur fossilisation en elle-même est très rare – soient présentes dans la roche martienne : même si Clupi ne peut pas visualiser une bactérie individuelle, elle permettra de voir les colonies bactériennes”.
Autre indice du vivant : “Ce qui distingue les molécules de la vie est leur complexité et leur spécificité, remarque Frances Westall. La vie n’utilise pas une énorme variété de molécules. La vie est comme nous, paresseuse, il n’y a pas beaucoup de molécules organiques mais elles sont complexes ! Alors, même quand la matière organique a subi une dégradation, il est possible grâce à l’analyse, et à un certain plafond de dégradation, de repérer des motifs moléculaires indiquant que ces traces ne proviennent pas de processus abiotiques mais bien d’organismes vivants.”
NASA Mars 2020 : ramener des échantillons de Mars sur Terre
Cependant, les expéditions vers Mars ne devraient pas s’arrêter là. Comme l’affirme Frances Westall, l’idéal serait de rapporter sur la planète bleue des carottes de roche martienne afin de les analyser avec les instruments terriens, beaucoup plus performants que que ceux embarqués sur les rovers. Et la mission de la NASA Mars 2020, qui sera lancée en juillet 2020, s’engage sur cette voie : “Le rover (désormais appelé Perseverance, ndlr.) de la mission Mars 2020 va creuser à 10 centimètres de la surface martienne pour prélever des carottes rocheuses, continue la chercheuse. Le rover va préserver ces carottes dans des tubes puis relâcher ces derniers à la surface de la planète. Le plan est qu’une deuxième mission, menée par la NASA et l’ESA, récupère ces tubes à l’aide d’un petit robot développé par l’ESA. Le robot va stocker les tubes dans une sorte d’appareil en forme de sphère qu’il lancera ensuite en orbite pour qu’il soit repêché par une sonde spatiale afin de retourner sur Terre.”
Si le projet semble très ambitieux, il a ses désavantages : “La profondeur de forage est de 10 centimètres seulement, constate Frances Westall. À cette faible distance de la surface, les échantillons risquent d’être fortement dégradés. Et on ne pourra savoir ça que des années plus tard, puisqu’il faudra 5 à 10 ans avant que les tubes ne soient ramenés sur Terre”. Dans un monde parfait, sourit la chercheuse, “la meilleure des méthodes serait d’envoyer une géologue sur Mars”.
Crédit photo de une : NASA, ESA, et STScI
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