La tribologie, un mot employé pour la première fois en 1967 dans un rapport rédigé par le scientifique britannique Peter Jost, étudie les interactions entre deux surfaces en contact. Plus précisément, cette science s’intéresse aux phénomènes de frottement, mais aussi à l’usure des matériaux et à la lubrification. En 2017, Kenneth Holmberg, un chercheur finlandais, révèle qu’environ 23 % de la consommation énergétique mondiale est liée à la tribologie. En appliquant toutes les connaissances actuelles de ce domaine, il estime qu’il serait possible de réduire la consommation d’énergie dans le monde de 18 % à court terme (8 ans) et de 40 % à long terme (15 ans). Sur le plan environnemental, cette baisse représente près de 1,5 milliard de tonnes de CO2 par an à court terme et plus de 3 milliards à long terme. En se basant sur ces travaux, le Cetim a calculé que la France pourrait économiser l’équivalent de 1 à 3 % du PIB, soit environ 26 milliards d’euros par an, grâce à l’application des dernières connaissances en tribologie.
Techniques de l’Ingénieur s’est entretenu avec Yan-Ming Chen, expert référent tribologie, usure et frottements au Cetim. Il nous dévoile les dernières avancées technologiques de cette science.
Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les axes de la recherche actuelle de la tribologie ?
Yan-Ming Chen : Le premier concerne la lubrification. Depuis les années 1970, la recherche développe des lubrifications en régimes transitoires qui consistent à ajouter des additifs dans les huiles, comme des anti-usures ou des extrêmes-pressions. Au contact du métal, ces additifs vont provoquer une réaction et ainsi former une fine couche protectrice. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus aucun contact entre les aciers. Sur des voitures par exemple, il est ainsi possible de parcourir 10 voire 20 000 km entre deux vidanges et non plus 3 à 5 000 km. Par contre, il devient inutile de filtrer l’huile usagée puisque ces additifs ne sont plus actifs. Aujourd’hui, les pétroliers continuent à développer des huiles utilisant des combinaisons d’additifs. Les lubrifiants sont à présent plus stables, plus efficaces, moins polluants avec des quantités à utiliser moins élevées que dans le passé.
De nouveaux matériaux sont-ils utilisés pour réduire les frottements ?
Oui, il s’agit d’un autre axe de recherche. Depuis le milieu du 20ème siècle, une révolution métallurgique s’est produite avec l’arrivée de nouveaux alliages plus résistants à l’usure comme ceux à base de cobalt. Ils permettent de relever fortement le seuil de grippage entre deux matériaux, ce qui explique qu’il est possible de faire fonctionner des mécanismes au cœur des centrales nucléaires pendant 30 à 40 ans sans incidents majeurs. À présent, la recherche s’oriente vers le traitement des surfaces. Il devient inutile de fabriquer un matériau massif composé d’un alliage coûteux alors que seules les surfaces sont en contact. Nous ajoutons donc une couche aux endroits où la surface est en frottement. De nouvelles technologies de traitements de surface apparaissent comme le dépôt sous vide. La structure des matériaux utilisés devient de plus en plus fine avec l’emploi de nanomatériaux. Des matériaux à base de carbone ou de graphite et ses dérivés sont devenus courants. Par exemple, nous employons du fullerène, un matériau composé de boules de graphites, qui se comporte comme des billes avec une capacité à rouler et qui permet de réduire les frottements. Le graphène, composé d’une superposition de feuillets de carbone, a des propriétés très intéressantes également car ces feuillets glissent très facilement entre eux.
La recherche explore également d’autres domaines comme le biomimétisme ?
L’observation du monde du vivant apporte de nombreuses pistes de recherche. Les chercheurs ont par exemple constaté que la peau des requins est constituée d’écailles à deux dimensions qui vont créer des micros-turbulences et réduisent fortement la traînée, c’est-à-dire le frottement dans l’eau. Des maillots de bain ont donc été conçus avec une texture qui s’inspire de cette découverte. Dans le domaine militaire, cette observation a servi à la conception de nouveaux modèles de torpilles. Certaines peintures appliquées sur des avions imitent également la peau des requins et permettent une réduction de la traînée dans l’air de 10 à 15 %. La coquille Saint-Jacques intéresse aussi les chercheurs dans la conception de nouvelles coques de bateaux. Grâce à sa géométrie et à sa texture, il est possible de réduire la traînée dans l’eau d’environ 10 à 15 %. On observe notamment que les micro-organismes et algues se collent beaucoup moins à la coque de ces bateaux.
Décrivez-nous un exemple d’application de la tribologie dans l’industrie ?
Nous sommes intervenus sur une chaîne de conditionnement où des bouteilles circulaient sur un tapis métallique d’une centaine de mètres.
Plusieurs opérations étaient réalisées comme le remplissage des bouteilles, la pose des bouchons, le collage des étiquettes… Les galets, qui soutenaient la bande souple, ont dû être retirés suite à leur interdiction car leur présence favorisait un risque bactérien. Ils ont été remplacés par des patins mais cela provoquait plus de frottements avec la bande métallique. L’entreprise nous a alors demandé quelle était la rugosité optimale pour réduire ces frottements. Son intention initiale était de polir ces patins afin que la bande glisse plus facilement. Une telle action aurait au contraire provoqué plus de frottement à cause de l’effet ventouse. Nous avons procédé au fraisage, au sablage du tapis et des patins ainsi qu’utilisé divers procédés comme la tribofinition [techniques utilisées pour changer l’état de la surface et des arêtes des matériaux, NDLR] afin de modifier la rugosité de la surface et la rendre abrasive. Résultat : le coefficient de frottement a été divisé par deux, ce qui a fait baisser la consommation d’énergie de moitié. Toute l’installation étant placée dans une salle climatisée, des économies d’énergie ont aussi été réalisées sur la consommation des climatiseurs puisque les frottements génèrent moins de chaleur qu’avant.
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