Des bulles de savon chargées de pollen, lancées par un drone. Cette méthode de pollinisation ingénieuse, détaillée dans une étude récente, a été mise au point au Japon. Si des améliorations restent à faire, les résultats sont prometteurs. Décryptage.
Des grains de pollen suspendus dans une solution savonneuse. Faire des bulles serait-il la nouvelle alternative salutaire au déclin des populations d’abeilles ? « Notre but principal est de développer une technologie de pollinisation entièrement automatisée et qui permet de réduire la quantité de grains de pollen utilisés », explique l’auteur principal de l’étude publiée en juin dans iScience, Eijiro Miyako, chercheur au Japan Advanced Institute of Science.
Dans un premier temps, la pollinisation par l’intermédiaire de bulles de savon a été testée dans un verger de poiriers. Le choix s’est porté sur cet arbre fruitier car il représente un grand marché potentiel, mais aussi pour la facilité de travailler avec. Dans ces vergers, les températures sont basses, dissuadant les abeilles de s’y aventurer. « De plus, les abeilles frottent leur corps contre les fleurs quand elles récoltent le nectar et le pollen, ajoute le chercheur. Cela peut endommager les fleurs, et les fruits qui en résultent s’en trouvent mal formées ».
Polliniser des poires se fait donc traditionnellement à la main, délicatement, en utilisant des brosses à plumes, sphériques. Cette technique requiert 1 747 mg de grains de pollen au total. La technologie mise au point par les chercheurs ne nécessite elle que 165 mg de grains de pollen. Pour être encore plus précis, toujours selon l’étude : en appuyant une seule fois sur la détente, le jet contient seulement 3,2 mg de grains de pollen, ce qui signifie qu’une pollinisation via deux ou trois bulles de savon « ne consomme que 0,06 mg de grains de pollen ».
Environ 95 % des fleurs ciblées par les bulles ont été pollinisées, un taux égal à celui de la pollinisation manuelle. Seize jours après que les bulles à pollen se sont déposées sur les fleurs, ont poussé des poires tout aussi bonnes que celles observées après recours à la méthode classique. Attention cependant, il ne faut pas lancer plus de 10 bulles de savon : au-delà de ce nombre, les tubes de pollen formés sont plus courts que la normale, « ce qui peut être attribué à l’accumulation de la solution, provoquant un effet toxique pour les grains de pollen et/ou les pistils« , peut-on lire dans l’étude. Près de 2000 grains de pollen voyagent par bulle.
Vers des tensioactifs comestibles plus eco-friendly
Avant de réaliser ces expériences, il fallait en effet trouver la meilleure composition pour la solution savonneuse qui contiendrait le pollen. Cinq agents de surface (appelés également tensioactifs ; des composés qui modifient la tension superficielle entre deux surfaces) ont été testés. Lors de la formation de la bulle, les microparticules de pollen sont aspirées dans sa membrane, une bicouche moléculaire qui doit sa structure notamment à la présence du tensioactif. « Le meilleur a été l’agent de surface électriquement neutralisé », remarque Eijiro Miyako. Il s’agit du tensioactif A-20AB, à une concentration de 0,4 %, également appelé lauramidopropyl betaïne, et avec lequel le taux de germination du pollen a été le plus élevé. Le chercheur poursuit : « La solution est respectueuse de l’environnement et l’agent de surface est biocompatible. Les poires obtenues par cette pollinisation ont poussé dans des conditions optimales. Je suis donc certain que les composés chimiques employés sont sans danger. Cela dit, leur élimination dans l’environnement s’accompagnerait d’une dégradation difficile et pourrait engendrer leur accumulation. Alors, en vue des pollinisations futures, nous sommes en train d’essayer différents agents de surfaces eco-friendly et comestibles. Les tests sont presque finis, et nous sommes impatients d’en voir les résultats. » Eijiro Miyako a par ailleurs déclaré à l’AFP être « en discussion avec une entreprise pour une future commercialisation de [sa] technique« .
Le drone entre en scène
Les essais ne se sont pas résumés à un pistolet à bulles. Une machine à bulles a de plus été embarquée sur un drone. Les cobayes pour ces tests étaient cette fois-ci des fleurs de lys artificielles. « Nous avons utilisé un drone, disponible sur le marché, qui est autonome et est contrôlé grâce à un GPS en utilisant Google Maps, raconte Eijiro Miyako. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi ce drone plutôt qu’autre chose. Mais je serais curieux de tester d’autres robots à l’avenir ».
Le drone pollinisateur équipé d’une machine à bulles, en pleine action /Eijiro Miyako
Le drone survole les fleurs artificielles à deux mètres de hauteur et les couvre de bulles grâce à la machine dont il est équipé, à raison de 5 000 bulles lancées par minute. Le taux de succès maximum a été de 90 %. En revanche, des difficultés techniques se sont vite présentées. « Pour le moment, le recours à un prototype de pollinisation artificielle – ici, un drone robot – vaporisateur de bulles a généré de grandes pertes, déplore le chercheur, car la plupart des bulles de savon ont raté les fleurs cibles. Pour l’instant, le drone est incapable de reconnaître ses cibles ; afin de permettre cela, nous avons besoin de techniques supplémentaires ». Il conclut sur une note optimiste : « Je crois que des technologies davantage innovantes, comme les techniques de pointe de localisation et de cartographie, de perception visuelle, de planification du parcours [de vol, NDLR], de contrôle du mouvement, et de manipulation, seront essentielles pour développer à grande échelle la pollinisation robotique autonome et de précision. Avec des collègues, nous avons commencé à travailler là-dessus. » La recherche continue en ce sens.
Image de une : Illustration montrant la pollinisation d’une fleur par une bulle chargée de grains de pollen /Eijiro Miyako
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