Le facteur de charge du parc électro-nucléaire français a été de 75,2 % durant l’année 2015. Une production annuelle de 416,8 TWh pour une puissance de 63,13 GW, selon RTE (2015). Celui de l’éolien s’est élevé à 24,3% (2129 heures équivalent pleine puissance), toujours selon RTE. En région PACA, il a atteint 16,8% (niveau le plus élevé du pays) pour le solaire PV, contre 10,8% en Ile de France (niveau le plus faible). Soit une valeur moyenne entre ces deux extrêmes de 13,8% (1208 heures équivalent pleine puissance).
Certains commentateurs d’ancienne école, notamment dans le milieu pro-nucléaire, s’empressent alors de conclure que dépasser un quart d’éolien dans un mix électrique serait impossible. Et que le nucléaire serait donc incontournable dans une perspective de limitation du recours aux combustibles fossiles nuisibles sur le plan climatique. Il s’agit d’une erreur majeure d’un point de vue théorique. Mais aussi d’un point de vue concret compte-tenu du déphasage avec ce qui est observé dans le monde réel.
Flexibilité
Dans le cadre d’une longue interview pour le média allemand Tagesspiegel, Boris Schucht, directeur de l’opérateur du réseau 50Hertz, siffle la fin de la récré: « 80% de renouvelables ce n’est pas un problème » affirme sans ambages ce spécialiste. 50Hz n’est pas un petit joueur. Il dessert 18 millions de personnes. C’est l’un des réseaux électriques les plus performants d’Europe. « 50Hz coordonne les interactions de toutes les parties prenantes du marché de l’électricité dans les états fédéraux de Berlin, Brandenbourg, Hambourg, Mecklenbourg-Poméranie occidentale, Saxe, Saxe-Anhalt et Thuringe » peut-on lire sur le site officiel de l’opérateur.
« Notre zone de réseau couvre environ un tiers de l’Allemagne (au nord et à l’est du pays ndlr). L’année dernière, la part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité a été calculée à 49,5% » rappelle Boris Schucht. Voilà des données non pas théoriques mais issues du terrain, du monde réel. « Il y a quelques mythes dans l’industrie de l’énergie » explique avec pédagogie l’expert. « L’un d’eux est l’idée que l’intégration des énergies renouvelables requiert immédiatement davantage de flexibilité dans le système. Ceci est un mythe. Nous avons dès à présent en place dans le système beaucoup plus de flexibilité que nécessaire. » L’Allemagne est la première puissance industrielle européenne. « Et nous avons aussi un énorme potentiel supplémentaire » ajoute Monsieur 50Hz.
Boris Schucht rappelle aussi que durant l’éclipse solaire du 20 mars 2015 une montée en puissance de 14 000 mégawatts a été réalisée en 45 minutes. Ce qui illustre la robustesse du système électrique allemand et sa capacité à faire face aux fluctuations solaires (Lire à ce sujet sur Techniques de l’Ingénieur: Eclipse solaire: l’Allemagne passe avec succès le stress-test de sa transition énergétique).
Du pays de Goethe à celui de Lao Tseu
Le directeur de la State Grid of China, Liu Zhenya, tient exactement le même discours que Boris Schucht. Le site australien RenewEconomy, spécialisé en énergie vraiment durables, dans un article intitulé « “Base load” power: a myth used to defend the fossil fuel industry » a rapporté son analyse. Pour cet expert chinois « le seul obstacle est le paysage mental » de ceux dont la doctrine est archaïque. « Il n’y a pas du tout de défi technique ».
Comme le souligne le professeur Mark Jacobson, directeur du Département énergie et atmosphère de l’Université Stanford, le concept de « baseload » (production en base) est en réalité utilisé par les lobbyistes des énergies sales. L’expert australien Mark Diesendorf, spécialiste des énergies durables et professeur à l’Université de Sydney, a publié le 10 mars 2016 un article richement documenté sur ce thème : « Dispelling the nuclear ‘baseload’ myth: nothing renewables can’t do better ! »
Précisons qu’il serait absurde de considérer de manière séparée le solaire PV et l’éolien, ce que font bien souvent les solaro-sceptiques défenseurs de l’atome, étant donné que ces deux filières vraiment durables sont parfaitement complémentaires à l’échelle saisonnière (voir par exemple ci-dessous -cliquer sur l’image pour l’agrandir- la diapo n°49 de ce document réalisé par Bernard Chabot, expert et formateur en EnR).
Le solaro-éolien, appuyé d’outils de flexibilité dont le stockage (STEP, batteries, power-to-gas) mais aussi les réseaux électriques et la gestion de la demande (comme le pilotage des ballons d’eau chaude ou de la charge des véhicules électriques), peut se substituer aux réacteurs nucléaires en France, et ceci n’importe quel mois de l’année. L’ADEME, notamment en collaboration avec Artelys (fondé par des anciens d’EDF) et Mines Paristech, a d’ailleurs publié une très intéressante étude à ce sujet. Les conclusions de cette agence d’état ont été résumées avec talent par Pierre Le Hir, journaliste au Monde, dans l’article « En France, 100 % d’électricité renouvelable n’est pas plus coûteux que le nucléaire ».
L’Agence Internationale de l’Energie elle-même, pourtant très conservatrice, a souligné qu’intégrer de hauts niveaux de solaire et d’éolien n’est pas un problème.
Avec Engie, « le soleil éclaire maintenant le jour et la nuit »
A la question posée par un journaliste de l’Usine Nouvelle (« L’Ademe a révélé un scénario d’une France 100 % renouvelable en 2050. Y croyez-vous ? »), Isabelle Kocher, Agrégée de Sciences physiques, ingénieur des Mines et directrice d’Engie, le numéro 1 mondial de l’énergie, a répondu : « Oui, j’y crois, à condition de mettre en place un écosystème qui le permette. Il ne faut pas que les renouvelables créent une volatilité insupportable sur les prix et des problèmes d’intermittence. Cela demande de développer des solutions de stockage. Si le stockage suit des courbes d’évolution technologique et de réduction des coûts aussi rapides que celle du photovoltaïque, il sera prochainement compétitif à toutes les échelles. En ajoutant des outils de gaz renouvelable, le scénario 100 % renouvelable est peut-être crédible à l’horizon 2050. »
Jean Fluchère, lui, manifestement, n’y croit pas. En partie à cause des écolos (des employés de l’ADEME ?) qui sévissent dans notre pays : « il est inutile de songer à faire de nouvelles STEP dans un pays où une horde de chevelus ont empêché la réalisation de la flaque d’eau de Sivens » estime cet ex-directeur régional d’EDF et ex-directeur de la centrale nucléaire du Bugey en région Rhônes-Alpes suite à cet article publié par Techniques-ingénieur.fr et signé Mathieu Combe, journaliste scientifique et fondateur du site Natura-Sciences. Une STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage), intégrant solaire et éolien, va être construite en Bretagne sous la houlette de la société Tri’Nerzh. Il y a pourtant des Druides aux cheveux à la Samson chez les Bretons.
En cas de problème François Lempérière, ex-président du Comité Français des Grands Barrages, propose de les construire en mer. On peut aussi mettre en place un câble HVDC sous-marin entre la France et la Norvège et tirer profit de l’énorme réservoir hydroélectrique scandinave. Denis Payre, fondateur de Man & People First et de Nous citoyens propose de son côté des micro-STEP urbaines intégrées aux bâtiments.
La capitalisation boursière d’Engie est 50% supérieure à la somme de celles d’EDF et d’AREVA. Fort de 155.000 salariés ce géant français a placé le solaire, les gaz verts et le digital au cœur de sa nouvelle stratégie. A l’occasion du Smart Energies Summit Isabelle Kocher a expliqué le 1er juin 2016 sa vision dans le cadre d’une excellente conférence :
Jean Fluchère a également exprimé son solaro-scepticisme dans un commentaire suite à un article publié récemment sur Techniques-ingénieur.fr : Le solaire PV génère-t-il vraiment davantage d’emplois que le nouveau nucléaire EPR ?. Ces interventions ont un contenu similaire à celles d’Alain Marcadé, ex-directeur de la centrale de Saint-Alban-du-Rhône (Lire sur Techniques-ingénieur.fr : EnR en France : un ex-directeur de centrale nucléaire et un expert de l’Agence Internationale de l’Energie livrent leurs analyses).
Jacques Treiner, professeur à Sciences Po, spécialiste en fluides quantiques, membre de la très pro-nucléaire association « Sauvons le climat » et du comité scientifique de « The Shift Project » fondé par Jean-Marc Jancovici, l’ingénieur pro-nucléaire le plus médiatisé de France, a de son côté attaqué récemment Thierry Lepercq, le fondateur de Solairedirect devenu directeur général adjoint d’Engie (en charge de l’innovation), ainsi que l’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage, tentant de les faire passer pour des incompétents en matière de solaire. Alors que Thomas Piquemal, l’ex-directeur financier d’EDF (qui a depuis rejoint la Deutsche Bank) livrait le 4 mai 2016 un inquiétant témoignage sur le nouveau nucléaire (« une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne »), Jacques Treiner a publié 3 jours après les propos suivants: « l’examen de la liste des rédacteurs (du rapport « L’Economie du Nouveau Monde » ndlr) fait apparaitre qu’il n’y a parmi eux aucun scientifique professionnel, mais qu’il y a Thierry Lepercq, PDG de Solaire Direct, une entreprise française spécialisée dans le photovoltaïque. Il devrait donc savoir, lui ! Oui … mais non, car il vient d’HEC, ce qui est parfait pour monter des entreprises et lever des fonds, mais moins bien, apparemment, pour évaluer les potentialités physiques du photovoltaïque. Nous y reviendrons. » Manifestement la révolution solaire en cours à l’échelle mondiale ainsi que la nouvelle stratégie d’Engie dérangent fortement.
L’Engie Open Innovation Week se déroule du 6 au 11 juin 2016. Le mardi 7 juin le thème de la journée sera : « Le nouvel âge du renouvelable ».
Fierté
Le 13 juillet 2011, sur le site de « Sauvons le climat », Jean Fluchère a expliqué son parcours: « J’ai fait partie de l’équipe de démarrage de Fessenheim de 1972 jusqu’à 1976 et j’ai participé à l’ensemble des essais des matériels et des systèmes (…) Les anciens d’EDF sont fiers d’avoir donné aux français un système de production d’électricité à la fois fiable et compétitif. Ils sont fiers de l’avoir fait dans le cadre d’un service public soucieux à la fois de qualité et de performance économique. Ils s’interrogent sur ce qui conduit une partie importante des médias et une écologie politique dont le fond de commerce est d’attaquer la production nucléaire d’électricité, à les traiter comme des parias, voire des criminels. Les médias ne leur donnent qu’exceptionnellement la parole et il en résulte une désinformation qui, désormais, pèse lourdement sur une opinion manipulée plus qu’informée. »
Les pro-nucléaires n’auraient pas accès aux médias ? Ce qui est certain, c’est qu’ils n’apprécient pas la critique. Selon l’observatoire de la publicité le journal La Tribune a eu « son budget publicité EDF gelé suite à un article qui n’aurait pas plu à l’entreprise du nucléaire.»
Sur le fond le nucléaire est-il une source de production d’électricité vraiment continue ? Que se passe-t-il quand on injecte un 9 avril 2014 du bore dans un réacteur nucléaire à Fessenheim ? Et bien on perd subitement 900 MW. Combien de temps faut-il pour remettre en service le réacteur nucléaire de Paluel 2 sur lequel est tombé, le 31 mars 2016, un générateur de vapeur de 400 tonnes, haut de 22 mètres ? Et que se passe-t-il quand on coupe l’intégralité des alimentations électriques du circuit de refroidissement d’une centrale nucléaire à cause d’un tsunami le 11 mars 2011 au Japon ou d’une action terroriste possible dans les mois ou années à venir en Belgique ou en France ?
Les habitants de Fukushima connaissent la réponse.
Le retour à la bougie.
Olivier Daniélo
Cet article se trouve dans le dossier :
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