Ukujima, petite île japonaise au large de Nagasaki va-t-elle devenir aussi célèbre que Fukushima ? Elle va dans tous les cas contribuer à une prise de conscience : les grandes centrales photovoltaïques au sol ne sont pas forcément nuisibles à la production agricole.
L’approche éco-intelligente du solar sharing (« to share », partager) consiste à utiliser une même surface pour les productions végétale et photovoltaïque. La surface agricole est ainsi doublement valorisée. La ferme solaire est perchée à environ 2 mètres 50 au dessus du sol et l’on peut cultiver en dessous.
Le principe de la Milpa, version écotechnologique
De nombreuses espèces végétales se développent en effet très bien dans des conditions de semi-ombre car leur point de saturation de la photosynthèse est bas. C’est le cas des choux, laitues, épinards, pommes de terre, betteraves, fraises, pois, haricots, radis, betteraves, navets, rutabagas et autres topinambours.
Les panneaux peuvent être espacés de manière intelligente afin de laisser passer la quantité de lumière optimale pour les espèces végétales cultivées. Les Mayas, dans l’actuel Mexique, cultivaient le haricot et la courge sous le maïs, une pratique appelée « Milpa » ou « technique des trois sœurs ». Elle permet de réduire les volumes d’arrosage et d’augmenter la production des trois espèces. Dans le cas du solar sharing, les structures porteuses des panneaux solaires peuvent servir de tuteurs pour les plantes grimpantes, comme le pois et le haricot.
Les projets de solar sharing se sont répandus de manière virale au pays du soleil levant suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.
Nagasaki mon amour
Ukujima, tout au nord de l’archipel de Goto, préfecture de Nagasaki, est une île de 24 kilomètres-carrés dont la densité démographique est de 83 habitants par kilomètre-carré (contre 112 en France).
Le projet prévoit l’installation d’1,7 million de panneaux solaires Kyocera à base de silicium totalisant une puissance crête de 430 MW sur une surface agricole de 6,3 kilomètres-carrés. Soit le quart de la surface de l’île.
La production prévue est de 0,5 TWh par an ce qui permettra de répondre à la demande électrique de 140.000 foyers japonais standards. Elle sera exportée par 60 kilomètres de câble sous-marin vers la ville de Sasebo qui compte 261.000 habitants, soit l’équivalent de la population de la ville de Nantes.
Ce grand projet, en plus du groupe Kyocera, implique d’autres entreprises : Photovolt Development Partners Gmbh, Kyudenko Corporation, ORIX Corporation et Mizuho Bank Ltd.
C’est sur une autre île japonaise, Okinawa, qu’a été construite la première STEP à eau de mer du monde, un système de stockage de l’énergie utilisé aussi par l’île Canarienne d’El Hierro dans le cadre de son projet d’autonomie énergétique.
Des moutons à l’abri des caprices de la météo
Le grand projet solaire d’Ukujima va permettre de vitaliser l’activité agricole de l’île. Selon le site spécialisé SolarSharing, cette approche permet au Japon de multiplier par 10 les revenus des maraîchers.
En Allemagne plusieurs fermes solaires sont couplées à l’élevage de moutons. Les éleveurs ont remarqué que la présence des panneaux améliore la santé de leur cheptel car ils leur servent d’abri contre la pluie, le vent et le soleil.
Une autre façon d’économiser les surfaces consiste à réaliser des fermes flottantes sur des plans d’eau douce. « Notre système peut être installé sur des anciens lacs de carrières, des bassins écrêteurs de crues et d’irrigation, des réservoirs d’eau potable ou encore des bassins industriels pollués et des terrains inondables » explique Alexis Gaveau, directeur de la PME Ciel et Terre, spécialiste français de cette technologie.
En France le pré-projet de loi sur la transition énergétique envisage de soutenir « le déploiement de nouvelles centrales au sol (sans préjudice sur les terres agricoles).» Le modèle japonais du solar sharing et l’innovante technologie du solaire flottant permettent précisément d’éviter tout préjudice.
La production de 500 millions de kWh par an prévus au niveau de la ferme solaire d’Ukujima correspond à 2,5% de la demande électrique de la Bretagne, première région agricole française où 225 kilomètres-carrés sont utilisés pour la culture du choux-fleur, 89 pour le petit pois, 35 pour le haricot, 23 pour les épinards et 20 pour les pommes de terre, plantes adaptées au solar sharing.
A Ukujima, une partie de la surface de la ferme solaire sur pilotis sera utilisée pour cultiver des plantes destinées à l’alimentation du bétail, comme par exemple l’avoine et d’autres graminées.
Un marché en forte croissance à l’échelle globale
Le Japon a installé 7 GW de solaire PV durant la seule année 2013. Contre 0,6 GW en France. Afin de réduire la pollution de l’air néfaste à la santé humaine la Chine a comme objectif de parvenir à une puissance PV cumulée de 70 GW dès 2020.
Les USA, sous l’impulsion du milliardaire Elon Musk, vont de leur côté construire une grande usine capable de produire 1 GW de panneaux solaires de haute qualité par an, puis une série de giga-usines d’une capacité de 10 GW/an.
A l’échelle mondiale 38 GW ont été installés en 2013 selon l’EPIA, l’Association Européenne de l’Industrie Photovoltaïque, ce qui a permis d’atteindre une puissance cumulée de 140 GW. 57 GW de nouvelles capacités seront installées durant l’année 2014 selon le cabinet spécialisé IHS. A ce rythme le seuil des 300 GW pourrait être franchit dès 2016, délivrant alors une quantité d’électricité équivalente aux 63 GW électro-nucléaires français, le second parc nucléaire le plus important du monde après celui des USA (104 GW).
Séduit par une idée d’Eicke Weber, président de l’institut Fraunhofer à Freiburg, le président de la République François Hollande envisageait en 2013 la construction d’un « airbus du solaire » franco-allemand. Ni l’Asie ni l’Amérique n’attendront l’Europe sur cet énorme marché d’avenir.
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Olivier Daniélo
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