Vice-président en charge de la normalisation chez Alcatel-Lucent, Emmanuel Darmois travaille notamment sur le développement du smart grid, le réseau électrique dit "intelligent". Cette évolution technologique va permettre de mieux optimiser le réseau.
Vice-président en charge de la normalisation chez Alcatel-Lucent, Emmanuel Darmois travaille notamment sur le développement du smart grid, le réseau électrique dit « intelligent ». Cette évolution technologique va permettre de mieux optimiser le réseau.
Techniques de l’ingénieur : Qu’est-ce que le smart grid ?
Emmanuel Darmois : Cela revient à transformer les réseaux d’électricité de la façon dont Internet a transformé les télécoms. D’un point de vue technique, cela consiste à mettre au-dessus du réseau électrique un réseau informatique avec pour fonctions d’assurer un meilleur contrôle et une optimisation du réseau et d’offrir des services à valeur ajoutée. Il s’agit d’une évolution devenue possible car on est capable de coupler les technologies informatique et électrique dans les mêmes équipements et réseaux (par exemple insérer une carte SIM dans un compteur électrique) pour un coût très bas.
Pourquoi le smart grid se développe-t-il aux Etats-Unis ?
Aux Etats-Unis, le réseau électrique a des caractéristiques différentes du réseau européen. Il est vieux, mal entretenu et en mauvais état. Il faut donc investir pour le restructurer. Par ailleurs, il existe environ 3.000 fournisseurs d’électricité, qui s’avèrent difficiles à contrôler. Le smart grid est d’abord un moyen d’assurer un retour important des investissements massifs à faire et devrait permettre de résoudre certains des problèmes actuels, par exemple mieux cantonner sur un territoire réduit les incidents techniques sur les réseaux de distribution.
Et en Europe ?
En Europe, le réseau est en meilleur état et les acteurs moins nombreux. On se lance dans le smart grid pour une autre raison, qui intéresse aussi les Etats-Unis : il s’agit d’ouvrir de nouveaux marchés. Cela va commencer avec l’installation en cours de nouveaux compteurs intelligents. Ces derniers vont permettre à davantage d’acteurs d’intervenir dans la relation entre le consommateur et le distributeur d’énergie et de proposer des services.
Pourriez-vous donner un exemple d’application ?
Par exemple, on peut proposer à un client de réduire ses coûts en gérant mieux sa consommation. Un opérateur pourrait proposer de réduire la facture d’un particulier de 30 euros par exemple, en facturant ce service 5 euros. On pourrait voir apparaître pour l’énergie l’équivalent de la box pour les télécoms pour gérer efficacement l’électricité de la maison. Des prises ad hoc pourraient mettre les appareils en route à l’heure la plus adaptée. Le marché de l’automatisation de la maison, de la domotique, devrait fortement se développer dans les cinq prochaines années. Cette évolution concerne aussi les entreprises, qui auront encore plus à gagner en termes de réduction de coût.
Le smart grid peut-il aussi permettre d’encourager les énergies renouvelables ?
En Europe, nous avons défini l’objectif de 20% d’énergies alternatives en 2020. Cela signifie qu’il y aura de plus en plus de producteurs, notamment des particuliers. Il faudra donc équilibrer le réseau pour les prendre en compte sans que cela ne fragilise la totalité du réseau. Par ailleurs, l’informatique va se développer pour piloter l’utilisation de telle ou telle énergie selon l’heure de la journée ou la météo et mettre en relation de nombreux micro-producteurs. A certains moments, les éoliennes par exemple ne seront pas efficaces à un endroit donné, il faudra avoir recours à une énergie de substitution. Les particuliers pourront probablement être autosuffisants dans 15 ou 20 ans. On va alors découvrir de nouveaux business model avec des rentabilités différentes, ce qui va provoquer des changements structurels et entre les acteurs.
Où en sommes-nous dans le déploiement d’un réseau intelligent ?
En France, nous en sommes aux prototypes. En Italie, 30 millions de compteurs intelligents ont été installés. Chez Alcatel-Lucent, nous travaillons pour l’instant surtout sur des prototypes et des essais. L’écosystème est en train de se tester. Les acteurs cherchent à expérimenter le travail avec tel ou tel partenaire. Par ailleurs, l’intégration du réseau électrique et du réseau informatique demande des compétences encore peu répandues.
Quels sont les freins au développement du smart grid ?
Les freins ne sont pas technologiques, mais réglementaires. La réglementation va devoir ouvrir des espaces. D’un endroit à l’autre de l’Europe, la réglementation va définir la façon dont le marché va se développer et favoriser certains acteurs. En France, il est probable que l’on favorise EDF et non pas les nouveaux entrants. Au Royaume-Uni, la tendance serait à soutenir les alternatifs.
Par ailleurs, le smart grid pose le problème de la protection de la vie privée car cela peut s’avérer très intrusif. A qui appartiennent les données du consommateur ? Les visions sont différentes selon les pays. On peut considérer en France par exemple qu’elles appartiennent à EDF ou au consommateur. Au Royaume-Uni, elles peuvent être fournies par le consommateur à un tiers de confiance qui gère ces données, les protège et ne vend que ce que le consommateur à autoriser à vendre. Cela nécessite des réglementations.
L’Europe a lancé un premier groupe de travail qui rendra ses conclusions en juin et devrait faire des premières recommandations de normalisation.
Propos recueillis par Corentine Gasquet
Parcours
Emmanuel Darmois travaille chez Alcatel-Lucent depuis 1989. Dans sa fonction actuelle de « vice-president standards » dans la direction technique centrale, il est en charge du “moteur de normalisation” d’Alcatel-Lucent, coordonne la stratégie de normalisation et s’assure que la contribution de quelques centaines d’ingénieurs à la normalisation est en adéquation avec la stratégie et apporte une contribution de valeur à la communauté de la normalisation.
Avant cela, il a occupé diverses fonctions de haut niveau aussi bien dans les divisions opérationnelles que dans la recherche et le développement de produits. Avant de joindre Alcatel, il a enseigné l’Informatique à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées. Durant cette période, il a également créé une start-up dans le domaine du jeu en réseau.
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