Le consortium Desertec industrial initiative a publié l’étude « Desert Power 2050 », proposant un mix électrique 53% éolien, 25% solaire, 13% hydro-biomasse, et 9% gaz naturel pour l’Europe, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient à horizon 2050. C’est sur la base de ce souffle nouveau que la nouvelle association Desertec France tente de mettre les voiles.
« En 6 heures, les déserts de notre planète reçoivent plus d’énergie du soleil que l’humanité n’en consomme en toute une année ». Cette phrase formulée par Gerhard Knies, co-fondateur de la TREC (Trans-Mediterranean Renewable Energy Cooperation), a contribué à une véritable prise de conscience sur le potentiel que représentent les énergies renouvelables et a donc été très positive dans un contexte d’inquiétudes croissantes face au changement climatique et aux aléas des prix du pétrole. Mais elle a aussi enfermé la réflexion du grand public et des politiques dans l’équation exclusive « désert = solaire ». Alors que le Sahara est aussi, a fortiori si l’on se place dans une logique de rationalité économique, un phénoménal gisement éolien. Le pilote de l’avion Solar Impulse en a fait l’expérience lorsqu’il a tenté de rejoindre le sud du Maroc.
Le concept original de la TREC, également co-fondée par le scientifique Gregor Czisch en 2003 et matrice de Desertec, consistait à créer un super-réseau électrique HVDC à l’échelle de l’Europe et de l’ensemble des pays voisins, au sud comme à l’est. Entre 1997 et 2001, le chercheur a mené un véritable travail de pionnier dans le but d’identifier le mix électrique à fois techniquement réalisable mais aussi à coût optimisé. Il arrive à la conclusion que le mix optimal est à dominante éolienne (70%), le reste étant couvert par l’hydro modulable et la biomasse, le solaire restant marginal car trop coûteux.
Desertec industrial initiative (Dii)
TREC prend de l’ampleur et donne naissance en 2009 à la Fondation Desertec. L’organisation devient internationale, œuvre au développement des technologies, développe une plateforme de connaissance ainsi qu’un réseau universitaire. Son but, promouvoir des projets pilotes de grande capacité et convaincre les gouvernements comme les industriels de s’engager dans la voie incontournable de la transition énergétique. Parallèlement, avec la collaboration de l’assureur Munich Re, la Fondation Desertec participe à la création du consortium industriel Dii (un Do-Tank). Dii a attiré de nombreuses entreprises et généré une très forte dynamique, avec un important écho médiatique.
Mais dans une période de mutation politique avec le printemps arabe, de nombreux projets sont reportés ou abandonnés. Un projet est cependant en cours au Maroc. L’appel d’offre pour la construction de la centrale solaire d’Ouarzazate d’une capacité de 125 MW, un investissement de 600 millions d’euros rendu possible grâce à un prêt massif de la Banque européenne d’investissement (325 millions), complété par des prêts de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement, de la banque allemande KfW et de l’Agence française de développement, a été remporté à 95% par ACWA Power International, un consortium saoudien, et à 5% par les firmes espagnols ARIES et TSC.
Cela a logiquement déçu les industriels allemands. Siemens, qui avait investi dans la technologie israélienne Solel et qui enregistre des pertes financières décide d’abandonner toute activité dans le solaire et annonce dans le même temps son départ de Dii, « Siemens a l’intention de concentrer ses activités d’énergie renouvelables sur l’éolien et l’hydraulique », a déclaré le géant allemand. Le groupe Bosh, un autre poids lourd, a également annoncé son retrait de Dii.
Véritable coup de massue, l’Espagne, partenaire majeur et incontournable de Desertec au Maroc pour des raisons géographiques, ne s’est pas déplacée à Berlin pour signer l’accord d’intention sur le projet Desertec, et a décidé de reporter sa décision sine die. Un second appel d’offre devait permettre au site de Ouarzazate de s’étendre jusqu’à une puissance de 500 MW. Ce projet s’inscrivait dans un important programme marocain de 5 parcs solaires à construire d’ici 2020, pour un objectif de puissance de 2 GW et un montant d’investissement qui est estimé à 9 milliards d’euros. Ces 5 parcs solaires auraient permis de produire autant d’électricité qu’un demi EPR. Un projet Desertec est également en cours en Tunisie.
Le prix de revient du kWh CSP saharien (Concentrated Solar Power, électricité thermosolaire) est d’environ 16 centimes d’euros aujourd’hui, ce qui implique d’exporter une partie de la production vers l’Europe pour que les projets soient viables. « Le grand biais initial de Desertec a été d’être trop orienté CSP » confie un expert français des énergies renouvelables qui préfère conserver l’anonymat.
Un focus sur l’éolien terrestre saharien (dont le prix de revient est de 3 à 5 centimes) par exemple assisté de STEP (hydro modulable, surcoût inférieur à 2 centimes par kWh éolien selon le Comité Français des Grands Barrages), sans exclure les autres technologies mais en gardant une certaine rationalité économique, permettrait d’axer les projets vers une consommation locale de la production, pour les nord-africains. Et un mécanisme d’échange avec l’Europe pourrait alors bénéficier de manière équilibrée aux deux parties, les profils éoliens européens et nord africains étant très complémentaires à l’échelle saisonnière.
Desert Power 2050, un nouveau souffle pour Desertec
Mais la situation évolue. Desertec Industrial Initiative réagit. En juin 2012 elle publie une grande étude, Desert Power 2050, proposant un mix électrique à dominante éolienne (53%) pour l’ensemble de la zone EUMENA (Europe, Moyen-Orient et Afrique du nord). Cette étude constitue un changement majeur de paradigme au sein de Desertec. « Quand on parle de l’électricité du désert, il s’agit principalement de l’énergie éolienne, et en réalité seulement d’une petite partie thermosolaire et photovoltaïque » a déclaré Paul van Son, Président de Dii, au magazine allemand Klimaretter le 8 novembre 2012. La part du thermosolaire est à présent réduite à 16% dans le mix électrique proposé. « L’énergie éolienne en Afrique du Nord compte pour plus de la moitié de la production. Cette étude nous a vraiment ouvert les yeux » a-t-il ajouté. .
C’est dans ce nouveau contexte que Francis Petitjean, responsable support-ventes chez Bosch Rexroth Fluidtech et son associé Charles Ifrah, professionnel de la communication, construisent actuellement une nouvelle Association, Desertec France, en tirant les leçons de l’expérience Desertec en Allemagne à ses débuts. Desertec France, qui se veut à la fois un think-tank et un do-tank, s’inscrit dans une dynamique d’ouverture élargissant les prérogatives et les technologies associées, cherchant les synergies entre ces technologies souvent complémentaires tout en restant très rationnel sur le plan économique. Les technologies économes en eau, qui n’en consomment pas du tout, ou mieux qui produisent de l’eau en plus de l’électricité sont privilégiées. L’eau douce est en effet une ressource précieuse en Afrique du nord et au Moyen-Orient, en particulier dans un contexte de démographie croissante et de changement climatique.
.Desertec France « prévoit l’exploitation de toutes les énergies renouvelables, s’envisage sur la base de coopérations bilatérales ou multilatérales équitables, d’échanges réciproques de technologie, de savoir-faire, de partage de la chaîne de valeurs favorisant l’intégration économique par la production » explique Francis Petitjean, administrateur de Desertec France. C’est « une approche partenariale qui suppose des relations équilibrées et respectueuses entre Nord et Sud sur le long terme, répondant à des objectifs communs ». L’objectif est de créer une véritable symbiose entre les deux rives de la méditerranée. La France dispose de sérieux atouts industriels, de savoirs-faires, et de liens d’amitié avec l’Afrique.
Une réunion de Desertec France s’est tenue le 29 novembre 2012 à Paris en présence de représentants de quelques entreprises françaises. Le 6 décembre 2012 a eu lieu une rencontre organisée par l’Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED) sur le thème de la « co-localisation » (partage de la chaîne de valeur). A cette occasion, Charles Ifrah, délégué de Desertec France, a déclaré que «la co-localisation qui intéresse la Fondation Desertec dans l’espace méditerranéen concerne la problématique cruciale de l’énergie, en particulier des énergies renouvelables et la question de l’eau pour la consommation domestique ou l’agriculture. Ces deux sujets étant liés, ils peuvent donc être abordés conjointement».
Tirant les leçons d’Hermann Scheer, le pape allemand des énergies renouvelables qui estimait, tout comme l’influent journaliste Franz Alt, que Desertec est un projet « éco-colonialiste », Desertec France entend notamment favoriser l’émergence de projets off-grid, décentralisés, et bénéficiant directement aux populations locales. Par exemple avec le petit éolien, le photovoltaïque, le Micro-CSP, le biogaz ou le bois-énergie. Mieux, en combinant les écotechnologies. « La demande énergétique est en augmentation croissante, les besoins existent. A titre d’exemple, en Afrique du Nord aujourd’hui, 10 millions d’habitants des hauts plateaux n’ont pas accès à l’électricité » a rappelé Charles Ifrah. « Les besoins en eau, en traitement et en valorisation des déchets sont réels, prioritaires pour la qualité de vie des populations et la protection de l’environnement. Les solutions existent, les moyens financiers sont disponibles. Seul le cadre réglementaire doit être harmonisé et doit évoluer pour faciliter une croissance soutenue du secteur » a-t-il ajouté. A travers la production d’études d’évaluation et d’impact économique des projets, de recommandations ou d’aide à la décision, « Desertec France vise à faire émerger et à valoriser des projets démonstratifs de petite et moyenne capacité, des plans d’accompagnement favorisant une production locale destinée en priorité aux besoins locaux. La pertinence d’une approche commune basée sur un partage de la chaîne de valeur prônée par la co-localisation, la coproduction et le co-développement est sans conteste la voie à suivre pour contribuer à la prospérité et à la paix en méditerranée. »
En 1961, en Grèce, la « Coopération Méditerranéenne Pour L’Energie Solaire »(COMPLES) fondée par Marcel Perrot, ingénieur français, visait à favoriser les transferts technologiques entre tous les pays du pourtour méditerranéen. Mais l’émergence du nucléaire a bloqué celle des renouvelables. Un demi-siècle plus tard une nouvelle dynamique française tente d’émerger. Cette fois-ci au service de toutes les énergies renouvelables. « Desertec France est une organisation indépendante » précise Francis Petitjean. Du fait de sa position de neutralité, cette structure naissante a un vrai rôle potentiel à jouer de facilitateur et de promoteur de projets. « Il y a un réel besoin » de ce type de plateforme en France souligne l’administrateur de Desertec France.
L’Association, ambitieuse, a dès à présent des projets de réalisations concrètes, dont la création d’un Institut des Energies Renouvelables en France et au Sénégal.
Par Olivier Daniélo
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