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Décryptage

La stratégie énergétique de Trump se heurte au pragmatisme économique

Posté le par Pierre Thouverez dans Énergie

Donald Trump s’est exprimé à plusieurs reprises sur les thématiques énergétiques lors de sa campagne. Relancer l’industrie charbonnière a été au centre de son plan énergétique pour l’Amérique, tout comme le gaz et le pétrole qu’il a opposés aux énergies renouvelables jugés bien trop chères. Un discours qui a fait mouche auprès d’une partie de l’électorat mais qui devrait rapidement se heurter au principe de réalité.

Les grands axes

Donald Trump considère à juste titre l’énergie comme un maillon essentiel de la chaîne économique. Pour rendre sa grandeur aux Etats-Unis (« Make America great again »), le candidat a promis de lever toutes les barrières administratives à l’exploitation des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) sur le territoire américain. En effet, durant les 8 dernières années de présidence, Barack Obama s’est efforcé d’amorcer au niveau fédéral un semblant de transition énergétique en élevant les contraintes environnementales ce qui mécaniquement défavorise les énergies polluantes. Donald Trump estime quant à lui qu’il faut libérer ces énergies du sous-sol de l’Oncle Sam pour créer des emplois et baisser le coût de l’énergie pour les ménages américains.

Cette stratégie énergétique repose également sur un climato-scepticisme avancé : le concept de changement climatique ? Un « canular inventé par les Chinois » pour affaiblir l’économie américaine selon le nouveau président élu qui a promis de sortir de l’accord de Paris sur le climat (voir notre article dédié). De fait, le milliardaire propose une révolution énergétique dans laquelle les Américains retrouveront par l’exploitation tous azimuts de leurs réserves naturelles sur terre ou en mer leur indépendance énergétique. Dans son programme électoral, Donald Trump évaluait que l’abolition des mesures prises par l’administration Obama permettrait de recréer un demi-million d’emplois et baisser sensiblement le prix de l’énergie.

Dans cet pensée, une organisation cristallise les critiques du New-Yorkais : l’Environmental Protection Agency (EPA). Créée par Richard Nixon en 1970, c’est sur cette agence que repose la lourde tâche de protéger les Hommes et l’Environnement en faisant appliquer des réglementations contraignantes sur l’air, l’eau, etc. Donald Trump a annoncé qu’élu Président, il démantèlerait ou plus probablement quitterait les prérogatives de cette agence dont Obama s’est beaucoup servi pour orienter le modèle énergétique américain.

Ce qu’il va pouvoir (dé)faire

Le nouveau président élu devrait avoir une marge d’action relativement confortable sur les thématiques énergétiques. D’abord parce que son élection s’accompagne d’une majorité Républicaine au Sénat et à la Chambre des Représentants, indispensable pour faire voter des lois importantes. « Toutes les mesures d’ordre fiscal devront obtenir l’aval du Congrès mais les décrets présidentiels couvrent un spectre suffisamment large pour influencer la politique énergétique des Etats-Unis. Le nouveau président pourra en particulier réorienter les priorités de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) qui a développé ces dernières années un grand nombre de standards pour l’exploitation des énergies fossiles, l’industrie électrique ou encore le transport routier », explique Carole Mathieu, chargée de recherche à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Par ailleurs, plusieurs lois introduites par le gouvernement précédant sont suspendues à des décisions des nombreux contre-pouvoirs présents aux Etats-Unis. C’est le cas de l’emblématique Clean Power Plan qui prévoit une réduction de 32% des émissions de gaz à effet de serre liées à la production électrique d’ici 2030. « L’abrogation du Clean Power Plan semble désormais très probable. Ce programme a été développé par l’EPA, sur instruction du Président Obama, et vise à réduire les émissions de CO2 des centrales électriques existantes. Aujourd’hui, la légalité de ce programme est contestée par des entreprises charbonnières et un certain nombre d’Etats. Sa mise en œuvre est suspendue jusqu’à l’épuisement des recours juridiques et donc une probable décision de la Cour suprême. La nomination d’un nouveau juge républicain risque de faire pencher la balance en défaveur du Clean Power Plan. Par ailleurs, même dans l’hypothèse où la légalité du plan serait confirmée, le Président pourrait empêcher sa mise en œuvre du fait de son contrôle indirect sur l’Agence de protection de l’environnement », explique Carole Mathieu.

Les infrastructures énergétiques seront l’autre levier que le nouveau président élu pourra rapidement activé. En effet, Barack Obama s’est attirés les foudres de l’industrie de l’Oil&Gas pour avoir systématiquement refusé, lorsqu’il le pouvait (si le tracé passait par des terres fédérales), les nouveaux projets de construction d’oléoducs et de gazoducs. Techniques de l’ingénieur s’en était d’ailleurs fait l’écho lors des décisions prises pour Keystone XL et Dakkota Access. Les promoteurs de ces infrastructures sont confiants de voir le nouveau locataire de la Maison-Blanche leur donner rapidement le feu vert.

Ce qu’il ne pourra faire

Si les marges de manœuvre du nouveau président élu semblent importantes, les Etats-Unis restent un pays fédéral et à ce titre, les prérogatives énergétiques restent encore largement du ressort des Etats. « La sortie des Etats-Unis du traité de Kyoto en 2001 à l’initiative du président Bush Jr n’a pas été suivie à l’époque par les Etats de New York et de Californie qui ont conservé leur plan environnemental et qui représentent près de 60 millions de personnes » rappelle Thomas Porcher, docteur en économie à l’université Paris Panthéon-Sorbonne. De fait, si les Etats poursuivent leur engagement vers la transition énergétique – la Californie s’est fixé comme objectif d’intégrer 40% d’Enr d’ici 2030, New-York 50% en 2030 et l’Orégon 50% en 2040 — l’Etat fédéral ne pourra rien y faire, tout au plus ralentir le mouvement. « Il est évident que cette élection aura un impact certain en mettant le gouvernement fédéral hors-jeu, mais cela n’empêchera pas la tendance de fond à l’économie verte », déclarait Alden Meyer, directeur de la stratégie et de la politique de l’Union des scientifiques concernés lors de la COP22 au Maroc.

Même son de cloche du côté des entreprises leaders des énergies renouvelables. Interrogé par la rédaction, l’espagnol Iberdrola, bien que très exposé à travers sa filiale américaine Avangrid, ne considère pas que l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche puisse affecter sensiblement les plans d’investissements de la compagnie. Cette dernière prévoit toujours d’investir dans le pays plus de 2,8 milliards d’euros pour construire des parcs éoliens. « Le cadre de rémunération des revenus éoliens aux Etats-Unis est en grande partie garanti grâce aux contrats de vente signés à long terme et aux crédits fiscaux à la production validés par les chambres parlementaires jusqu’en 2020 ». Un avis prolongé par Carole Matthieu : « Sans inverser la tendance de fond, ces mesures peuvent très certainement ralentir le rythme de la transition vers un modèle énergétique sobre en carbone, sauf si elles sont contrebalancées par des politiques environnementales plus volontaristes à l’échelle des Etats fédérés ».

Zones d’ombre et logique économique

L’élection de Donald Trump a poussé un grand nombre d’acteurs dans une forte incertitude. Si les outrages verbaux du milliardaire avaient pour vocation de séduire un électorat anti-système, il n’en reste pas moins un pur produit de celui-ci. Par ailleurs, le candidat a déjà reculé sur certaines promesses qu’il avait fait comme renvoyer de force des millions de Mexicains dans leur pays. Cette question se pose naturellement sur l’industrie charbonnière que Trump a promis de ressusciter. Or, ses difficultés sont davantage issues d’une autre énergie fossile, en l’occurrence le gaz naturel, qu’aux contraintes environnementales imposées par l’ancienne administration : « Le candidat Trump appelait à mettre un terme à la « guerre contre le charbon », mais prônait dans le même temps la libre concurrence entre sources énergies et marquait son soutien à la technique de la fracturation hydraulique, à l’origine du boom des gaz de schiste. Or, les difficultés actuelles de l’industrie charbonnière sont avant tout liées à la concurrence du gaz, devenu très bon marché aux Etats-Unis. Le Président Trump devra nécessairement préciser son programme car il semble difficile de concilier les intérêts gaziers et charbonniers dans ce cas précis », indique Carole Mathieu. Une équation d’autant plus insoluble que l’U.S. Geological Survey a annoncé le 15 novembre dernier une découverte majeure de gaz et pétrole de schiste au Texas. Selon les premières estimations de l’institut dépendant du département de l’Intérieur, Wolfcamp shale abriterait pas moins de 453 milliards de mètres cube de gaz naturel, soit trois fois plus que Bakken-Three Forks, le plus gros gisement continu découvert jusqu’à maintenant. De quoi faire encore sérieusement pencher la balance en faveur des petites molécules bleues.

D’autres propositions de Trump devraient sans doute pâtir de la réalité économique. C’est le cas des forages pétroliers en mer que le nouveau président-élu souhaite voir se multiplier six ans après l’accident de Deepwater Horizon/Macondo, le pire connu par les Etats-Unis avec quelque 4,9 millions de barils de pétrole relâchés en mer. Au-delà des risques pour l’environnement, les opérations offshores coûtent chères et ne sont pas rentable avec un prix du baril sous les 80$ comme c’est le cas aujourd’hui. Ainsi, le feu vert du gouvernement ne sera pas suffisant pour convaincre les pétroliers de forer au large. Enfin, quelle place Donald Trump accordera-t-il finalement aux énergies renouvelables jugées à tort trop chères ? L’US Wind Association s’est dite prête à travailler avec le nouveau président pour le convaincre que l’éolien est devenu une des énergies les moins coûteuses et les plus pourvoyeuses d’emplois et d’impôts dans le pays. Reste à savoir si le pragmatisme économique l’emportera face au lobby pétrolier fort bien représenté derrière les vitres tintées de la Trump Tower.

Romain Chicheportiche

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