La mole et le système international d’unités (SI)

En chimie, l’unité SI dite de la « Quantité de Matière » est la mole. De définition récente, elle est encore peu employée dans les laboratoires, mais surtout les étalons permettant de s’y rattacher sont délicats ou même parfois inaccessibles à des laboratoires classiques. De plus, aucun organisme de métrologie ne certifie une mole de référence. De fait, il est usuel dans les laboratoires d’exprimer une concentration comme une masse (kg) ou une masse relative (kg.kg^-1 ou kg.L^-1). Une concentration relative étant sans dimension, une habitude assez déplorable consiste aussi à l’exprimer par une fraction, comme le %, la ppm (partie pour million) ou la ppb (partie pour milliard).

Étant donné ces difficultés pour assurer la traçabilité des mesurages des laboratoires d’analyse physico-chimique ou biochimique, il a fallu trouver des solutions spécifiques, à savoir :

• les essais d’aptitude par comparaison interlaboratoires ; ils font l’objet de la fiche relative aux essais d’aptitude ;
• les matériaux de référence certifiés (MRC) ;
• les méthodes d’analyse dites « primaires ».

L’objectif de cette fiche est de décrire ces deux dernières approches permettant d’assurer une certaine traçabilité des mesurages en chimie et biologie.

Quelles sont les principales unités SI et comment utiliser leurs étalons ?

Un organisme unique a la haute main sur le système international d’unités (SI). Il s’agit du Bureau international des poids et mesures (BIPM), dont le siège est à Sèvres dans la banlieue Ouest de Paris. Son site Internet (BIPM) est très complet et apporte toutes les informations utiles sur ses missions et son organisation.

Le BIPM s’occupe de neuf domaines métrologiques, à savoir : acoustique, ultrasons et vibrations, chimie et biologie, électricité et magnétisme, longueurs, masses et grandeurs apparentées, photométrie et radiométrie, rayonnements ionisants, temps et fréquences et thermométrie. Il existe un comité consultatif spécialisé pour chacun qui élabore la façon dont sont définis les unités et les étalons afférents. Pour la chimie et la biologie, c’est le Comité consultatif pour la quantité de matière (CCQM). Sa création tardive en 1993, 120 ans après la création du BIPM, souligne le retard relatif de la métrologie dans le domaine de la chimie.

Par ailleurs, le SI est fondé sur un choix de sept unités de base, réunies dans le tableau des sept unités fondamentales du système international d’unités SI, bien définies et considérées, selon la convention établie par le BIPM, comme indépendantes du point de vue dimensionnel et auxquelles se rattachent les divers domaines métrologiques.

À partir de ces unités fondamentales, diverses unités secondaires sont dérivées, ainsi que des fractions d’unités, comme le nanogramme ou le picoampère. Par ailleurs, à chaque unité est associée une notice qui explique sa mise en œuvre pratique. Par exemple, pour le kilogramme, on y explique comment sont rattachés les étalons nationaux à l’étalon du BIPM, puis comment les rattacher à divers étalons de contrôle et quelles incertitudes cela entraîne.

La figure Conception de la traçabilité de mesurage à partir des étalons SI schématise une mise en œuvre pratique de la traçabilité de mesurage, partant de l’étalon de niveau national jusqu’aux étalons des départements de l’entreprise chargés des mesures. Ce schéma montre clairement que la finalité de toute métrologie est la comparabilité des mesures.

Conception de la traçabilité de mesurage à partir des étalons SI

Quels problèmes soulève le rattachement à la mole ?

Avant 1960, les unités utilisées en chimie étaient l’atome-gramme ou la molécule-gramme. Mais leur référence aux poids atomique et moléculaire en faisait des unités malcommodes. Aujourd’hui, l’unité de référence est la mole qui « est la quantité de matière d’un système contenant autant d’espèces chimiques qu’il y a d’atomes de carbone dans 12 g de carbone 12 ». C’est le nombre d’Avogadro, N_A qui fixe ce nombre d’espèces chimiques présentes dans une mole. Ses estimations les plus récentes donnent :

Cela signifie qu’une mole d’eau pure contient 6.02.10²³ molécules d’H₂O et une mole d’hémoglobine 6.02.10²³ molécules. La mesure du nombre d’Avogadro fait appel à diverses techniques, comme la spectrométrie de masse à très haute résolution. L’incertitude relative de N_A, vaut 5.10^-8. Pour comparaison, celle de la seconde est aujourd’hui de 10^-15. Ainsi, bien que la mole soit l’une des sept unités de base du SI, elle n’est pas matérialisée – ou n’est pas réellement matérialisable – sous la forme d’un étalon primaire, comme l’a été le mètre ou comme l’est encore le kilogramme. La redéfinition de la mole et son rattachement aux autres unités SI, comme le Kelvin ou le gramme, est un sujet récurrent des réunions du CCQM. Mais à cause de l’importance prise peu à peu par le domaine couvert par la métrologie chimique, le CCQM a jugé plus simple de considérer des méthodes de mesure spécifiques, parfois associées à des instruments, qui permettent une forme de matérialisation « primaire ». Depuis 1998, le CCQM a retenu la définition suivante pour ces méthodes :

• Une méthode de mesure primaire est une méthode assurant les plus hautes qualités métrologiques, dont le déroulement peut être entièrement décrit et compris, et dont les incertitudes sont exprimées en unités SI.
• Une méthode directe primaire mesure la valeur d’une inconnue en dehors de toute référence à un étalon de la même grandeur.
• Une méthode de rapport primaire mesure la valeur d’un rapport entre une inconnue et un étalon de la même grandeur ; le déroulement de cette méthode doit être entièrement décrit au moyen d’une équation de mesure.

Des notes explicatives complètent cette définition :

• Une méthode directe primaire peut être employée pour effectuer une mesure traçable au SI en dehors de toute référence à une même grandeur (c’est le cas de la gravimétrie ou de la coulométrie).
• Une mesure traçable au SI peut être effectuée à l’aide d’une méthode de rapport primaire utilisant une référence de la même grandeur, elle-même traçable au SI. Il faut cependant noter qu’une méthode dont le déroulement ne pourrait être entièrement décrit et compris ne saurait être une méthode de rapport primaire.
• Une méthode directe primaire peut être associée à une méthode de rapport primaire pour effectuer des mesures qui gardent leurs qualités primaires (c’est le cas de la spectrométrie de masse avec dilution isotopique ou l’analyse par une méthode gravimétrique d’un additif pur).

Pendant longtemps, la mole avait été le vilain petit canard du SI. Depuis quelques années, le retard a été comblé et si tous les problèmes ne sont pas encore résolus, au moins ont-ils été posés et sont-ils examinés.