Inventeurs et déposants : qui fait quoi ?

Si le droit au brevet appartient en principe « à l’inventeur ou à son ayant cause » (article L.611-6 du Code de la propriété intellectuelle et article 60 de la Convention sur le brevet européen – CBE), dans la majorité des cas, le déposant n’est pas l’inventeur. Dans ce cas, l’inventeur est mentionné comme tel dans la demande de brevet à moins qu’il s’y oppose (article L. 611-9 du Code de la propriété intellectuelle et article 62 de la CBE).

Ces personnes sont distinctement visées dans la demande de brevet. À cet égard, l’article R. 612-10 du Code de la propriété intellectuelle énonce expressément que la requête en délivrance, signée du demandeur ou de son mandataire, comporte :

• la désignation de l’inventeur : si celui-ci n’est pas le demandeur ou en cas de pluralité d’inventeurs, il convient de remplir un « formulaire de désignation d’inventeur » comprenant les nom, prénoms et domicile de l’inventeur ainsi que la signature du demandeur ou de son mandataire ;
• l’identification du demandeur avec la mention de ses nom, prénoms, nationalité ainsi que son domicile (personne physique) ou son siège (personne morale) ;
• le cas échéant, le nom et l’adresse du mandataire.

En matière de brevet européen, l’article 81 de la CBE énonce deux principes :

• d’une part, la demande de brevet européen doit comprendre la désignation de l’inventeur ;
• d’autre part, « si le demandeur n’est pas l’inventeur ou l’unique inventeur, cette désignation doit comporter une déclaration indiquant l’origine de l’acquisition du droit au brevet européen ».

Citation des différents intervenants

La désignation de l’inventeur n’est pas neutre. En effet, à l’égard des inventeurs, celle-ci est susceptible d’ouvrir des droits :

• sur le titre, notamment lorsque le demandeur n’est pas l’ayant cause de l’inventeur (par exemple : action en revendication d’un inventeur stagiaire qui conserve ses droits sur sa contribution inventive) ;
• à une rémunération supplémentaire (invention de mission) ou au versement d’un juste prix (inventions hors missions attribuables), s’agissant des inventeurs salariés.

À l’égard des déposants, la désignation de l’inventeur pourra :

• impacter la quote-part à laquelle ils peuvent prétendre sur la propriété du brevet, notamment lorsque plusieurs inventeurs sont salariés d’entités distinctes ;
• constituer un argument marketing notamment lorsque l’inventeur ou l’équipe d’inventeurs bénéficie d’une certaine notoriété.

En outre, la désignation qui est faite emporte, au profit de la personne mentionnée, une présomption de qualité. Concrètement, cela signifie qu’en cas de contestation relative à l’inventeur désigné, il appartiendra à celui qui conteste cette qualité de démontrer que la personne mentionnée n’est pas l’inventeur réel (cf. notamment CA Paris, Pôle 5 2^e ch. n° 09/28447, 25-1-2012 ; CA Paris, Pôle 5 2e ch. n° 14/16494, 2-10-2015 = > Base de données de l’INPI. Indiquer le n° de l’affaire dans le champ de recherche « Recherche dans les documents en texte intégral »).

Dès lors, la désignation du ou des inventeurs doit faire l’objet d’une attention particulière, ce qui, en pratique, peut être rendu problématique par le fait que le droit français ne donne pas de définition de l’inventeur.

Comment identifier l’(les)inventeur(s) ?

Il faut s’en rapporter à la doctrine et à la jurisprudence. À cet égard, le professeur Mathély considère que la qualité d’inventeur revient à « celui qui conçoit, et réalise l’invention. L’invention consiste dans des moyens propres à procurer un résultat ».

Dans la logique de cette définition, les tribunaux ont pu écarter la qualité d’inventeur :

• au donneur d’ordre qui pose une problématique et confie à d’autres le soin d’y apporter une solution ;
• à celui qui se contente d’exécuter les instructions d’un tiers pour parvenir à l’invention ;
• à celui qui apporte une aide par la fourniture d’informations d’ordre général, la mise au point de schémas ou de calculs ne nécessitant pas d’activité inventive.

À l’inverse, doit être considéré comme inventeur :

• le salarié qui, sans être à l’origine de l’ensemble des caractéristiques protégées par l’invention, démontre avoir fait preuve d’activité inventive dans l’élaboration de plans précisant les « formes et les cotes réalisables industriellement » du produit (Cass. com. n° 06-17915, 20-11-2007) ;
• celui qui démontre être concepteur de tout ou partie de l’invention en y apportant ses connaissances et moyens propres (CA Paris, Pôle 5 2^e ch. n° 12/08798, 24-5-2013, = > Base de données de l’INPI) ;
• le salarié qui, au sein d’une équipe, joue un rôle actif dans la formalisation, le développement technique et la mise au point de l’invention (CA Paris, n° 14/-16494, 2-10-2015, prec. = > Base de données de l’INPI).

Selon les décisions rendues par les tribunaux, la qualité d’inventeur peut être appréciée au regard :

• du brevet dans sa globalité ;
• d’une ou plusieurs revendications (CA Paris 4^e ch. sec. A, 1-3-2006, PIBD 2006 829 III 315) = > Base de données de l’INPI ;
• des schémas ;
• ou encore « de l’invention brevetée » (CA paris, Pôle 5 2^e ch. n° 13/24848, 17-10-2014, = > Base de données de l’INPI).

La variabilité de ces références n’est pas sans incidence. En effet, il n’est pas rare qu’entre la phase de dépôt de la demande de brevet et sa délivrance, les revendications fassent l’objet de modifications de sorte que l’objet de la protection délivrée se trouve restreint par rapport à celui initialement demandé.

Or, si l’appréciation de la qualité d’inventeur peut s’apprécier au regard d’une revendication, il est possible qu’une personne désignée comme inventeur lors du dépôt de la demande de brevet perde cette qualité à la suite de la reformulation des revendications.

Peut-on compléter ou modifier la désignation de l’inventeur après le dépôt de la demande de brevet ?

Le Code de la propriété intellectuelle comme la Convention sur le brevet européen (CBE) permettent de compléter ou modifier la désignation du ou des inventeurs après le dépôt de la demande de brevet.

Lorsqu’aucun inventeur n’a été désigné dans la demande de brevet, l’office (INPI ou OEB) émettra une notification invitant le demandeur à régulariser sa demande « dans un délai de seize mois à compter de la date de dépôt ou de la date la plus ancienne dont bénéficie la demande de brevet ou, si une priorité a été revendiquée, de la date de priorité » (article R.612-11 du Code de la propriété intellectuelle, article R.60 (1) de la CBE).

Si un inventeur initialement mentionné dans la demande doit fait l’objet d’un retrait de désignation, il convient de présenter une requête en rectification de désignation d’inventeurs. Cependant, cette rectification est conditionnée par la production du consentement de la personne désignée à tort, ce qui, a contrario, n’est pas nécessaire lorsque la requête vise à ajouter un inventeur (article R. 611-17 du Code de la propriété intellectuelle, article R. 21 de la CBE).

Enfin, si la requête est présentée par une personne autre que le demandeur ou le titulaire du brevet, le consentement des deux sont requis (article R. 611-17 du Code de la propriété intellectuelle, article R. 21 de la CBE).

Faut-il maintenir la désignation d’un inventeur qui a perdu cette qualité à la suite d’une modification de la demande de brevet ?

La question de savoir si cette personne doit être maintenue comme inventeur est pertinente : la maintenir dans cette qualité lui ouvre droit à une demande de rémunération supplémentaire, par exemple. À l’inverse, la retirer peut être le point de départ d’une contestation sur cette qualité, voire d’une action en revendication.

Afin de limiter cet écueil, il est vivement conseillé de mettre en place des processus permettant de définir et de tracer la participation des divers intervenants à un projet inventif et de déterminer, autant que faire se peut, le rôle et les apports de chacun.

Quels sont les risques attachés à une erreur ou une omission dans la désignation de l’inventeur ?

En l’absence de toute désignation de l’inventeur dans le délai de seize mois suivant la notification de l’office, la demande de brevet est rejetée (article R.612-45 du Code de la propriété intellectuelle et article 60 de la CBE).

La situation est différente en cas d’erreur ou d’omission. En effet, outre le fait que, comme exposé précédemment, ni l’OEB, ni l’INPI ne procèdent à une vérification de l’exactitude de la désignation d’inventeur, ces erreurs ou omissions ne font pas partie des causes de nullité d’un brevet.

Dès lors, aucune annulation n’est encourue à ce titre, quand bien même l’erreur serait-elle volontaire (Cass. com. n° 00-15686, 8-10-2002).

Pour autant, tout risque n’est pas écarté et l’inventeur non mentionné pourra agir :

• sur le fondement de l’article 1240 du Code civil en engageant la responsabilité civile du déposant ;
• par le biais d’une action en revendication si celui-ci estime qu’en qualité d’inventeur, il a également droit au titre ;
• s’il s’agit d’une invention de salarié, devant la CNIS ou directement devant le tribunal afin d’obtenir la reconnaissance de sa qualité d’inventeur et la rémunération correspondante.

Par mesure de sécurité juridique, il est donc indispensable d’identifier et désigner comme inventeur toute personne susceptible de revêtir cette qualité.