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Décryptage

Energies Renouvelables en France. Un ex-directeur de centrale nucléaire et un expert de l’Agence Internationale de l’Energie livrent leurs analyses

Posté le par La rédaction dans Énergie

L’article « Energies renouvelables en France : l’énorme erreur d’Atlantico.fr » à propos de l’étude « Vers une électricité 100% renouvelables en France » réalisée par Artelys, Energie demain et Mines Paristech pour l’Ademe a fait réagir Alain Marcadé, ancien directeur-technique de la centrale nucléaire Saint-Alban (2 x 1300 MW) située dans le département de l’Isère, au bord du Rhône, à 50 kilomètres en aval de Lyon.

Retraité d’EDF, Alain Marcadé a cosigné fin 2014 un courrier destiné aux députés et sénateurs de la région Rhône-Alpes dénonçant le projet de loi de programmation énergétique pour la croissance verte porté par Ségolène Royal. « L’éolien apporte une petite réponse mais il ne remplacera jamais le nucléaire » affirme-t-il. Ceci en fort contraste avec les résultats de l’étude Ademe qui montre par A + B que 63% d’éolien est possible en France. L’Ecosse a produit en 2014 le tiers de son électricité à partir du vent, et la moitié à partir des renouvelables, éolien compris.

Alain Marcadé poste régulièrement des commentaires sur le site actu des Techniques de l’ingénieur, comme par exemple ici où il affirme qu’éolien et PV ne fonctionnent « que seulement 20% du temps en moyenne », ce qui est faux. Un employé du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) est venu à la rescousse d’Alain Marcardé, estimant qu’oser corriger les propos de cet ancien d’EDF constitue « un monument de suffisance » et ajoutant qu’un journaliste n’a pas le droit de qualifier d’exorbitant ou d’astronomique le coût de l’EPR de Flamanville. Techniques de l’ingénieur a alors décidé de consacrer le 28 avril 2014 un article entier pour corriger les propos erronés d’Alain Marcadé.

Alain Marcadé estime à présent que « Rémy Prud’homme (professeur émérite de Paris XII qui commente une étude qu’il a avoué ne pas avoir pas lue ndlr) a parfaitement raison de dire qu’on ne « sait » pas stocker l’électricité en grande quantité. Et Monsieur Multon (Professeur des universités à l’ENS Cachan et agrégé en génie électrique ndlr) nous prend pour des imbéciles en brandissant les STEP : les 5000 MW de puissance installée correspondent à de la …puissance et pas à de l’énergie ! Dit autrement, cette puissance permet de « passer » des pointes de consommation de quelques heures par an, mais certainement pas de compenser de manière continue les milliers d’heures par an où vent et soleil sont insuffisants pour répondre aux besoins. Enfin il est illusoire de vouloir augmenter significativement cette puissance, les sites potentiels étant quasiment tous saturés. ».

Techniques de l’ingénieur a répondu point par point à Alain Marcadé (voir les commentaires qui suivent l’article) mais nous avons souhaité approfondir encore davantage la réflexion. Contacté par Techniques de l’ingénieur, Cédric Philibert, analyste senior à l’Agence Internationale de l’Energie, membre du Comité scientifique de l’étude Ademe, et auteur du rapport de référence « Solar Energy perspectives » a répondu à nos questions.

Cédric Philibert

Techniques de l’ingénieur : Les propos d’Alain Marcadé sont-ils exacts concernant le stockage hydraulique gravitaire ?

  • Cédric Philibert : Ce type de réaction repose sur des idées préconçues sur les STEP, très répandues mais erronées. Les erreurs d’Alain Marcadé sur le stockage et les STEP vont bien au-delà de se tromper d’interlocuteur… D’abord, les 5 GW de STEP françaises ne servent pas « quelques heures par an ». Si le volume de stockage est en effet de « quelques heures », soit de 15 à 50 GWh par GW selon les STEP, elles peuvent être remplies et vidées plusieurs fois par semaine. Leur potentiel total n’est donc pas limité par le volume de stockage mais par leur puissance et leur efficacité d’environ 75%, c’est-à-dire qu’elles peuvent fonctionner en turbines pendant environ 10 heures par jour si on les fait fonctionner en pompe pendant 14 heures. Leur volume permet donc le stockage quotidien, et pour certaines hebdomadaire, de l’électricité, entre les pointes de production variable et les pointes de demande.

Techniques de l’ingénieurSi les STEP sont parfaitement adaptées à l’échelle journalière et hebdomadaire, permettent-elles d’envisager un stockage inter-saisonnier ?

  • Cédric Philibert : Non, les STEP ne permettent pas d’envisager un stockage inter-saisonnier. C’est donc principalement sur la diversité vent soleil qu’il faut jouer pour répondre aux variations saisonnières de la production renouvelable et de la demande (c’est précisément l’objet de l’étude, où il est démontré que passer au 100% renouvelable est possible tant d’un point de vue technique qu’économique, ndlr).

Techniques de l’ingénieurAlain Marcadet estime qu’« il est illusoire de vouloir augmenter cette puissance, les sites potentiels étant tous saturés ».

  • Cédric Philibert : Il y a deux erreurs dans cette seule phrase. Il y a d’abord là une confusion… entre puissance et énergie ! Sur un site donné, d’un volume donné déterminé par la taille du plus petit des deux réservoirs, on peut toujours augmenter la puissance, mais on risque de réduire le nombre d’heures de disponibilité. Mais si les STEP doivent fonctionner deux fois par jours, c’est envisageable.   Autre confusion, plus importante : la confusion entre hydroélectricité et STEP, qui amène à dire que les sites potentiels sont saturés. C’est vrai pour l’hydraulique, cela ne l’est pas pour les STEP, dont l’emprise au sol est beaucoup plus petite. Il ne s’agit pas d’accumuler des semaines ou des mois de précipitations. A preuve, cette étude de JRC (disponible ici ndlr) qui montre l’énorme potentiel – en volume cette fois – des STEP en France, comparé à l’existant. Un potentiel de 4 TWh, si on prend un volume de 100 GWh par GW de STEP cela veut dire une puissance de 40 GW. C’est d’ailleurs ce que nous disent les professionnels de l’hydroélectricité, tant chez EDF que chez GDF : « on pourra couvrir les besoins, dès lors qu’on aura un modèle d’affaires qui rémunère le stockage ». Et ceci sans parler des STEP littorales de François Lempérière (solution qui suscite un fort intérêt, notamment au Chili, ndlr).

[Fin de l’interview]

Les Pays-bas (NorNed) et le Danemark sont dès à présent reliés par câble HVDC sous-marin au réservoir hydroélectrique scandinave (norvégien en particulier). L’Allemagne et la Grande-Bretagne vont l’être. La France peut l’être aussi si nécessaire, mais il existe d’autres options disponibles, comme le montre l’étude Ademe.

Selon Steinar Bysveen, directeur général de Statkraft, le plus grand producteur européen d’énergies renouvelables et la première compagnie d´électricité en Norvège : « La Norvège dispose d’une abondante ressource hydroélectrique, avec 50% de la capacité européenne en réservoirs. L’hydro norvégien a fourni le back up nécessaire aux investissements éoliens au Danemark. Le même concept peut être utilisé en Allemagne, au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe. Passer à de hauts niveaux d’éolien dans ces pays requiert un système d’appoint. Nous pouvons le fournir grâce au pompage. Aujourd’hui, le niveau maximum d’hydroélectricité que nous pouvons délivrer est limité par le volume des précipitations pluvieuses ou neigeuses. Mais si nous pouvons pomper, alors nous pourrons délivrer tout ce que nous voulons. »

Pendant que les Français discutent, entre janvier et mars 2015 (3 mois) la Chine a ajouté autant de panneaux solaires que la France en un quart de siècle. En France le premier panneau solaire a été connecté au réseau électrique d’EDF en 1992, installé par l’association HESPUL sur une maison située à proximité du très contesté réacteur nucléaire Superphénix.

Les nouveaux panneaux chinois du premier trimestre 2015 produiront une quantité d’électricité équivalente à celle délivrée par un réacteur nucléaire…Que la France construit depuis 15 ans et qui entrera en service, au mieux, dans 3 ans. Soit un total de 18 ans. Presque un cinquième de siècle.

La mort chaude

Après-coup, Alain Marcadé écrit: « Je viens de me procurer le rapport de l’ADEME, je vais donc l’analyser pour argumenter au plus près de son contenu. D’ores et déjà, deux aspects me choquent : – la promotion qu’un média comme le vôtre fait à un document qui n’est pas abouti, de l’aveu même de leurs auteurs ». Ce qui est en réalité choquant, c’est que deux personnes, Rémy Prud’homme et Alain Marcadé, se soient permises de commenter un rapport qu’elles n’avaient même pas lu.

Alain Marcadé ajoute: « et le fait que vous répondez en méconnaissant des ordres de grandeur, caractéristique première pourtant du raisonnement d’un ingénieur : les rejets thermiques des centrales nucléaires (ou fossiles d’ailleurs) correspondent à des énergies infinitésimales par rapport à celles en jeu dans le réchauffement climatique ! ». Savoir lire, que l’on soit ou pas ingénieur, est utile dans un débat: il n’est absolument pas question de réchauffement climatique global mais de pollution thermique de l’eau et de l’air, à l’échelle locale. Il s’agit d’un problème très sérieux. « En effet, le réchauffement des lacs, des cours d’eau provoqué par le rejet des eaux de refroidissement des activités industrielles et des centrales électriques nucléaires peut grandement impacter les environnements aquatiques et leur biodiversité » (Suite ici). Dès 1974 Cédric Philibert alertait sur cette menace, dans un article intitulé « la mort chaude« .

Pour Alain Marcadé « le fait d’afficher de telles certitudes à des dirigeants imprégnés d’idéologie Verte ne peut que les conduire à « mettre la charrue avant les bœufs » et prendre des décisions sur des bases risquées qui pourraient plonger encore plus profondément notre pays dans la crise ». Face à la bérézina technique et financière de l’EPR ce commentaire politique est pour le moins osé. Le géant français EDF, lui, face aux déboires de l’EPR et à la chute impressionnante des coûts du solaro-éolien, semble entamer un changement de paradigme. EDF EN ouvre une filiale au Chili pour y construire de grandes centrales solaires. Le nouveau PDG du fleuron Français, Jean-Bernard Lévy, vient de publier le 21 avril dans Les Echos une tribune visionnaire où énergies renouvelables décentralisées, outils de stockage et smart-grids sont à l’honneur.

Mais sans doute que le PDG d’EDF, lui aussi, tout comme la silicon valley, est peu à peu « imprégné d’idéologie verte ».

Propos recueillis par Olivier Daniélo

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