En quoi la réalité virtuelle permet-elle d'améliorer la prise en charge du handicap ? Evelyne Klinger fait le point sur la valeur ajoutée de cette technologie tant au niveau de la motivation du patient, de la validité écologique, de la sécurité, ou encore de l'objectivité.
Pouvez-vous nous présenter les activités de l’Entité Handicaps et Innovations Technologiques des Arts et Métiers ParisTech ?
Evelyne Klinger : « L’Entité Handicaps et Innovations Technologiques fédère les intérêts communs de Laval Agglomération, du Conseil Général de la Mayenne et des Arts et Métiers ParisTech pour les applications thérapeutiques de la réalité virtuelle. Elle a été créée à Laval le 1er septembre 2006, sous ma responsabilité, au sein de l’Equipe Présence et Innovation (LAMPA, CER-ENSAM Angers). Nos activités de recherche visent la conception, le développement et l’intégration de modèles, de méthodes et de systèmes fondés sur les technologies de la Réalité Virtuelle pour répondre au besoin d’outils de prise en charge des dysfonctionnements humains. Nous travaillons plus particulièrement sur la mise en place de méthodes de rééducation des fonctions exécutives chez les patients cérébrolésés.Nous développons aussi des actions de sensibilisation au handicap dans les contextes de la malvoyance et de l’accessibilité.
Nous œuvrons également au partage et à la diffusion des informations concernant l’usage de la réalité virtuelle dans les domaines de la santé et du handicap grâce à notre réseau d’intérêt, le réseau ThéRV.
Que peut apporter la réalité virtuelle à la prise en charge des handicaps ?
La prise en charge de personnes souffrant de handicap se fait dans le souci de leur évolution psychologique et motrice, de la reprise de leurs activités de vie quotidienne, ou encore du maintien de leur autonomie. Afin d’améliorer l’efficacité de cette prise en charge, diverses mesures doivent être mises en œuvre comme le dépistage précoce des dysfonctionnements neuropsychologiques et moteurs, le développement d’outils de diagnostic sensibles, l’évaluation des conséquences en vie quotidienne, ou encore la mise en place et l’évaluation de rééducation. Diverses approches de prise en charge ont été développées au fil des ans par l’ensemble des soignants et encadrants qui en soulignent certaines limites dont le manque de transfert et de généralisation des acquis ou encore le manque de validité écologique. Les technologies de la réalité virtuelle permettent de proposer une nouvelle approche, interactive, sécuritaire, accessible quel que soit le handicap, et motivante
Quels sont les atouts de la réalité virtuelle par rapport aux méthodes de prise en charge classiques ?
La réalité virtuelle présente des atouts dans la prise en charge du handicap et ceux-ci peuvent être déclinés selon deux aspects, selon qu’ils proviennent de l’usage des techniques ou selon qu’ils bénéficient au contexte humain. D’un point de vue technique, la réalité virtuelle est à la fois fondée sur les potentiels de l’informatique et sur ses caractéristiques propres que sont la 3D, le temps réel, l’interaction et l’immersion. Elles permettent, par exemple : d’engager l’utilisateur, en toute sécurité, dans des séances d’évaluation ou d’entraînement contrôlées ; de capturer, en temps réel, l’activité et la performance du participant selon des composantes variées (comportementales, cognitives, motrices, physiologiques), et de les enregistrer pour une utilisation ultérieure ; de produire, en temps réel, un retour d’information au participant sous une grande variété de formes et de modalités sensorielles (visuelles, sonores, tactiles, olfactives, haptiques). La réalité virtuelle permet de produire et de gérer des stimuli multi sensoriels variés et ainsi de créer, à partir de bases d’environnements, des situations virtuelles adaptées à des objectifs thérapeutiques divers. D’un point de vue humain, la réalité virtuelle permet de proposer des exercices attractifs qui augmentent la motivation des participants à s’entraîner, à faire des efforts. Elle favorise la personnalisation des séances d’entraînement, en adaptant la complexité de la tâche aux capacités du participant et à sa progression. Certaines études ont montré que les capacités acquises dans le monde virtuel pouvaient être transférées dans les mêmes activités du monde réel, voire généralisées à d’autres applications. C’est ce qui fait notamment l’intérêt de la réalité virtuelle en formation (cf les simulateurs de vol).
Quelles en sont les limites ?
Les limites de l’utilisation de la réalité virtuelle sont rencontrées quel que soit son domaine d’utilisation, mais sans doute faut-il leur attacher plus d’attention dans les domaines de la santé et du handicap du fait des limitations des capacités des personnes.
Lorsque l’on immerge une personne dans un environnement virtuel, on peut induire des incohérences sensorimotrices et cognitives à cause, par exemple, de paramètres mal adaptés. Par exemple, ce que l’on perçoit visuellement n’est pas en rapport avec ce que l’on perçoit au niveau tactile ou proprioceptif, et notre cerveau éprouve des difficultés à fusionner les informations. Le participant peut ainsi ressentir des malaises, appelés cinétose, et proches du mal des transports. Actuellement, les modalités sensorielles sollicitées sont encore souvent limitées aux modalités visuelles et auditives et l’implication sensorimotrice est souvent rudimentaire.
Du point éthique et culturel, tous les potentiels de la réalité virtuelle ne demeurent des atouts que dans la mesure où leur utilisation n’entraîne pas de nuisance pour l’utilisateur. Par conséquent, dans le contexte de la prise en charge du handicap, un contrôle préalable des participants avant la confrontation au monde virtuel semble nécessaire pour évaluer les risques. Il est également nécessaire de vérifier, après une séance de réalité virtuelle, que le participant a bien conscience de son retour dans le monde réel. Sera-t-il par exemple raisonnable de faire une séance de conduite en réalité virtuelle avant de prendre réellement le volant ?
Pouvez-vous donner quelques exemples d’environnements virtuels utilisés à des fins cliniques ?
Je citerai tout d’abord l’exemple que je connais le mieux, le VAP-S, pour l’avoir conçu et développé avec le Dr Rose-Marie MARIE, neurologue au CHU de Caen, en 2002. Il s’agit d’un supermarché virtuel qui permet de mettre en place des procédures d’évaluation et de rééducation des fonctions exécutives. L’outil est d’emploi facile après une courte familiarisation et ne nécessite pas d’interface informatique sophistiquée. Il est actuellement utilisé dans des collaborations cliniques avec le CHU de Bordeaux et l’université de Haïfa en Israël.Je citerai également le système commercialisé par le groupe GestureTek situé à Toronto au Canada. Il propose une technologie fondée sur la vidéo immersive qui place le participant dans un environnement ludique et interactif tandis qu’il est guidé dans des exercices de rééducation motrice prescrits par le thérapeute.
Quels sont les défis à relever pour que ces techniques se développent ? Pour qu’elles soient acceptées par les patients et par les thérapeutes ?
Les solutions commerciales sont encore rares. Un des premiers défis sera de faire sortir des laboratoires les projets menés lors de collaborations scientifiques entre chercheurs issus des Sciences de l’Ingénieur et des Sciences Humaines. La motivation des industriels pour ce nouveau domaine d’application de leurs technologies nous permettra de le relever.Nous devons particulièrement nous soucier de créer des systèmes de réalité virtuelle qui soient accessibles à chacun, quel que soit son niveau d’éducation, quel que soit son niveau social, quel que soit son éloignement par rapport au centre de soins. L’introduction large de ces outils dans les établissements de rééducation ou en ambulatoire conduira vers un bouleversement des pratiques thérapeutiques. »
Les fonctions exécutives sont définies comme l’ensemble des processus nécessaires à la réalisation et au contrôle des actions et des comportements dirigés vers un but. L’altération de ces processus est une séquelle fréquente après traumatisme crânien ou lors de certaines pathologies neurodégénératives. Conduisant à un handicap sévère, elle compromet l’autonomie des personnes. La validité écologique est le degré de pertinence présenté par un système d’entraînement par rapport au monde réel.
En savoir plus :
Evelyne Klinger est Responsable Entité Handicaps et Innovations Technologiques aux Arts & Métiers ParisTech Angers – P&I Lab
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