Alors qu’initialement le Lean est apparu dans les ateliers de production, il a peu à peu connu un déploiement à d’autres fonctions de l’entreprise, à l’image de la R&D. Tel est le cas de Toyota dont un des avantages concurrentiels tient dans le caractère Lean de son processus de développement de nouveaux produits. Une démarche qui n’est pas réservée à l’automobile soutient Philip Marris, Fondateur et Directeur Général de Marris Consulting. Explications.
Une des clés de la bonne santé et de la performance d’un industriel s’avère être bien souvent sa capacité à lancer régulièrement et rapidement de bons nouveaux produits ou de bonnes nouvelles versions de produit. Mais sur quels critères ou caractéristiques l’entreprise doit-elle se baser pour qualifier un produit de bon ou de « Lean Inside » ? Ils doivent :
- être facilement fabricables : le temps entre le premier de série et la production stabilisée reste court, ils ne présentent pas d’incompatibilité avec les moyens de production existants et ils sont excellents du premier coup ;
- présenter la qualité et les fonctionnalités attendues : les lancements se font à la date prévue, sans dérapage des coûts de développement et sans perte de fonctionnalités au regard de celles désirées par le client ;
- être immédiatement fiables : l’achat des premiers modèles peut se faire sans crainte alors que dans le cas d’un industriel « non Lean », ces produits connaissent d’importants problèmes de fiabilité, de performance ou de fonctionnalité.
Les gisements de progrès qu’adresse le « Lean Engineering »
Les résultats étonnants obtenus par les entreprises qui industrialisent leurs produits selon cette approche proviennent d’actions sur :
- une conception qui prédétermine la majeure partie (75%) des coûts et de la qualité d’un produit tout au long de sa vie. Une fois un produit lancé, il ne reste que quelques leviers de progrès, essentiellement en production, pour l’améliorer ;
- un processus de développement très loin d’avoir été optimisé : beaucoup de simples bonnes pratiques, en particulier dans les entreprises occidentales, ne sont en réalité pas complètement appliquées, la faute à une relative faiblesse de l’efficacité managériale ;
- une frontière, entre la recherche et le développement non maîtrisée : de la recherche, au sens essais de solutions, se poursuit lors du développement / industrialisation avec pour conséquence de nombreux allers-retours au cours de ce process, donc des coûts en temps et en argent pénalisant pour la qualité finale du produit.
Ne lancer que des produits « Lean Inside » permet d’être sûr qu’ils ne perturbent pas la production, le réseau commercial ou les services après-vente. Alors que bien souvent des unités de production réussissent leur démarche « Lean », elles continuent de subir chaque lancement de nouveaux produits : impossibilité à fabriquer, non prise en compte de la capabilité des ressources, nomenclatures non abouties, augmentation de la variété des composants sans raison réelle…
Ainsi, en appliquant le Lean Engineering, la fiabilité d’un produit relève plus de la manière de le développer que de la façon de le produire.
Le Lean Engineering comme reproduction du Lean Manufacturing sur les projets
La philosophie se veut la même, les outils différent. Le Lean Engineering ou Lean Product Development (LPD) n’est en fait que l’application des principes du Lean Manufacturing à la R&D, au Bureau d’Etudes et aux Méthodes. Les défis restent identiques : comment appliquer la démarche quand on ne fabrique pas de voitures ? Comment l’adapter à la culture de mon entreprise et de mon pays ? Que faut-il reproduire ou pas du système Toyota ?
Pour rassurer les industriels possédant déjà une expérience du Lean Manufacturing, le Lean Product Development requiert les mêmes basiques. En ayant déjà renforcé le poids du terrain dans son management de production et intégré l’importance de la chasse aux pertes, ces entreprises connaitront moins de difficultés à faire de même avec leurs développeurs.
L’efficacité managériale comme incontournable
Les sociétés qui ont persévéré dans le Lean Manufacturing ne seront pas surprises de constater que l’essentiel du Lean Product Development consiste à faire évoluer le management individuel et collectif ainsi qu’à développer de nouveaux comportements.
Un des changements repose sur la mise en place de chefs de projet aux attributions très étendues, allant de la définition du besoin client, au début de la vie du produit. Ces hommes clés ne décident pas des options techniques mais consacrent leur énergie à susciter un consensus autour des choix à effectuer, et sont donc conduits à être de vrais managers. Ils incitent les développeurs à générer de vraies courbes de « trade-offs » puis à argumenter sur cette base, et ne se comportent ni en ingénieur ni en expert.
Cette transformation se heurte à de multiples barrières telles que le déficit de compétences managériales de ces populations ou l’absence d’exigence en termes de respect des délais, des spécifications et du budget d’une étape projet.
Le recours à des techniques simples mais puissantes
Concernant l’utilisation des ressources, le Lean Product Development conduit à faire un peu l’inverse de ce qui se pratique habituellement. En effet, le Front Loading en mobilisant un maximum de ressources en début de projet, se situe presque à l’opposé de la caricature du projet mal géré et des pratiques bien souvent constatées dans certaines entreprise.
Sur le plan méthodologique, le Lean Product Development utilise des outils et techniques simples à l’image du « Visible Planning » qui vise à améliorer, de plus de 50%, l’efficience du processus de pilotage de projet par le partage visuel des informations sur les tâches et leur enchaînement au moyen de post-it. Cela constitue aussi un moyen d’introduire l’amélioration continue dans la gestion de projet et de traquer les « Mudas » (pertes ajoutées) tel que le retard pris dans le démarrage d’une tâche par manque de données d’entrée.
Le « Knowledge » ou la gestion des connaissances au cœur de l’approche
Une des clés de la réussite des projets permettant de réduire le cycle de développement ou de ne pas se retrouver dans des impasses techniques consiste à répertorier systématiquement toutes les approches possibles et impossibles pour atteindre une spécification fonctionnelle. Il faut noter et archiver, dans une base de connaissances, ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, pour ensuite être capable d’aller y trouver une solution à un problème ou une étude ayant antérieurement montré une non faisabilité.
Cette organisation de l’expérience acquise lors de projets précédents doit également permettre à l’entreprise de conduire en parallèle plusieurs alternatives par projet, aussi bien au niveau du design que des fonctionnalités. Cette démarche dite « d’alimentation des nouveaux projets par l’avant » (ou Feed Forward), donne aux sociétés la possibilité de retarder leur prise de décision sur une solution tout en se sécurisant sur le fait d’avoir, au terme du projet, au moins une solution opérationnelle. Même si ce thème relatif à la gestion des connaissances semble évident, il reste encore balbutiant dans de nombreuses entreprises, y compris celles dont la gestion de projet représente pourtant le cœur de leur business.
Des résultats au-delà des attentes
Le Lean Engineering ou Lean Product Development donne ou renforce les atouts concurrentiels des entreprises qui l’appliquent avec :
- des produits manufacturables dont le « Ramp-up » (temps entre le premier de série et la production stabilisée en cadence et qualité) en production s’effectue en moins de deux semaines ;
- un « Time To Market » de la moitié de celui des concurrents ;
- une créativité forte mais maîtrisée basée sur une capitalisation du savoir-faire et des expériences projets précédentes.
par Philip Marris, Fondateur et Directeur Général de Marris Consulting
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