Scientifiques, ONG et fonctionnaires européens sont de plus en plus nombreux à s'inquiéter des conséquences de la contribution de la biomasse aux objectifs d'énergies renouvelables de l'UE pour 2020.
Le 29 mars dernier, le Parlement européen a demandé que les règles de calcul des émissions de carbone soient révisées en ce qui concerne les émissions générées par la biomasse. Dans les cercles européens, le sujet est d’importance.
« Nous payons les gens pour qu’ils abattent leurs forêts au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et nous continuons d’émettre plus de carbone. Personne ne daigne pourtant analyser la situation », a expliqué à EurActiv une personne proche du dossier.
Environ la moitié de l’objectif européen de 20 % d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d’ici 2020 dépendra de la biomasse issue de sources telles que le bois, les déchets et les cultures et résidus agricoles, selon les plans d’action nationaux des Etats de l’UE.
Le bois représente une bonne part de cet objectif et est considéré par l’UE comme « neutre en carbone», ce qui entraîne l’octroi de subventions, de tarifs de rachat et de primes au niveau national.
Toutefois, en raison du décalage entre la dette carbone causée par la coupe d’un arbre qui est ensuite transporté et brûlé, et le temps qu’il faut pour qu’un nouvel arbre soit suffisamment développé pour absorber autant de carbone que celui d’avant, la biomasse accroît les concentrations de CO2 dans l’atmosphère.
Neutralité carbone
« Il est faux de prétendre que la bioénergie est neutre en carbone par définition, tout dépend de ce qu’on utilise pour la remplacer », a expliqué à EurActiv Bruxelles le professeur Delfet Sprinz, directeur du Comité scientifique indépendant qui conseille l’Agence européenne pour l’environnement (AEE).
« Si vous remplacez une forêt en pleine croissance par des cultures énergétiques conformément aux règles de calcul actuellement en vigueur dans l’UE, il est possible que vous accroissiez les émissions de gaz à effet de serre. »
En septembre dernier, le Comité scientifique de l’AEE a affirmé dans un avis qu’une législation qui encourageait le remplacement des carburants fossiles par des bioénergies, sans prendre en compte la source de la biomasse, pourrait résulter en une augmentation des émissions de carbone, accélérant ainsi le réchauffement climatique.
Le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme lui aussi que la biomasse ne peut être considérée comme neutre en carbone que si tous les impacts sur l’utilisation des terres ont été pris en compte.
L’UE est consciente de ce problème. Une proposition visant à établir des critères contraignants pour la biomasse dans la production énergétique est attendue pour cette année. Mais elle pourrait être à nouveau reportée.
Les pays scandinaves riches en forêts s’opposent à ces nouveaux critères, la Finlande et la Suède produisant 20 % et 16 % respectivement de leur énergie à partir de la biomasse. L’industrie, quant à elle, serait surtout en faveur de critères qui ne prendraient pas en compte les émissions de la combustion et les pertes de carbone résultant de la combustion du bois.
Les Etats-Unis ont une longueur d’avance sur l’Europe en matière de critères de durabilité. L’Environmental Protection Agency américaine a déjà mené une consultation publique sur la manière de calculer les émissions issues de la combustion de la biomasse et a soumis une proposition législative.
L’UE au désespoir
Plusieurs fonctionnaires européens ont fait part de leur préoccupations à EurActiv Bruxelles sur le manque d’enthousiasme pour la mise en place de règles de calcul plus strictes par la DG Energie responsable de la biomasse.
« Je ne pense pas qu’ils aient l’intention de prendre en compte les émissions de carbone issues de la combustion du bois. Ils ne sont pas convaincus qu’il s’agit d’un problème suffisamment important », a expliqué l’un d’entre eux.
Le modèle de production et d’utilisation de la biomasse empêcherait-il une réduction de 20 % des émissions de carbone d’ici 2020? « C’est sûr à 100 %, car il est peu probable que la biomasse [tirée du bois] n’accroisse pas les émissions. La seule question est de savoir pour combien de temps », a indiqué cette même source à EurActiv Bruxelles.
Aucune données fiables n’existent sur la durée pendant laquelle l’Europe souffrira du « déficit carbone » causé par l’utilisation de la biomasse pour l’énergie, et surtout par la coupe de bois.
Mais « le risque de générer des émissions pendant trop longtemps est très élevé selon moi », a affirmé ce fonctionnaire. « Il existe un risque significatif que nous voyions les émissions croître pour des décennies. »
Déficit carbone
Tout le monde s’accorde sur le fait que si le déficit carbone s’étend au-delà de 30-50 ans, la stratégie de décarbonisation de l’Europe d’ici 2050 se révèlera inutile.
Le mois dernier, le Southern Environmental Law Center américain qui a utilisé de la biomasse ligneuse pour définir un modèle d’expansion des capacités de production a révélé dans un rapport qu’il faudrait 35 à 50 ans pour que cette technique réduise réellement les émissions de carbone.
La biomasse issue des déchets compostés ou des résidus agricoles est un moyen très efficace pour réduire les émissions de carbone, mais ses détracteurs affirment que dans la plupart des cas, l’UE ne dispose que d’une définition vague et mal conçue de ces résidus.
Elle ne prend par exemple pas en compte l’impact que l’enlèvement des résidus agricoles comme la paille peut avoir sur la réduction du stock de carbone des sols pouvant entraîner un recours accru aux engrais et à l’irrigation, ainsi que des rendements plus faibles.
Un arbre coupé produit immédiatement du bois avec une empreinte carbone plus élevée que le charbon, car brûler un arbre vieux de 100 ans entraînera la libération dans l’atmosphère de tout le carbone qu’il a absorbé et il faudra 100 ans avant qu’un autre arbre puisse absorber la même quantité de carbone.
Les règles de calcul actuelles de l’UE n’opèrent pas de distinction entre les résidus ou le bois utilisé de cette manière et les biomasses plus durables, leur accordant à tous la caquette de « neutres en carbone », sans prendre en compte le temps nécessaire pour la récupération des avantages perdus.
« Ces calculs n’ont tout simplement pas été effectués », estime une source européenne. « Personne n’a examiné ce problème avec suffisamment de sérieux. » EurActiv.com – Rédaction de Bruxelles traduit de l’anglais
Source : Euractiv.fr
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