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Décryptage

L’énergie hydraulique en mer : le cas des atolls de stockage

Posté le par La rédaction dans Environnement

Un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques du Sénat préconise le stockage en masse d'énergie hydraulique au moyen d'atolls artificiels. Le rapport s'appuie sur un exemple, soumis par François Lampérière, expert mondialement reconnu dans le domaine des barrages.

Les « stations de transfert d’énergie par pompage » (STEP), c’est-à-dire les retenues d’eau alimentant une turbine, représentent à ce jour la technologie permettant de stocker le plus d’énergie et de délivrer la plus grande puissance, avec un rendement inégalé de 90 % au pompage comme au turbinage. Soit un rendement total d’environ 80 % sur un cycle de stockage / déstockage. En outre, leur utilisation ne dégage pas de gaz à effet de serre. François Lampérière, expert mondial, prend l’exemple d’un atoll de stockage situé en bord de mer, hypothétiquement situé dans les Pays de Caux.

Les hypothèses d’aménagement
Il s’agirait d’un stockage de 160 GWh pour une puissance de 5 GW. Ce stockage serait constitué par un bassin de 5,5 km de diamètre, adossé à la falaise sur 3 km : le niveau maximum du réservoir, proche de la crête de la falaise, est 90 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer. Son exploitation (entre 50 et 90 m de charge sous 70 m de charge moyenne, avec un rendement de 0,9) permet de stocker une énergie (en GWh par km²) égale à : ((106 × 40 × 70 × g × 0,9) / (3600 x 106)) = 7 GWh. Ce chiffre représente (3.600 × 106) 160 GWh pour une surface de 23 km².

Un aménagement en trois parties
Les travaux nécessaires à un tel projet sont conséquents. Tout d’abord, il s’agit d’installer :
  • Le brise lames, à une centaine de mètres à l’extérieur du pied de la digue principale, d’une longueur totale de 15 km, arasé au niveau des plus hautes mers, limitant ainsi la protection de la digue elle-même à des vagues intérieures faibles et exceptionnelles. Sur les 10 km où la profondeur est voisine de 20 m sous les basses mers le brise lames peut être, pour des raisons de délai, réalisé par des caissons en béton armé (analogues aux caissons récents de Tanger ou à la jetée de Dieppe). Les caissons peuvent être préfabriqués, par exemple au Havre, à Dieppe ou à Dunkerque. Les amorces peuvent être réalisées sur le modèle de la digue d’Antifer (port pétrolier du Havre). Le délai de construction du brise lames est de l’ordre de 3 ans.
  • La digue principale du bassin atteindrait 120 m de hauteur maximale et 115 m en moyenne (dont 25 m sous le niveau des hautes mers). La fondation est en matériaux sablo-graveleux sur un fonds rocheux (craie). L’essentiel de la digue peut être constitué de matériaux sablo-graveleux dragués au large de l’aménagement. Il existe dans le monde 10 barrages en sablo-graveleux à étanchéité amont d’une telle hauteur. 10 autres sont en construction et 10 en projet. Une pente amont de 1,5/1, une pente aval de 2/1 en moyenne sont probables. Dans le cas présent, l’étanchéité amont peut se faire en revêtement flexible pour la partie à sec, en paroi moulée sous l’eau. Le parement extérieur de la digue peut être revêtu en terre végétale et arboré pour des raisons d’environnement. Le délai d’exécution de la digue peut être de 4 ans, commençant 6 mois avant l’achèvement du brise lames.
  • L’usine comportant 25 à 30 groupes de 150 à 200 MW aurait une longueur de 700 m environ. Le barrage de prise d’eau, de profil classique est constitué en grande partie de béton compacté au rouleau à base de sablo-graveleux dragué, donc à faible coût. L’usine et les groupes sont classiques. Tous ces ouvrages sont au voisinage de la falaise et fondés au rocher à l’intérieur d’un batardeau de faible hauteur. Le matériel électromécanique peut être amené par mer en très gros éléments, ce qui devrait réduire les coûts. L’usine peut être implantée près de la falaise soit à l’Est du bassin, soit à l’Ouest.
Un délai total de 6 ans et demi pour la mise en eau est probable, avec mise en service progressive des groupes de pompage entre 6 ans et demi et 8 ans.

Un coût avoisinant les 6 milliards d’euros
Au niveau du calcul des coûts, l’évaluation financière quant à l’installation du brise lames et de l’usine aboutit aux résultats suivants. Pour le brise lames, on peut se référer à l’exemple du brise lames de Tanger. Exposé à des houles plus fortes, son prix de revient est nettement inférieur à 50 millions d’euros par km, pour une longueur beaucoup plus courte. Un coût moyen de 50 millions d’euros par km paraît ici conservatif. Le coût principal de la digue, d’une longueur totale de 13 km est constitué par le remblai, d’un volume total de 13.000×21.000 = 275 millions de m³. On peut utiliser quelques millions de m³ de craie, mais l’essentiel serait du matériau sablo-graveleux dragué en moyenne à 5 ou 10 km. La partie basse de la digue pour la moitié du volume pourra être mise en place par dragues (voir le schéma ci-dessous), la moitié supérieure nécessitant une reprise terrestre, probablement par bande transporteuse. Le coût probable serait de 3 euros pour la partie basse et de 6 euros pour la partie haute. On admet un prix moyen de 5 euros. Dans le détail, le coût des opérations par mètre carré serait le suivant :
  • Le revêtement étanche réalisé à sec est de 150×13.000 = 2 millions de m² à 100 euros/m²
  • L’étanchéité sous l’eau est assurée par 40 m×13.000 = 0,5 millions m² de paroi moulée à 300 euros/m²
  • Le revêtement extérieur est de 2 millions de m² (terre végétale et arbres) de l’ordre de 50 euros/m².
On peut donc en déduire les coûts suivants (en millions d’euros) :
  • Le brise lames : 15 km x 50 = 750
  • Remblais de digue : 275 millions x 5 = 1.375
  • Revêtement : 200 + 150 + 100 = 450
On arrive donc, en additionnant ces montants, à un total de 2,575 millions d’euros pour l’aménagement de ces installations.En ce qui concerne l’usine, les dépenses seraient les suivantes (en millions d’euros) :
  • Prise d’eau : 3 x 100 = 300
  • Génie civil : barrage en béton de 3 millions de m³ + 750.000 m³ pour l’usine = 600
  • Batardeau et terrassement : 100
  • Matériel électromécanique : 400 €/kWh x 5 = 2.000
On arrive ainsi à un total de 3 milliards d’euros pour la construction de l’usine et sa mise en fonctionnement. La totalité de l’aménagement coûterait donc 5,575 milliards d’euros. En arrondissant ce chiffre à 6 milliards pour 5 GW, on obtient donc un coût moyen de 1.200 €/kWh. Un coût moyen, du même ordre que les aménagements mondiaux récents de pompage entre deux lacs. Un seul atoll de stockage, de 5 kilomètres de diamètre, pourrait compenser l’indisponibilité, pour cause d’absence ou d’excès de vent, de l’équivalent d’un cinquième du parc éolien français prévu pour 2020 (25 GW) pendant 32 heures, c’est-à-dire une journée et demi.C’est dire s’il s’agit d’un instrument bien dimensionné pour répondre à la difficulté fondamentale posée par l’intégration des énergies renouvelables au réseau d’électricité, à savoir leur intermittence. Le coût d’un atoll est du même ordre que celui d’une centrale nucléaire.

 
Article issu du « Rapport sur l’Évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d’énergie » par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés

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