Avec une perte annuelle pré-évaluée à 4,9 milliards d'euros en 2014, les choix stratégiques d'AREVA suscitent de profondes inquiétudes.
« Un Fukushima industriel », « Areva est aujourd’hui comme une centrale nucléaire dont le cœur est en fusion et l’enceinte de confinement prête à céder », « des choix désastreux », Jean-Michel Bezat du journal Le Monde ne mâche pas ses mots pour qualifier le naufrage financier du champion du nucléaire Français. Pour Capital.fr il s’agit de « pertes astronomiques », d’un « montant pharaonique ». La rédaction de Boursier.com souligne les pertes liées aux « contrats dont la réalisation a complètement déraillé, à l’image du chantier finlandais de l’EPR d’Olkiluoto 3 ». Selon Les Echos, « l’avenir d’Areva est en jeu » et le fleuron national est en « état d’urgence », « en fusion », Areva « frôle le précipice », « c’est l’avenir de l’ensemble du pôle nucléaire Français qui se joue ».
C’est que les pertes du groupe, sauf pour celles et ceux qui préfèreraient continuer avec la stratégie de l’autruche, sont objectivement exorbitantes. En 2013, elles étaient de 500 millions ce qui était déjà beaucoup. Mais en 2014 le gouffre s’est approfondi de 880%, d’un facteur 10, frôlant les 5 Mds d’€ de pertes. A titre comparatif le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale a été, à l’échelle nationale, de 7,3 Mds d’€ en 2014 et celui du Fond de Solidarité Vieillesse (FSV) de 3,7 Mds d’€. Le montant des pertes d’Areva est alarmant pour un groupe dont la capitalisation boursière est de 3,7 milliards d’euros. Ce montant ne ne prend d’ailleurs pas en compte les 2,3 milliards d’euros que le Finlandais TVO réclame à Areva compte-tenus des importants retards sur le chantier de l’EPR. Ce retard atteindra 9 ans en 2018, date aujourd’hui prévue pour la mise en service du réacteur (sauf retards additionnels non prévus). Areva est également en contentieux avec le CEA à propos du projet de recherche RJH, le réacteur « Jules Horowitz » qui est en construction à Cadarache. Le coût initialement prévu pour ce réacteur a été au moins doublé, à plus d’un milliard d’euros. Le titre Areva a chuté de plus de 50% en bourse depuis 1 an.
La Ministre de l’Energie Ségolène Royal, qui avant les élections présidentielles était favorable à une sortie complète du nucléaire à horizon 2040, a été contrainte de concéder que « la situation est difficile » pour Areva dont l’état est l’actionnaire largement majoritaire. « Difficile », un mot qui relève du doux euphémisme face à l’ampleur du cataclysme. Ségolène Royal a prôné comme remède une « synergie » entre le CEA, Areva et EDF. Or le CEA est déjà actionnaire du groupe Areva pour 54% des parts, et l’Etat directement à hauteur de 29%. EDF est détenu à 84% par l’état. Et le CEA est lui-même un organisme public. Le serpent qui se mord la queue.
A Bordeaux le grand solaire PV est dès à présent meilleur marché que le nouveau nucléaire
Le 18 février 2015, à l’occasion de son audition par la Commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité de l’Assemblée nationale, Jean-Bernard Lévy, le tout nouveau président-directeur général d’EDF, a tenté de défendre la pertinence économique du choix du nucléaire en basant sa réflexion sur le coût du solaire photovoltaïque d’avant 2011. C’est à dire sur la base de données obsolètes compte-tenu de la cinétique de baisse des coûts du solaire. « Le coût du photovoltaïque est très loin de celui du nucléaire » a-t-il affirmé. Selon la Cour des Comptes le coût de production du vieux nucléaire déjà amorti est de 5,98 c€/kWh. Le coût de production du vieux solaire PV déjà amorti est proche de 0 c€/kWh (le soleil n’envoie pas de factures).
En France le tarif « T5 » (tout type d’installations, 0 à 12 MW) du solaire photovoltaïque est aujourd’hui de 6,62 c€/kWh. Celui des petites installations de 0 à 36 kW avec intégration simplifiée au bâti est de 13,47 c€/kWh mais ce segment n’est bien entendu pas comparable avec les 1650 MW d’un réacteur EPR. A Bordeaux, où la plus grande centrale solaire d’Europe (300 MW sur 3 kilomètres-carrés) est en construction sous la houlette du groupe Neoen, « le solaire sera moins cher que le nucléaire anglais ». L’électricité produite sera vendue au tarif de 10,5 c€ par kWh, tarif retenu dans le cadre d’un appel d’offre lancé par le gouvernement. « En Grande-Bretagne, le tarif d’achat pour le futur réacteur nucléaire EPR d’Hinkley Point est passé de 9,25£/kWh en 2012 à 9,70£/kWh en 2014. Comme le cours des monnaies est passé de 1,20 à 1,36 euro/livre sterling, il devient presque indécent de donner le nouveau coût de l’électricité en euros » souligne le site spécialisé Energeia. « La technocratie du nucléaire bien présente dans tous les rouages de l’Etat ne peut accepter une telle comparaison après des décennies de propagande pour le nucléaire ». N’en déplaise à Jean-Bernard Lévy, le kWh du nouveau solaire Bordelais est 20% meilleur marché que celui du nouveau nucléaire. Et Bordeaux n’est pas la région la plus ensolleilée de France: l’insolation y est comparable à celle de Lyon, Grenoble et Genève. A Toulon elle est 30% supérieure.
La capacité photovoltaïque hexagonale est aujourd’hui environ 8 fois inférieure à celle installée en Allemagne, pays moteur de la transition Européenne vers une électricité à base d’énergies renouvelables. Comme le souligne Gregory Lamotte, Fondateur de Comwatt, leader Français des solutions pour l’autoconsommation énergétique, « avec le montant des pertes d’Areva en 2014, on pourrait doubler la capacité photovoltaïque Française ».
En Europe, à l’échelle saisonnière, le solaire photovoltaïque est parfaitement complètementaire à l’éolien. A terre le coût de production de l’électricité obtenue à partir du vent est encore meilleur marché que celui du solaire. Le coût de production du kWh solaro-éolien (50/50) est d’environ 7 – 8 c€ en France. La France dispose dès à présent de 5 GW de STEP (Pompage-Turbinage) pour gèrer les fluctuations solaro-éoliennes, et cette capacité peut augmenter sans avoir à inonder de nouvelles vallées. Et elle dispose aussi de nombreuses interconnexions électriques avec ses pays voisins. Et si la synergie soleil-eau-vent-biomasse devenait le nouvel axe stratégique de la fusion CEA-Areva-EDF souhaitée par Ségolène Royal ? Et si la France et l’Allemagne agissaient enfin dans une perspective énergétique commune, devenant ainsi le grand moteur écologique de l’Union Européenne ?
Apple, dont la capitalisation boursière atteint 700 milliards de dollars (soit 166 fois celle d’Areva), et qui n’est pas particulièrement réputée pour prendre des décisions farfelues, inspirera-t-elle les décideurs Français ? Le géant Américain vient de faire le choix de répondre à l’intégralité de ses besoins électriques grâce au solaire. Ceci à la fois pour réaliser des économies et pour réduire son empreinte environnementale. A bon entendeur.
Olivier Daniélo
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