L’une surveille les océans en détectant la radiofréquence de navires par sa constellation de satellites. L’autre assure des communications laser grâce à ses stations au sol. Les PME françaises Unseenlabs et Cailabs développent des technologies rares dont raffolent les militaires américains et depuis peu français.
« On a eu ici plus de délégations américaines que françaises », raconte Jean-François Morizur, cofondateur et président de l’entreprise bretonne Cailabs, implantée à Rennes depuis 2013 et qui emploie 120 personnes en France et aux Etats-Unis.
La situation change pour ces pépites bretonnes du « New Space », nom donné aux nouveaux acteurs du spatial, avec les institutions qui s’intéressent à leur modèle propice à l’innovation et complémentaire aux grands groupes « patrimoniaux ».
« On voit le changement d’esprit au ministère de la Défense », se réjouit Clément Galic, cofondateur et dirigeant d’Unseenlabs, implantée aussi dans la métropole de l’ouest de la France depuis 2015 et employant une centaine de personnes.
Unseenlabs qui vise 100 millions d’euros de chiffre d’affaires est « rentable depuis deux ans » tandis que Cailabs a vu ses commandes s’envoler de 223% en 2023-2024, racontent les patrons des deux groupes, discrets sur demande de leurs clients, à l’occasion d’une visite organisée par l’AJPAE, association des journalistes de l’aérospatial.
– « Paradigme inversé » –
Une initiative financée par l’Agence de l’Innovation de Défense française à hauteur de 5,5 millions d’euros a réuni les deux entreprises dans le projet Keraunos combinant l’expertise de Cailabs sur les stations au sol capables de surmonter les turbulences atmosphériques, et celle d’Unseenlabs, dont l’architecture de nano-satellites a intégré le laser dans des délais réduits.
Cette collaboration a permis de réaliser en 2024 une liaison laser stable pendant plusieurs minutes, une première mondiale dans ce domaine. Elle ouvre la voie à l’utilisation de communications laser spatiales sur des plateformes mobiles terrestres, navales et aériennes, et pourrait être intégrée dans les futurs systèmes satellitaires du ministère français des Armées.
« Une évolution intéressante », expliquait récemment à l’AFP le président du Centre national d’études spatiales (Cnes) Philippe Baptiste, nommé cette semaine ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
« Pendant longtemps, quand on s’adressait au ministère de la Défense, on se disait +d’abord on construit un gros satellite, cher en général, et puis on utilisera ses services+. Et là, le paradigme est inversé: une entreprise construit ses satellites et puis vient vendre des services à différentes agences de défense ou autres », résumait-il.
Avec Cailabs, « on crée un écosystème français », souligne Clément Galic. « Cela ouvre une nouvelle voie permettant d’aller plus vite » avec des startup privées « capables de prendre des risques », ajoute-t-il.
– Avec l’appui de l »usine » SpaceX –
Efficacité oblige, Unseenlabs qui possède 15 satellites et en vise 20 en 2025 a recours à SpaceX d’Elon Musk pour les lancements.
« SpaceX c’est fiable, accessible », lance le patron d’Unseenlabs en regrettant la « disponibilité quasi-nulle » de fusées européennes.
Avec les données issues de ses satellites, Unseenlabs « est en première ligne du renseignement maritime ». Ses informations sont vendues à une vingtaine de clients parmi lesquels la marine nationale française (qui évalue à 97% leur taux de détection des navires), mais aussi assureurs, armateurs, acteurs de l’offshore et ONG.
« En France il n’y a pas beaucoup d’opérateurs de satellites privés » et de ce niveau d’expérience « il n’y en a aucun », déclare à l’AFP Clément Galic qui ne désigne qu’un seul concurrent au monde, l’américain HawkEye 360 basé en Virginie.
Unseenlabs identifie les navires à partir des signaux électromagnétiques émis par leurs systèmes de communication ou leurs radars, même s’ils ont désactivé leur transpondeur AIS (Automatic Identification System), une solution utile pour lutter contre la pêche illégale, la piraterie ou les activités illicites.
La communication optique maîtrisée par Cailabs serait complémentaire là où les brouilleurs peuvent bloquer les communications radio comme dans des zones de conflit. Le faisceau laser « est capable de redescendre des données de manière confidentielle et pertinente », explique Jean-François Morizur.
« Le fait que nos partenaires américains viennent nous chercher est un très bon signe que la France n’est pas en retard sur ces capacités-là », se félicite-t-il.
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