« On était des pestiférés, maintenant on va tout gagner »: en Dordogne, les agriculteurs de la Coordination rurale (CR), gonflés par une médiatisation croissante et des adhésions qui affluent, comptent briser l’hégémonie de la FNSEA aux élections professionnelles.
Dans une maison de quartier de Coulounieix-Chamiers, à une poignée de kilomètres de Périgueux, une centaine de personnes se pressent pour assister à la présentation de la liste du syndicat pour briguer la Chambre d’agriculture départementale lors du scrutin national organisé du 15 au 31 janvier.
« De 20 adhérents, on est passé à 300 », savoure Alain Queyral, figure historique de la CR en Dordogne. « On était des pestiférés, maintenant on va tout gagner », lance l’agriculteur, affirmant avoir été « refusé par les banques » du fait de son militantisme dans les années 1990.
Le deuxième syndicat agricole français, fondé en 1992 après une scission avec la FNSEA majoritaire, est sous le feu des projecteurs depuis un an.
Convoi de tracteurs depuis le Sud-Ouest jusqu’au marché de Rungis en janvier dernier, heurts avec les CRS au Salon de l’Agriculture à Paris en février, blocage du port de commerce de Bordeaux en novembre, les bonnets jaunes ont multiplié les actions coups de poing, sans hésiter à appeler l’ex-Premier ministre Michel Barnier sur son portable en direct devant les caméras.
– « Parler cash »
Dans la salle tapissée d’affiches ciblant « la grande distri », « l’État », « les banques » et défendant « les petits », on applaudit les militants qui « osent » et « font bouger les choses », autant qu’on fustige « un système à bout de souffle » en rejetant « l’étiquette pro-RN collée par les médias pour nous démolir ».
« Ce sont les seuls courageux », estime Mathieu Barra, nouvel adhérent de 24 ans et salarié dans la pépinière de son père, un exploitant « qui n’a jamais pris de vacances » et touche « entre zéro et 600 euros » par mois, indique-t-il.
Pour un producteur de noix de 53 ans, au syndicat depuis un mois, « le système actuel est en place depuis trop longtemps » et le slogan de la CR, « des prix pas des primes », a « toujours sonné juste ».
Son président local Rémy Dumaure, qui s’était distingué au Salon de l’Agriculture par un échange tendu avec Emmanuel Macron au sujet des suicides dans la profession, croit dur comme fer à ces méthodes bruyantes.
« Si vous n’avez pas de grande gueule, vous vous faites bouffer. Il faut parler cash », harangue l’éleveur de volailles, fustigeant « ceux qui, aux manettes depuis 78 ans (la FNSEA a été fondée en 1946, NDLR), ont réduit le nombre de fermes d’année en année ».
« On peut avoir 200 hectares… Quand on n’a pas de voisin à qui parler, on n’est plus qu’un pauvre con », lance-t-il devant les regards déterminés et approbateurs.
La CR qui dirige trois Chambres d’agriculture (Lot-et-Garonne, Vienne et Haute-Vienne en Nouvelle-Aquitaine) sur une centaine veut conquérir la Dordogne pour faire du Sud-Ouest un territoire « de bascule ». La FNSEA et son allié, les Jeunes Agriculteurs, contrôlent toutes les autres, hors outre-mer.
– « Caricatures » –
« Le contexte climatique difficile et les injonctions contradictoires de l’État renforcent un ressentiment très fort chez les agriculteurs », observe la sociologue Véronique Lucas.
« Cette colère pourrait avoir deux débouchés: un vote protestataire, notamment en direction de la CR et de son positionnement anti-système, ou une forte abstention », ajoute la chercheuse à l’Inrae, rappelant qu’autour des années 2000, dans une période d’incertitude et d’ouverture aux marchés, les actions fortement médiatisées des paysans réunis autour de José Bové avaient alors profité à la Confédération paysanne, troisième syndicat.
Dans la salle périgourdine, la figure d’Arnaud Rousseau sert aussi d’exutoire : le patron de la Fnsea et du groupe coopératif Avril, géant des huiles, est taxé « de producteur mondialisé » et « d’industriel » au « double discours ».
En campagne cette semaine dans le Sud-Ouest, l’intéressé a dénoncé « des caricatures classiques », rappelant son métier « d’agriculteur dans la ferme familiale depuis cinq générations » en Seine-et-Marne, et prônant de « regarder au-dessus de sa haie pour voir comment se crée la valeur » pour éviter à la profession de se faire « spolier ».
Devant une centaine d’agriculteurs réunis deux jours plus tard dans une autre salle de Coulounieix-Chamiers, le dirigeant syndical et ses collègues locaux ont défendu leur « travail d’endurance » d’élus, « pour porter les dossiers », « pas pour se montrer à la télé ».
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