Dans « L’élection interdite » (Seuil, 2024), l’historienne Fanny Bugnon, maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2, raconte comment Joséphine Pencalet, sardinière ayant participé à la grève de 1924, a été élue conseillère municipale de Douarnenez (Finistère) à une époque où les femmes étaient inéligibles.
QUESTION: Comment Joséphine Pencalet a-t-elle pu être élue en 1925, alors que les femmes n’avaient pas le droit de vote?
REPONSE: Le code électoral pour les élections municipales comportait une faille. La préfecture devait vérifier, après le scrutin, que les personnes déclarées élues étaient bien éligibles. Donc rien, dans les faits, n’interdisait explicitement aux femmes de se présenter aux élections.
La particularité de 1925, c’est que le ministère de l’Intérieur fait preuve d’ouverture à l’égard des candidatures féminines. Pour la première fois, il donne pour consigne de comptabiliser les voix qui se portent sur des candidatures féminines et non de les considérer comme nulles.
Q: La question est-elle aussi débattue politiquement?
R: Oui, les députés avaient largement voté en 1919 pour que les femmes aient les mêmes droits politiques que les hommes. Le Sénat avait rejeté le texte en 1922 mais c’est une question qui reste à l’ordre du jour.
En 1925, trois textes différents ont été déposés, par des députés de bords politiques différents, pour que les femmes puissent participer à la vie politique à l’échelle municipale.
Enfin, il y a une dimension internationale : des féministes de l’Internationale communiste, ayant eu vent de cette brèche électorale, invitent le Parti communiste français à présenter des femmes aux élections. C’est donc à la faveur de cette consigne donnée par Moscou que les candidatures portées par le Parti communiste vont être présentées.
Q: Comment Joséphine Pencalet est-elle choisie ?
R: C’est en premier lieu une ouvrière qui a participé à la grève victorieuse de Douarnenez quelques mois plus tôt. Elle figure à ce titre sur la liste soutenue par le Parti communiste. Elle est vraisemblablement candidate parce que rien ne l’en empêche: elle est veuve, elle a 38 ans, elle a deux enfants à charge de 15 et 7 ans, et elle n’est pas dépendante d’un père, d’un mari ou d’un frère.
C’est un symbole ouvrier mais ce n’est pas une militante féministe, ce n’est pas une héroïne de la grève. Ou si c’en est une, elle l’est autant que les 2.000 autres grévistes.
Q: Combien de femmes sont-elles élues en 1925?
R: Elles vont être 10 à être élues à ces élections du printemps 1925, dont sept en région parisienne. Joséphine Pencalet est mise en avant par la presse communiste parce qu’on célèbre la sardinière de Douarnenez, on célèbre la grève de 1924 et l’implantation du Parti communiste dans ses premiers bastions.
Q: Siège-t-elle au conseil municipal?
R: Elle va siéger pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que la procédure d’annulation de son élection aille à son terme. Après la préfecture, le Conseil d’État va confirmer, au motif qu’elle est une femme, l’annulation de son élection.
Mais tant que le Conseil d’État ne s’est pas prononcé, elle peut siéger, comme les autres élues. Cela crée une situation totalement inédite de femmes élues, alors qu’en théorie elles n’en ont pas le droit.
Q: Que devient-elle après?
R: Adhérente au Parti communiste et trésorière de son syndicat, elle reste encartée seulement quelques mois. Après l’annulation de son élection, elle va se tenir à distance de la scène politique. Elle est resté communiste toute sa vie, mais en refusant le jeu électoral, avec le sentiment – c’est ce que m’ont raconté ses descendants – d’avoir été utilisée par le Parti communiste.
Q: Au point de ne pas voter en 1945, lors de la première élection ouverte aux femmes…
R: Absolument, son nom figure dans les registres électoraux mais, en face de son nom, il n’y a pas de signature. Ses descendants m’ont indiqué que, jusqu’à sa mort en 1972, elle a cultivé une réelle défiance à l’égard du système électoral et qu’elle ne voulait plus entendre parler des élections, tout en conservant les mêmes convictions politiques.
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