A quelques semaines du premier vol commercial d’Ariane 6, prévu fin février, le nouveau patron d’Arianespace, David Cavaillolès, qui peut compter sur un carnet de commandes fourni, met en garde contre tout morcellement du spatial européen, face à la concurrence américaine et chinoise, dans un entretien à l’AFP.
Question : Quelle importance ce premier vol commercial d’Ariane 6 prévu le 26 février revêt-il pour Arianespace ?
Réponse: Le premier vol commercial va emmener en orbite un satellite militaire pour le gouvernement français. Le monde entier nous regarde. En début de semaine, j’ai eu l’occasion d’échanger avec beaucoup de clients et d’opérateurs de télécommunications par satellite. Tous sont impatients qu’Ariane 6 arrive en exploitation et soit un succès.
Q: Depuis votre prise de fonction, plusieurs contrats ont été signés. L’éclaircie pour le spatial européen se confirme-t-elle après plusieurs années de repli ?
R: Exactement. Nous avons une dynamique commerciale très forte, ce qui confirme qu’Ariane 6 correspond aux besoins des clients institutionnels comme commerciaux, avec une polyvalence dans les missions qui est immense. Le défi va désormais être de lancer rapidement tous ces satellites.
Q: Combien de lancements compte le carnet de commandes d’Ariane 6 ?
R: Nous avons 32 lancements prévus, un carnet de commandes qui offre des années d’activité au Centre spatial guyanais. Cela va générer d’autres difficultés pour accompagner cette montée en puissance, mais ce sont des « problèmes de riches ».
Q: La réélection de Donald Trump et l’entrée au gouvernement américain d’Elon Musk représentent-elles une opportunité ou une menace ?
R: Mon rôle n’est pas de commenter la politique. Ce qui est certain, c’est que nous avons lancé Ariane 6 pour répondre aux besoins institutionnels français et européens et nous avons trouvé notre marché. Il était aussi indispensable d’avoir un lanceur de souveraineté. Il est clair que nous avons une concurrence de plus en plus forte avec Space X qui a un modèle différent du nôtre. Par ailleurs, les investissements institutionnels américains dans le spatial sont plus de cinq fois supérieurs à ceux des européens. Ma priorité est de satisfaire nos clients, aussi bien institutionnels que commerciaux.
Q: Face à la concurrence, notamment de Space X, faut-il revoir le modèle institutionnel européen et s’ouvrir davantage aux opérateurs privés ?
R: Nous avons un modèle double. Nous sommes sur le marché institutionnel, en répondant aux besoins souverains des Etats européens, et sur le marché commercial. Plus de la moitié des 32 lancements à venir pour Ariane 6 sont des lancements commerciaux que nous sommes allés chercher sur un marché ouvert et compétitif. Maintenant, la concurrence est là, elle est dure et nous devons nous battre. L’enjeu va être de faire encore évoluer Ariane 6 pour la rendre plus performante et moins coûteuse.
Q: L’Allemand OHB, l’Italien Avio veulent développer et lancer leurs propres fusées. La mutation du marché spatial menace-t-elle la préférence européenne ?
R: Il y a un marché institutionnel chez toutes les grandes puissances spatiales, qui est en général plus important que le marché européen et surtout qui est captif. Nous ne gagnons pas de contrats institutionnels aux Etats-Unis ou en Chine parce que nous ne sommes même pas invités à concourir pour des raisons stratégiques. C’est pour cela que nous militons pour une préférence forte en Europe pour les lanceurs européens. Pas seulement Ariane 6, Vega-C en fait partie. Ce qui compte, c’est que les satellites institutionnels européens soient lancés par des lanceurs européens et je me battrai pour cela.
Q: Du fait de cette concurrence intra-européenne, Arianespace va perdre en 2025 la commercialisation des vols de la fusée légère Vega-C. Ce morcellement est-il un danger ?
R: Avant, nous avions un modèle où Arianespace opérait plusieurs lanceurs : Ariane 5 et Vega, puis son évolution Vega-C. La décision a été prise qu’Avio, qui fabrique la majeure partie de cette fusée, opère en direct ce système de lancement. Je ne suis pas certain que ce soit la meilleure décision, mais elle a été prise et il faut la mettre en oeuvre de la manière la plus efficace possible. Ariane 6 et Vega-C restent des lanceurs complémentaires et n’entreront pas en interférence. Maintenant, gardons en tête que le marché institutionnel européen est beaucoup plus petit que le marché américain : il ne faut pas tomber non plus dans une logique de fragmentation. Il faut se recentrer autour de quelques lanceurs pour atteindre une taille critique.
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