Ils font un métier éprouvant et n’ont pas digéré de devoir le faire pour certains jusqu’à 64 ans: des travailleurs seniors, « usés », décrivent à l’AFP leur « colère » contre la réforme des retraites de 2023, alors qu’est prévu jeudi l’examen à l’Assemblée nationale d’une proposition RN pour l’abroger.
Au coeur des « niches parlementaires » des députés RN et bientôt LFI, l’abrogation de cette réforme est souhaitée par une majorité de Français, selon divers sondages. Environ 57% des Français y sont ainsi toujours opposés (63% parmi les non-retraités), selon un baromètre Odoxa, début octobre.
– Christine, 61 ans: « c’est injuste » –
Aide-soignante en Alsace dans un Ehpad privé, Christine Faure a « déjà cumulé tous les trimestres » de cotisations nécessaires. Après une estimation en 2018, elle s’attendait « à partir au 1er août 2025 ». Mais la réforme va repousser son départ de neuf mois.
« Aujourd’hui c’est déjà très dur. J’ai mal partout, je suis usée, sous anti-douleurs en permanence. Le médecin me dit qu’il n’y a rien à faire, à part s’arrêter », soupire-t-elle.
« Pour soulever, déplacer une personne de 80 kg, il faut de la force. Mentalement, on est face à la mort, à la souffrance. J’aime mon métier, mais j’ai beaucoup donné. Dans un an et huit mois… Je ne sais pas dans quel état je serai », s’inquiète-t-elle.
« J’ai tenté de changer de métier, postulé (comme superviseur) dans le service à la personne. J’ai même fait un BTS à 60 ans ! Mais personne ne m’embauche. La carrière longue je n’y ai pas droit, parce que j’ai travaillé huit ans en Suisse ».
« Dans le public, les aide-soignants partent plus tôt. C’est injuste », ajoute-t-elle. « Pourquoi n’avons-nous pas les mêmes droits ? »
– Valérie, 60 ans: pénalisée par « les accidents de la vie » –
Encadrante éducative dans la protection de l’enfance dans les Bouches-du-Rhône, et ex-salariée dans la restauration rapide, Valérie Charrier a commencé à travailler à 17 ans et pensait s’arrêter à 60 ans pour carrière longue.
« Finalement je n’y ai pas droit, à cause des aléas de la vie », déplore cette « gilet jaune », mère de cinq enfants.
« J’ai perdu l’un de mes jumeaux, l’autre a eu de graves problèmes de santé. J’ai dû prendre un congé parental de deux ans et deux congés pour enfant malade. J’ai aussi eu un arrêt de deux mois pour burn-out, mais jamais d’autre interruption », détaille-t-elle. « Résultat, pas de carrière longue. Je devrai partir à 63 ans… Avec 222 trimestres (172 sont nécessaires) ».
« Beaucoup de femmes ont travaillé dur tout en élevant des enfants. En cas d’accident de la vie, c’est souvent la mère qui s’y colle. Ce n’est pas pris en compte », dénonce Valérie.
« Cette réforme me met très en colère, surtout pour ceux qui ont des métiers manuels, astreignants: ménage, restauration, mécanique… Mon mari a toujours fait des travaux physiques – notamment dans l’industrie – et a les deux genoux morts. A 62 ans, il devra bosser encore deux ans ».
– Fabrice, 56 ans: « anéanti physiquement » –
Fabrice Baye, ouvrier chez Alstom-Crespin (Nord), attendait déjà avec impatience sa retraite à 62 ans, après plus de vingt ans d’usine, « 80% du temps à genoux », sur des lignes « non robotisées » imposant des « mouvements répétitifs, des charges lourdes ». Suite à la réforme, sa caisse de retraite lui a annoncé qu’il ne partirait qu’à 64 ans, en juin 2032.
« Je ne pourrai pas en profiter, je serai éclaté. Je suis déjà anéanti physiquement », déplore-t-il, victime de « crises de lombosciatique » (inflammation du bas du dos), qui le contraignent à « des arrêts maladie deux fois par an ».
« Bosser sur des trains, c’est travailler sur trois niveaux: monter, descendre des escaliers. Je fais 18 km par jour », ajoute-t-il.
« Dans l’usine, beaucoup d’ouvriers ont des troubles musculo-squelettiques, reconnus comme maladies professionnelles, mais on n’est pas inclus dans les critères de pénibilité. Même les collègues de la chaudronnerie qui tapent sur des masses », dénonce ce représentant syndical SUD-Industrie.
Depuis cette réforme, « on se sent trahis, méprisés. La pénibilité devait être prise en compte, mais c’était un tissu de mensonges. Mes grands-parents se sont battus pour ces acquis sociaux qu’on nous retire », fulmine-t-il, fustigeant « une régression inédite » et un président « qui s’en fout des ouvriers ».
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