Façades délabrées, pauvreté criante: le vieux Grasse est à mille lieues de l’image glamour véhiculée par l’industrie de la parfumerie qui fait le rayonnement international de la ville et pour accélérer sa lente reconquête, la mairie interdit désormais la location de certains taudis.
Depuis jeudi, dans un large périmètre du coeur de Grasse, il n’est plus possible de changer de locataire sans obtenir « un permis de louer » de la municipalité.
« On s’est dit qu’il fallait avoir du courage pour rompre avec beaucoup de choses », vante le maire LR Jérôme Viaud, 43 ans, prêt à se confronter à des propriétaires bailleurs qui n’ont fait aucun travaux parfois depuis l’après-guerre et pionnier dans les Alpes-Maritimes: « S’attaquer à ces situations, c’est lutter contre l’habitat indigne et aussi contre l’immigration clandestine car souvent ça va de pair ».
« On vient dans la capitale mondiale de la parfumerie, et dans certaines rues, on peut être déçu », admet son adjointe à l’hygiène Nicole Nutini. « On se bat contre ça! Le pire, ce sont les squats qui sont en augmentation ».
Entrelacs de ruelles médiévales et d’hôtels particuliers illustrant la bonne fortune de Grasse, qui a vu s’épanouir la parfumerie autour de ses tanneries dès le XVIe siècle, le centre historique est un petit bijou provençal.
Hors période de crise sanitaire, les touristes viennent de loin pour y flâner, oubliant au passage que Grasse reste une ville ouvrière: parfums, arômes, cosmétiques, c’est la seule ville industrielle du département.
Un tour aux musées ou chez un parfumeur, quelques boutiques. Rapidement, le visiteur se casse le nez et tombe sur des façades décrépies aux carreaux cassés et aux persiennes fatiguées.
– Mesure similaire à Marseille –
L’exiguïté des logements se devine, la pauvreté se lit: elle touche jusqu’à 45% des habitants de l’hypercentre selon la mairie et le m2 se négocie sous les 2.000 euros. Des devantures sont vides, et l’animation manque le soir là où le maire espère à terme fixer une nouvelle population étudiante et inaugure bientôt une médiathèque flambant neuve.
Dominique Vincenti, un agent immobilier niçois parfois mandaté pour des biens à Grasse, confirme: « Autant il y a des villas sympas dans le pourtour de Grasse, autant dans le vieux centre, la fréquentation peut faire peur à certains ». A emplacement égal, une adresse dans une belle demeure historique grassoise se négocie beaucoup moins cher qu’à Nice.
« Il y a une âme, des petites placettes splendides mais regardez c’est lépreux, vous allez vivre là-dedans? Ce sont des gens qui n’ont pas de moyens qui s’y installent et c’est un cercle vicieux », observe Guy Serrano, retraité de la parfumerie.
En Provence, la paupérisation frappe beaucoup de centres anciens. Le permis de louer est « une réponse très appropriée, surtout couplé à des incitations pour le propriétaire à faire des travaux », observe Florent Houdmon, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. Marseille a aussi fait ce choix dans le secteur de la rue d’Aubagne un an après l’effondrement de deux immeubles qui a fait huit morts.
La zone concernée à Grasse couvre 650 immeubles et 2.500 logements. Une minorité (12%) sont occupés par leur propriétaire, 30% sont vacants et de nombreuses habitations non conformes louées à une population peu regardante, vivant avec 700 à 800 euros de revenus mensuels.
Logements trop petits, humides, pièces aveugles ou avec un soupirail, absence d’ascenseur: la ville, avertie par la caisse d’allocation familiale (CAF) au changement de bail, dira ce qui est louable ou ne l’est pas, et pourra prendre des sanctions, parallèlement à toute une panoplie de subventions aux travaux.
« Il ne faut pas jeter l’opprobre sur tous les propriétaires, il n’y a pas que des marchands de sommeil. Certains ont eux-mêmes besoin d’être aidés », souligne William Audibert du service d’hygiène.
Chantier immense, la rénovation du centre ne date pas d’hier. Depuis 2008, plusieurs grappes d’immeubles ont été restructurées. La ville en a même rasés pour créer des puits de lumière, une opération lourde qui a permis de produire des logements décents quasiment neufs confiés à des bailleurs sociaux et privés et qui continue sur de nouveaux îlots.
Un écueil guette maintenant: la gentrification. « Il faut prendre le risque d’avancer », répond Mme Nutini, alors que pour les acquéreurs, l’heure des bonnes affaires a déjà sonné.
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