Fondée fin 2021 par deux diplômés d’AgroParisTech et un troisième associé passé par l’ESSEC Business School et CentraleSupélec, Yeasty développe une technologie visant à valoriser, sous forme d’un ingrédient brut désamérisé, les levures produites en surplus par les brasseries lors de la fermentation de la bière. Un ingrédient de base qui pourrait constituer une source alternative de protéines aussi intéressante sur le plan nutritionnel que durable d’un point de vue environnemental.
Initiée sous forme de projet étudiant mi-2020, Yeasty est le fruit de la rencontre de deux passionnés de bière et des procédés qui permettent de donner naissance au breuvage : Mathieu Durand et Nikola Stefanovic. Rejoints fin 2021 – date du lancement officiel de la jeune pousse – par un troisième associé au profil commercial, Juan Londoño, Yeasty poursuit le développement d’une technologie au cœur de laquelle se trouve un procédé de désamérisation. L’amertume des levures de brasserie constitue en effet l’un des principaux freins à leur valorisation pour l’alimentation humaine.
Son innovation a ainsi valu à Yeasty de décrocher en janvier dernier le label « Protein Connect », décerné par Protéines France, association dont l’ambition est de catalyser le développement en France des protéines végétales et des nouvelles ressources protéiques. Yeasty va ainsi bénéficier, grâce à cette distinction, d’une mise en relation avec les figures de proue du secteur, ainsi que d’un programme de coaching personnalisé assuré par les membres de Protéines France et ses partenaires.
Déjà mise en œuvre à petite échelle, la technologie se dirige en effet désormais vers une montée en échelle. Un scale up qui devrait aboutir à un premier pilote industriel en 2024 et à une production annuelle d’une centaine de tonnes, avant la sortie de terre d’un premier site industriel à l’horizon 2025-2026, comme l’espère Mathieu Durand, directeur technique et cofondateur de Yeasty.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques points clés, nous résumer l’historique de l’entreprise que vous avez co-fondée ?
Mathieu Durand : Yeasty a débuté sous la forme d’un projet étudiant, que nous avons entamé avec l’un de mes associés, Nikola Stefanovic, en milieu d’année 2020, en sortie du premier confinement. Il s’est poursuivi jusqu’à la fin de nos études, fin 2021. Le problème auquel nous avons décidé de nous attaquer est celui de la valorisation des levures de brasserie, notamment, dans un premier temps, des brasseries artisanales. Nous sommes en effet partis d’un constat : un grand nombre de brasseries artisanales que nous connaissions n’avaient pas de véritables débouchés pour ce coproduit généré lors de la fermentation brassicole. Nous avons alors cherché à en comprendre les raisons. La première d’entre elles, qui nous est rapidement apparue, est celle de l’amertume de ces levures. Elle est intrinsèquement liée au procédé brassicole, puisque les molécules responsables de l’amertume de la bière rendent naturellement les levures amères elles aussi. C’est donc ce problème de base que nous avons cherché à résoudre.
Nous avons travaillé dans le cadre de ce projet étudiant au sein de différents incubateurs technologiques tel que le programme Shaker du Genopole et le Food Inn’ Lab d’AgroParisTech, l’école dont nous sommes issus. Nous avons passé environ trois trimestres à tâtonner, à explorer différentes pistes avant de trouver la bonne méthode nous permettant de désamériser ces levures.
À l’issue de cela, nous avons réalisé notre stage de fin d’études sur ce projet, en ayant par ailleurs officiellement créé la société fin 2021. Nous n’étions alors que deux, Nikola et moi-même, l’un comme l’autre avec un profil ingénieur AgroParisTech : une spécialité agroalimentaire et génie des procédés pour moi et plutôt économie et gestion d’entreprise pour Nikola. Fin 2021, un troisième associé, Juan Londoño, nous a rejoints afin d’assurer le développement commercial de la société.
Toujours à la même période, nous nous sommes rendu compte que pour continuer à développer notre technologie, nous allions avoir besoin de financements. C’est pour cette raison que nous avons réalisé une levée de fonds entre la mi-2022 et la fin de cette même année. Nous sommes ainsi parvenus à lever 1,5 M€. Cela nous permet de continuer à financer nos travaux de R&D sur le procédé de désamérisation, mais aussi d’entamer la phase de montée en échelle. Nous visons en effet la création d’un pilote en 2024.
D’où cet intérêt particulier pour les levures de brasserie vous est-il venu ?
Nikola et moi-même sommes passionnés par le milieu de la brasserie, et en particulier de la brasserie artisanale. Nous nous sommes d’ailleurs rencontrés dans l’association zythologique[1] de notre école. Nous avons tous les deux effectué des stages en brasseries. C’est donc par ce biais que nous avons été sensibilisés à cette problématique liée aux coproduits. Nous en avons encore davantage pris conscience au fil de la poursuite de nos études. Nous avons en effet tous les deux réalisé un parcours « bio-raffinerie et chimie verte », axé sur la valorisation de tous les coproduits. Cela nous a d’autant plus ouvert les yeux sur leur importance dans l’ensemble de l’industrie agroalimentaire. C’est ainsi qu’a germé l’idée de travailler sur un coproduit en relation avec le milieu pour lequel nous avions le plus d’affinités, celui de la bière.
Outre la drêche[2] de brasserie, dont les débouchés nous paraissaient limités ou déjà exploités, nous avons donc identifié les levures de brasseries, sur lesquelles nous nous sommes focalisés.
Avez-vous pu quantifier le gisement constitué par ces résidus de levures brassicoles ? Que deviennent-ils habituellement ?
C’est une question complexe, mais ce que l’on peut retenir est que, pour un litre de bière consommée, entre deux et quatre grammes de matière sèche de levures sont générés. La fabrication de la bière implique en effet une phase de fermentation alcoolique, qui est initiée par un apport de levures. Or, au cours de cette fermentation, les levures se multiplient. On a donc une croissance de la biomasse, qui génère un surplus. Il est retiré des cuves de fermentation au fur et à mesure de l’opération. Ces résidus sont utilisés soit pour l’alimentation animale, soit pour la production d’extraits de levure soit, dans le pire des cas, envoyés à l’égout. Une partie est aussi réutilisée pour les besoins du brassin suivant. Cela ne permet pas, en tout cas, de valoriser l’intégralité de la biomasse.
Sans en dévoiler tous les secrets, pouvez-vous nous donner quelques éléments sur le principe de base de votre procédé de désamérisation ?
La désamérisation n’est finalement qu’une brique au sein du process complet. Il débute en effet par la récupération des levures auprès des brasseurs et ce sous forme humide. Ensuite, nous réalisons cette étape de désamérisation, en voie humide, que je ne peux effectivement pas décrire plus en détail pour des raisons de protection de propriété intellectuelle. À l’issue de cela, nous re-concentrons et séchons les levures, afin d’obtenir un ingrédient brut, peu transformé.
Quel peut être le devenir de cet ingrédient désamérisé ?
Il existe plein d’applications différentes ! Nous nous focalisons pour l’heure sur le développement d’alternatives à la viande. Produire une source de protéines alternative colle en effet avec les valeurs que nous prônons au sein de Yeasty.
Nous envisageons aussi d’investir le marché de la nutrition : nutrition sportive, lutte contre la dénutrition…
Nous nous penchons également sur d’autres marchés, tels que l’alimentation animale, et à plus long terme, celui de la nutri-cosmétique.
Nous nous positionnons en tant « qu’ingrédientistes ». Nous visons la production d’un ingrédient que d’autres pourront, ensuite, transformer en produit fini. Nous réalisons toutefois également un peu de développement : galettes végétariennes, imitations de viande, biscuits apéritifs… afin de bien comprendre comment notre ingrédient peut s’intégrer à ces préparations.
En matière de coûts, où votre ingrédient et les produits qu’il permettrait de fabriquer pourraient-ils se situer ?
Aujourd’hui, sur le marché des protéines alternatives, les principales solutions existantes sont de nature végétale. Au sein des protéines végétales, on trouve la forme brute : lentilles, pois chiches… mais aussi des protéines isolées ou concentrées. Au niveau du prix, notre produit devrait se situer entre ces ingrédients bruts et les isolats ou concentrats de protéines végétales. Nous espérons atteindre, à l’échelle industrielle, un prix proche de certaines protéines végétales comme les protéines de pois, avec de nombreuses autres valeurs ajoutées.
Sur le plan nutritionnel, quels sont les intérêts de votre ingrédient ?
D’un point de vue protéique, l’un des indicateurs importants est le PDCAAS[3]. Sur ce plan, nous savons que nous sommes très bien situés avec la note maximale de 1,0 : notre procédé fournit une protéine très complète sur le plan des acides aminés, là où les protéines végétales sont généralement déficitaires sur certains d’entre eux.
À l’inverse des isolats et concentrats de protéines végétales, notre ingrédient certes un peu moins concentré – de 40 à 50 % de protéines – a aussi pour avantage d’être brut, moins transformé.
Cela permet également d’obtenir un produit plus complet, avec en sus un apport intéressant en fibres, éléments minéraux ou encore en vitamines, notamment les vitamines B.
Quel est le niveau de maturité de votre procédé ? Quelles sont les prochaines étapes de votre calendrier en matière de R&D ?
Notre procédé se situe actuellement à un niveau 3 à 4 sur l’échelle TRL[4].
Notre principal objectif pour cette année est de finaliser l’optimisation à petite échelle et de commencer à mettre en œuvre le procédé de désamérisation sur de plus gros volumes.
En parallèle, nous allons avancer sur les procédés de concentration et de séchage, dans une optique d’économies d’énergie, notamment.
En 2024, nous visons le stade pilote, et une production annuelle d’une centaine de tonnes. À plus long terme, nous espérons lancer un premier site industriel aux alentours de 2025-2026, implanté au plus près d’une ou plusieurs grandes brasseries, afin de minimiser les impacts environnementaux de la logistique.
À plus long terme encore, nous n’excluons pas la possibilité de développer un modèle de licence technologique, afin d’étendre notre déploiement au niveau international… Mais nous avons encore bien d’autres étapes à franchir avant d’en arriver là !
[1] Synonyme de biérologie, du grec ancien zŷthos : « bière »
[2] Résidus de céréales
[3] Protein Digestibility Corrected Amnio Acid Score ou Score en acides aminés essentiels corrigé par la digestibilité : échelle permettant de mesurer la qualité des protéines en fonction de leur digestibilité et de leur capacité à couvrir les besoins en acides aminés de l’être humain.
[4] Technology readiness level
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