Décryptage

Les voitures électriques pourront-elles bénéficier de la charge ultra-rapide à 350 kW ?

Posté le 12 juin 2018
par Pierre Thouverez
dans Énergie

De nombreuses initiatives d'installation de réseau de superchargeurs d'une puissance de 350 kW émergent en Europe et aux USA. Les voitures électriques actuelles sont-elles prêtes ? Ou s'agit-il d'une anticipation de l'arrivée d'une nouvelle génération de batteries ?

Tesla a installé le premier réseau mondial de superchargeurs de 145 kW. Tesla possède à présent 1229 stations (équipées au total de 9623 chargeurs ultra-rapides de 145 kW) en Europe, dont 62 en France (mai 2018). Les voitures de la gamme Tesla acceptent une puissance de charge de 120 kW, ce qui permet de capturer en environ 40 minutes assez d’énergie pour parcourir 400 kilomètres. 10 kilomètres par minute de charge.

Le 30 novembre 2016, les constructeurs Volkswagen (marques Audi et Porsche), BMW, Daimler (Mercedes) et Ford ont annoncé s’unir pour la création d’un réseau de recharge payant à l’échelle de l’Europe, baptisé Ionity et reposant sur 400 stations-service possédant en moyenne chacune 6 superchargeurs de 350 kW, soit le triple de ceux de Tesla. La promesse de diviser par presque trois le temps de charge. Et d’offrir aux automobilistes européens un point de charge tous les 120 kilomètres. Ionity, co-entreprise 100% privée, est basé à Munich.

Le 24 décembre 2016, répondant à Fred Lambert, fondateur du site Electrek, le PDG de Tesla, Elon Musk, a déclaré: « Du simple 350 kW…A quoi faîtes-vous référence, à un jeu d’enfant ? » Il s’agissait non pas d’une annonce indirecte sur le développement par Tesla de superchargeurs de puissance supérieure à 350 kW (c’est ainsi que les propos de Musk ont été compris par les journalistes), mais au contraire  d’une antiphrase soulignant qu’il était très complexe d’avoir des batteries de voitures acceptant une puissance de charge de 350 kW, que ce n’était pas un jeu d’enfants.

Elon Musk a précisé son propos le 2 mai 2018: « Nous allons effectivement améliorer notre technologie de superchargeurs. Le truc à propos du chargeur de 350 kW c’est qu’il n’a pas beaucoup de sens, sauf si vous avez une énorme batterie ou alors un taux de charge follement élevé, et alors dans ce cas votre densité énergétique va être faible. » Ceci pour éviter que la batterie chauffe et se dégrade.  « Nous pensons que 350 kW pour une voiture seule, vous allez abîmer la batterie si vous faîtes cela. Vous ne pouvez pas charger une batterie de haute densité énergétique avec ce taux de charge, sauf si vous avez une batterie avec une très haute puissance. Donc (pour nous), cela sera quelque chose de 200 à 250 kW, peut-être. »  Les batteries Tesla auront-elles dans le futur un réservoir supérieur à 100 kWh ? Quel niveau de charge maximal sera toléré ? Tesla révélera la nouvelle génération de ses superchargeurs (« V3 ») durant l’été 2018, selon une réponse d’Elon Musk du 21 mai 2018 à Christian Prenzler du média Teslarati.350 kW ? « C’est effectivement un niveau de puissance que nous avons discuté et exploré » a complété le 2 mai JB Straubel, co-fondateur et CTO de Tesla.  « Il y a un compromis, fondamentalement, entre la vitesse de charge et essentiellement l’autonomie, et le coût de la batterie. Nous regardons cela assez attentivement. Nous comprenons le compromis. Nous pourrions concevoir des cellules et un pack qui pourrait charger à plus de 300-400 kW, mais ce n’est pas un compromis très utile pour le client. »

Lors d’un débat à l’occasion du Nordic EV Summit début février 2018 à Oslo en Norvège, Ole Henrik Hannisdahl, directeur de Grønn Kontakt AS, spécialiste norvégien des bornes de charge pour voitures électriques a estimé qu’ « actuellement, il n’y a pas de voitures qui ont besoin d’une puissance de près de 350 kW. (…) Si vous avez une batterie de 100 kWh, vous pouvez charger une puissance maximale de 130 kW (compte tenu du facteur 1,3C, ce qui est normal aujourd’hui). Si vous voulez charger 350 kW avec 1,3 C, vous aurez essentiellement besoin d’une batterie d’une capacité de 280 kWh, c’est à dire qui a une autonomie d’environ 1 500 kilomètres et un poids d’environ une tonne. Ou alors vous êtes à du 4 C. C’est une nouvelle chimie électrique. » Or cette nouvelle chimie est-elle dès à présent disponible ? Le C-rate correspond à la puissance (en kW) du chargeur divisée par la capacité (en kWh) de la batterie. C’est l’inverse du temps de charge. Un C-rate de 2 C correspond à un temps de charge d’1/2 heure. Au Nordic EV Summit 2018 une e-tron a été présentée avec un taux de charge de 320 kW. Mais elle est équipée d’une batterie de 95 kWh du sud-coréen LG-Chem; elle sera donc commercialisée dans une version capable d’accepter une puissance de charge de 150 kW ce qui correspond à un C-rate d’1,6 C. Cela semble plus réaliste. Il est possible de la charger avec du 320 kW, ce qu’a montré Audi, mais cela n’est pas conseillé car cela abîme la batterie.

Porsche Mission E: Icare sous le soleil ?

La Porsche Mission E devenue « Porsche Taycan » et qui débarquera sur le marché en 2019, sera équipée d’une batterie de 90 kWh (tout comme la Jaguar I-Pace) mais est en revanche présentée comme capable d’être chargée avec une puissance de 350 kW, soit un C-rate de 3,9 C. Etrange. Si l’on en croit Elon Musk, il sera probablement possible d’atteindre un C-rate d’environ 2,5 C (225 kW), mais s’aventurer au-delà laisse dubitatif. D’ici 2022 le japonais Honda offrira une gamme de voitures électriques rechargeables en 15 minutes pour 240 kilomètres d’autonomie. Soit 16 kilomètres par minute de charge.
Jan Haugen Ihle, CEO de IONITY pour l’Europe du nord a livré ses explications lors du Nordic EV Summit 2018: «Je pense qu’il y a un besoin de charge de haute puissance. Non seulement dans la ville, mais entre les villes, pour permettre des voyages de longue distance. Je comprends l’environnement maintenant, avec la plupart des voitures ayant environ 30 kWh de batteries. Mais maintenant, elles arrivent avec des batteries plus grosses et la possibilité de faire des trajets plus longs. Ensuite, vous devez avoir une charge plus rapide. Tesla a déjà prouvé cela pendant des années. Le problème avec leurs stations est que vous ne savez jamais quelle puissance vous obtiendrez. Ensuite, vous ne pouvez pas prédire le temps de chargement. C’est pourquoi vous avez besoin d’une capacité suffisante pour garantir au client qu’il peut obtenir la vitesse de chargement dont il a besoin. Pour déployer ces voitures sur le marché, il doit y avoir un réseau qui permet la conduite sur de longues distances. Nous avons donc besoin des deux, une charge rapide plus lente dans les villes pour les personnes sans chargeurs à domicile / batteries plus petites et plus de puissance entre les villes. Alors les gens peuvent gérer avec seulement une voiture électrique à batterie (BEV) Ils n’auront pas besoin de la voiture fossile pour des voyages plus longs

Porsche annonce que la batterie de la Mission E (autonomie de 480 kilomètres) pourra être chargée à 80% en 15 minutes. Avec du 350 kW il est en effet possible de capturer assez d’énergie en 8 minutes pour réaliser 200 kilomètres. Ce sont les chiffres qui ont été communiqués par ABB lors de la foire d’Hanovre début avril 2018, en présence de la chancelière Angela Merkel. Cela correspond à 25 kilomètres par minute, soit 2,5 fois mieux qu’avec Tesla. Avec 225 kW (probablement envisageable), cela sera 16 kilomètres par minutes.  Avec 150 kW, cela sera 11 kilomètres par minute.Mais attention, ceci n’est uniquement valable que pour les voitures équipées de batteries de 90 kWh (et donc bénéficiant d’une haute autonomie). Avec une Nissan Leaf équipée d’une batterie de 30 kWh (et permettant d’avoir une autonomie de 200 kilomètres) les temps de charge seront trois fois plus longs pour obtenir le même kilométrage. Les données communiquées à la foire d’Hanovre peuvent donc induire en erreur. La Nissan Leaf d’ancienne génération, équipée d’une batterie de 24 kWh, accepte d’être chargée sur une borne de 50 kW, autrement dit du 2 C. Cela prend environ 30 minutes. Environ 7 kilomètres par minute de charge. Les futures Nissan Leaf, équipées de batteries de 60 kWh, permettront de bénéficier des superchargeurs de 120 kW et même probablement de 150 kW, bref de monter à un  taux de charge de 2,5 C.Les superchargeurs d’ABB sont de 350 kW, mais deux voitures peuvent s’y brancher. Deux Audi e-tron acceptant chacune 150 kW pourront ainsi en bénéficier.  Le français Total étudie actuellement un plan d’installation  le long des autoroutes françaises d’un réseau  de superchargeurs de 150 kW.  En février 2018 Patrick Pouyanné, PDG de Total a déclaré que le groupe va « regarder comment on va mailler les grands axes français (…) pour que tous les 150 à 160 km, on soit capables d’offrir [ce service] à nos clients ». Shell et l’italien Enel accueilleront les superchargeurs Ionity au sein de leur stations-services autoroutières. Volvo, Fiat-Chrysler, PSA (Peugeot-Citroën-Opel), Jaguar-Land Rover et Tesla seraient en discussions avec Ionity pour rejoindre l’initiative. Shell est actif pour promouvoir les  « longs déplacements en voiture électrique ».Ionity n’est pas une initiative isolée en Europe dans le domaine des superchargeurs 350 kW.  Il y a aussi MEGA-E, par Allego, portant sur 322 stations dans 20 pays européens. A une échelle plus modeste Ultra-E a été initié par Allego, Audi, BMW, Magna et Renault, un réseau de 25 stations le long du trans-European transport network. Il y a encore le petit projet E-Via Flex-E porté par ENEL, Renault-Nissan, EDF, Enedis, Verbund et IBIL, consistant en 8 stations  en Italie , 4 en Espagne et 2 dans le sud de la France. Et enfin Fastned en partenariat avec ABB aux Pays-Bas.Aux USA Volkswagen met en place Electrify America, un réseau de stations-services équipées de superchargeurs, également de 350 kW, pour un montant d’investissement de 2 milliards de dollars. 300 autoroutes américaines seront équipées. Le groupe allemand a bien le projet de concurrencer Tesla, y compris aux USA.

Vitesse de charge: à la recherche du meilleur compromis

Au Nordic EV Summit 2018, Rami Syväri, CEO de Fortum Charge and Drive a estimé que « la plupart des véhicules nécessitent aujourd’hui une charge de 50 kW. Et avec les nouveaux véhicules qui arrivent sur le marché, c’est le prochain niveau d’évolution. Les coûts d’investissement dans la recharge haute puissance sont énormes. Cela aura évidemment un impact sur les prix. Ce que nous avons remarqué lorsque vous voyagez sur de longues distances, vous voulez faire une pause. Vous prenez un café ou mangez quelque chose, et cela prend du temps. En allant jusqu’à 150-350 kW, il y aura une question: êtes-vous prêt à payer pour cette vitesse supplémentaire? Ou êtes-vous en train de dire qu’une pause de charge normale est bonne? Avoir l’option, aller vers le futur, sera génial. Pour aller à l’hôpital, vous ne voulez pas attendre 30 minutes. Une charge de forte puissance sera nécessaire, en particulier dans le segment premium. Mais oui; la question est pertinente: à quelle vitesse devons-nous être? »

Le coût du projet Ionity pourrait s’élever à environ 3 milliards d’euros selon les chiffres qui circulent. Ce qui correspond à 1,2 million l’unité  pour chacun des 2400 superchargeurs. Contrairement à Tesla qui offre l’accès à ses superchargeurs aux clients Tesla, Volkswagen et ses partenaires feront payer à l’automobiliste le plein d’électricité au même prix qu’un plein d’essence. Ils pensent vraiment gagner de l’argent avec ce réseau de charge ultra-rapide. Le recours aux superchargeurs n’est utile que pour les longs trajets et ceux-ci représentent moins de 10% du kilométrage annuel d’un automobiliste standard. Le reste du temps la charge sera effectuée à la maison ou sur le lieu de travail, à un faible coût. Devoir payer plein pot lors des départs en vacances pour gagner un peu de temps, une bonne partie des automobilistes concernés acceptera sans doute. Ionity a déclaré que « les emplacements que nous envisageons sont vraiment de première qualité. Directement sur l’autoroute. Pas loin dans les terres, pas besoin de conduire cinq kilomètres jusqu’au prochain quartier industriel pour trouver une borne de recharge quelque part, sans éclairage, sans installations autour, mais directement sur l’autoroute. » Implicitement visé par ces propos, le réseau de Tesla. Face à la concurrence de  Ionity, Tesla déclare être prêt à ouvrir ses « superchargeurs » aux automobilistes possédant un véhicule électrique d’une autre marque que Tesla…Mais ils devront payer.

Le réseau électrique risque-t-il de souffrir avec l’installation des réseaux de superchargeurs ?  L’entreprise anglaise  Pivot Power,  fondée par un ancien de BNEF, a trouvé la parade: installer 45 super-batteries de 50 MW chacune sur l’ensemble de la Grande-Bretagne, directement reliées au réseau de très haute tension, et installer des super-chargeurs 350 kW  juste à côté. Les batteries serviront ainsi à la fois pour offrir des services au réseau électrique et pour charger les voitures électriques. Platts Power souligne qu’il s’agit du plus important projet de stockage batterie à l’échelle mondiale. En outre la société anglaise Zap & Go (issue de l’université d’Oxford) propose d’installer dans les stations-service des conteneurs équipés de batteries stationnaires rechargés durant la nuit et d’une capacité de 1 MWh.
Pour les pays où le réseau électrique manque de robustesse on peut aussi imaginer l’installation in situ de groupes électrogènes pour alimenter les superchargeurs. Alimentés par des carburants verts (agrocarburant, biogaz etc.). Un concept équivalent à celui des voitures hybrides, mais en version stationnaire.

Batteries solides: « the next step »

Avoir des batteries à haute densité énergétique permet d’avoir de longues autonomies mais réduit en revanche la vitesse de charge possible. Avoir une batterie à faible densité énergétique permet de recourir à des taux de charge élevé car elles chauffent moins. Elon Musk estime qu’ « il est plus important d’avoir une longue autonomie que d’avoir un temps de charge super rapide. Vous pouvez penser à cela dans les appareils que vous utilisez. Préférez-vous avoir un téléphone portable qui se charge en 5 minutes ou 10 minutes, mais qui n’a duré que 2 heures. Ou, si vous voulez un téléphone portable qui peut durer deux jours, et peut-être prendre une heure pour charger? » . Sauf que les nouvelles chimies de batterie pourraient changer la donne.

Le 22 mai 2018 le pétrolier BP a annoncé avoir décidé d’investir 20 M$ dans StoreDot, rejoignant ainsi Daimler qui lui a injecté 60 M$.  Cette start-up israélienne, soutenue par l’homme d’affaire le plus riche de l’état hébreux, affirme sur son site officiel que les batteries innovantes qu’il développe permettront de faire le plein d’électron « en 5 minutes », ce qui correspond à un taux de charge très élevé, de 12 C. Les superchargeurs de 350 kW, mis en avant dans les présentations de Doron Myersdorf, fondateur de StoreDot, pourront alors être utilisés par une voiture équipée d’une batterie de 30 kWh (environ 200 kilomètres d’autonomie). « Nous avons réalisé la charge en 5 minutes au niveau d’une cellule. S’il est possible de le faire au niveau d’une cellule, alors il est possible de le faire aussi au niveau d’un pack batterie. La nouvelle chimie et la nouvelle physique de la batterie sont ce qui permet de charger rapidement » a déclaré Myersdorf fin 2017 à Helsinki. Il est possible que la densité énergétique des batteries StoreDot soit au moins aussi bonne que celle des batteries Tesla car StoreDot annonce une autonomie de 480 kilomètres. Mais avec 350 kW il ne faudra pas 5 mais 15 minutes pour charger une batterie de 90 kWh. Pour tomber à 5 minutes il faudrait des superchargeurs d’1 MW. Tesla développe précisément des superchargeurs ayant cette puissance pour ses camions 100% électriques.

Au CES de Las Vegas le constructeur américain Fisker a présenté un dispositif baptisé « UltraCharge » : il promet de pouvoir récupérer 200 km d’autonomie en 9 minutes, soit 22 kilomètres par minute. Rien d’exceptionnel. Mais avec sa nouvelle batterie solide  (solid-state battery) Fisker  croit pouvoir proposer dès 2022-2023 de capturer en 1 minute assez d’énergie pour parcourir 800 kilomètres. Un taux de charge de 60 C ? Cela semble vraiment étrange.

Panasonic s’intéresse fortement aux batteries solides, tout comme son rival sud-coréen Samsung. Le PDG de Toyota, numéro un mondial de l’automobile, s’est affiché aux côtés du PDG de Panasonic (partenaire clé de Tesla) en décembre 2017, dans la perspective d’une alliance stratégique  dans le domaine des batteries. Toyota va commercialiser des voitures 100% électriques à batterie. Une révolution pour ce groupe qui avait jusqu’alors fait le pari de la voiture à hydrogène. En outre Toyota, Nissan et Honda se sont début mai 2018 associés au gouvernement japonais et aux fabricants de batteries pour accélérer le développement et la commercialisation des batteries à l’état solide.Lors du  salon automobile de Tokyo en octobre 2017, le vice-président de Toyota,  Didier Leroy, a annoncé l’arrivée commerciale de cette « Next Generation » dès 2025. Shinzuo Abe, directeur motorisation chez Toyota a déclaré fin mai 2018 dans le magazine Wards Auto: « Nous voulons que les batteries à l’état solide soient disponibles au début de la décennie 2020. Mais en fait, ce ne sera pas une production de masse, nous commencerons par la production de petits lots et d’essais. 2030 pourrait être un calendrier plus réaliste ». Takao Asami, Vice-Président R&D du groupe Nissan est du même avis: « Toutes les batteries à l’état solide, en gros, sont encore dans la phase initiale de la recherche. Donc, selon mon sentiment, c’est pratiquement un zéro à ce stade. » Asami a reconnu en revanche qu’effectivement, les batteries solides fonctionnaient très bien au laboratoire.

General Motors et Honda ont co-signé le 7 juin 2018 une alliance pour développer ensemble des batteries solides. BMW a investi de son côté en décembre 2017 dans la start-up Solid Power basée dans l’état du Colorado, fondée par l’inventeur de la batterie lithium-ion, John Goodenough, âgé de 95 ans. Aussi étonnant que celui puisse paraître la batterie Solid Power, au lieu de perdre de sa capacité au cours du temps, en gagnerait d’après une publication scientifique datant du 28 avril 2018 et dont fait écho le site InsideEVs. Une évolution qui ressemble un peu à celle de la qualité d’un bon vin.Bosch a abandonné dont projet de GigaFactory de batterie en Europe. Le géant allemand a estimé que pour devenir assez compétitif et alors conquérir 20% du marché mondial il fallait investir 20 milliards d’euros, et que c’était trop risqué. Profitant de ce trou d’air le géant chinois CATL va probablement construire une gigafactory de batteries en Allemagne. Pour ne pas que l’Europe soit dépassée face à la concurrence asiatique et américaine Total, via sa filiale Saft, s’est associé en février 2018 à Manz, Solvay et Siemens pour accélérer la recherche sur la batterie solide, dans le cadre d’un programme à 200 millions d’euros. Le gouvernement français a annoncé le 28 mai 2018 qu’il va injecter 10 millions d’euros pour la première tranche (30 M€) de ce projet qui s’inscrit dans la perspective de la construction d’un « airbus des batteries » européen. Cette annonce gouvernementale, pourtant de très haute importance stratégique, a fait très peu de bruit dans les médias français, Nicolas Hulot ayant décidé de communiquer le 1er juin 2018 sur son plan hydrogène à 100 M€. Si la France (et l’Europe) a raté le train de la batterie lithium classique, il reste (un peu) d’espoir pour qu’elle puisse s’imposer sur les batteries solides. Si et seulement si elle se donne dès à présent vraiment les moyens.  Si ce n’est pas l’Europe qui s’impose, alors cela sera, encore une fois, l’Asie.

Total veut construire une usine capable de délivrer 1 GWh par an de batteries solides dès 2023. Et de 10 GWh/an dès 2025. De quoi commencer à tutoyer la Gigafactory de Tesla dans le Nevada et celles qui poussent comme des champignons en Asie. Le 7 juin 2018 les industriels français accompagnés de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, Delphine Gény-Stephann, ont rencontré le commissaire européen, Maros Sefcovic, chargé de l’Union énergétique, pour promouvoir ce projet français de création d’usine de batteries.

Cela va très vite côté asiatique: un responsable de Samsung SDI a déclaré anonymement au Korea Herald que « notre niveau technologique pour produire une batterie solide pour les smartphones sera assez mature en un ou deux ans. » Il a aussi estimé que son concurrent LG Chem était au même niveau technologique que Samsung. « Notre directeur du développement parle des batteries à l’état solide, elles sont encore à quelques années devant nous, mais elles viendront » a déclaré Peter Oberndorfer, directeur de la communication produit et technologie d’Audi.  Elon Musk pense de son côté que les batteries Lithium ion de Tesla auront amélioré leur densité énergétique de 30% d’ici 2 à 3 ans. « Il y aura quelques progrès avec le lithium-ion mais je pense que le vrai progrès est de venir avec un état solide ou similaire » a déclaré de son côté Oberndorfer.Aujourd’hui en 2018 les cellules « solid-state » fonctionnent au laboratoire, même s’il y a encore quelques points techniques à régler. D’où l’effervescence constatée à l’échelle mondiale. En 2019-2020 les premières batteries solides équiperont les téléphones portables. Et en 2020-2025 les premiers tests seront effectués in vivo sur des petits lots de voitures électriques. En 2025-2030 les premières commercialisations auront lieu, à moins que certains groupes tentent de brûler un peu les étapes afin d’être les premiers à conquérir ce marché hautement stratégique, et d’effectuer les tests directement avec leurs clients. Total veut que l’Europe devienne leader mondial, d’où la volonté de construire une gigafactory sur le vieux continent dès 2023.

Si tout se passe comme prévu, ces batteries de prochaine génération offriraient une autonomie de 550 km vers 2025 et atteindraient le seuil des 800 km en 2030, tout en chargeant jusqu’à 80% de leur capacité en moins de 20 minutes. Si les batteries solides débarquent concrètement dès 2023 alors elles rendront obsolètes les voitures équipées de moteurs à combustion interne et couperont l’herbe sous le pied à la voiture à hydrogène dont le principal avantage est de pouvoir faire le plein en 5 minutes en dépit de son efficacité énergétique particulièrement médiocre et de son coût très élevé.  En effet d’ici 2025 il est fort peu probable que la voiture à hydrogène ne se soit imposée face à la voiture à batterie lithium. Par conséquent l’arrivée des batteries solides la tuera dans l’œuf. Le marché des camions et des bus sera lui aussi fortement impacté. Il ne restera à l’hydrogène que le marché des bateaux et des avions effectuant de très longues distances.

« L’électricité est l’énergie du XXIe siècle » (Patrick Pouyanné, PDG de Total)

Total (mars 2018) et l’Alliance Venture de Renault-Nissan-Mitsubishi (février 2018) ont décidé, tout comme Samsung, d’investir dans la start-up américaine Ionic, spécialiste de la batterie solide. Non seulement la technologie de Ionic, reposant sur un polymère innovant, permettra de réduire considérablement le temps de charge des batteries lithium (tout en éliminant le Cobalt) et d’augmenter la densité énergétique, mais elle porte aussi la promesse de remplacer les batteries lithium par des batteries alcalines rechargeables à base de zinc ou, encore mieux, d’aluminium. Ce qui a notamment séduit l’écologiste Amory Lovins, fondateur du Rocky Mountain Institute.
Bill Joy, co-fondateur de Sun Microsystems et investisseur devenu membre du board of directors de Ionic, estime que le coût des batteries solides Ionic  à aluminium, un métal peu coûteux et abondant, pourrait tomber aussi bas que 10 dollars le kWh de stockage dans le futur. Contre environ 200 dollars avec les batteries lithium actuelles. Une révolution non seulement dans le domaine de la mobilité mais aussi pour le stockage stationnaire de l’énergie provenant des centrales éoliennes et solaires. Le magazine Wired a qualifié de « Batterie Jésus » la technologie de Ionic. Elle est attendue comme le Messie.
Toshiba a de son côté développé une batterie permettant en 6 minutes de collecter assez d’énergie pour faire  320 kilomètres; soit 53 kilomètres par minute de charge. Mais elles contiennent du Néobium, un élément très rare, ce qui relativise l’intérêt de cette technologie. La vision de Ionic, à l’inverse, est vraiment prometteuse dans une perspective de développement vraiment durable, car elle repose sur des éléments abondants et intégralement recyclables. Renault-Nissan, numéro un mondial de la voiture électrique, et Total, numéro un français de l’énergie,  ont vu juste.
Jean-Gabriel Marie

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