Le rendement des moteurs à essence actuellement sur le marché est compris entre 37 et 40 %, voire 41 % pour les meilleurs d’entre eux. Le reste de l’énergie produite par la combustion est donc perdu. En 2017, un projet européen nommé EAGLE (Efficient Additivated Gasoline Lean Engine) a été créé avec pour ambition de développer un moteur à essence, adapté aux véhicules électriques et à très haut rendement, jusqu’à 50 %. Les partenaires de ce projet, regroupant entre autres l’IFP Énergies nouvelles et Renault, viennent de dévoiler leurs résultats. Certes, le rendement espéré n’a pas été atteint – il dépasse tout de même 45 % –, mais ces travaux de recherche pourraient préfigurer une nouvelle génération de moteurs à la fin de la décennie.
Aujourd’hui, tous les moteurs à essence fonctionnent grâce à un mélange air/essence dit de richesse 1. Cette combustion facilite l’élimination des émissions de polluants, par contre elle a pour effet de limiter leurs rendements. « Nous avons décidé d’utiliser un mélange pauvre, c’est-à-dire d’apporter deux fois plus d’air dans la chambre à combustion qu’un moteur richesse 1, explique Bertrand Gatellier, responsable du programme « Motorisations et systèmes » à l’IFPEN. Automatiquement, ce changement permet une augmentation théorique du rendement et une réduction des transferts thermique avec les parois du moteur. Mais nous avons dû développer des solutions technologiques afin de conserver cet avantage tout en limitant les inconvénients de ce type de combustion. »
Une pré-chambre active inspirée par les moteurs de F1
La première d’entre elles a consisté à résoudre le problème d’allumage. La proportion d’essence est en effet trop pauvre dans la chambre de combustion. La solution : mettre en place un système d’allumage différencié, avec le même principe que celui rencontré sur les moteurs de F1 et ceux à gaz. Une pré-chambre active a donc été installée avec à l’intérieur une bougie et un injecteur. Ce dernier injecte une quantité de carburant supplémentaire de manière à obtenir les bonnes conditions d’allumage. « Ce système permet d’avoir un allumage du mélange carburé, à l’intérieur de la chambre principale, facilité, analyse Bertrand Gatellier. Tout le travail de recherche a ensuite consisté à optimiser le système de combustion combinant cette technologie de pré-chambre afin qu’elle contribue à augmenter le rendement du moteur. »
Autre innovation développée : la conception de nouveaux revêtements afin de réduire les pertes de chaleur. L’objectif ici était de réussir à diminuer la différence de température entre les gaz et la paroi du moteur dans le but de limiter les transferts thermiques. L’Institut de recherche CMT de l’université polytechnique de Valence, spécialisé dans les moteurs thermiques, a d’abord effectué des études paramétriques et des calculs approfondis pour définir les principales caractéristiques thermiques d’un tel revêtement. L’entreprise Saint-Gobain s’est ensuite chargée de le fabriquer grâce à des matériaux céramiques.
Les équipes de ce projet ont également repris une technologie déjà présente sur certains moteurs de richesse 1. Appelée le cycle de Miller ou Atkinson, elle permet à ces moteurs de passer d’un rendement d’environ 37 % à une performance de 40 à 41 %. Elle consiste à dissocier le taux de compression du taux de détente. Le premier est en effet néfaste pour le moteur tandis que le second est très favorable à son rendement. Sur un moteur classique, la compression commence au point mort bas des pistons. Ici, l’astuce consiste à retarder ou à avancer la fermeture des soupapes d’admission bien après le point mort bas afin d’abaisser ce taux de compression tout en conservant un taux de détente important. « Sur les moteurs à richesse 1, le taux de compression géométrique (et donc de détente) est de 10,5 en moyenne, ajoute Bertrand Gatellier. Ceux utilisant cette technologie atteignent une valeur de 12. Ici, nous avons réussi à dépasser 14, ce qui contribue à améliorer le rendement de notre moteur à mélange pauvre. »
Des catalyseurs de stockage pour piéger les oxydes d’azote
Restait à résoudre le problème des émissions de polluants. Le mélange pauvre présente l’avantage d’en émettre moins que les moteurs à richesse 1. Mais paradoxalement, les oxydes d’azote sont beaucoup plus faciles à éliminer sur les moteurs classiques grâce aux catalyseurs trois voies. « Malgré les faibles émissions, nous avons été obligés de réduire les oxydes d’azote à l’aide d’un système de post-traitement pour respecter les normes. Deux solutions se présentaient à nous. Traiter en continu ces émissions grâce à la catalyse SCR (selective catalytic reduction) qui se généralise sur les moteurs diesel. Ou alors utiliser des systèmes à piège que l’on appelle des catalyseurs de stockage. C’est cette seconde technologie que nous avons choisie car, même si elle est moins efficace, elle est suffisante au regard des faibles rejets ». Les chercheurs ont procédé à plusieurs innovations sur la formulation de ces catalyseurs de stockage mais qu’ils ne souhaitent pas dévoiler. Au final, l’objectif a été atteint puisque les émissions en oxydes d’azote de ce moteur sont en dessous de la norme Euro 6d-TEMP actuellement en vigueur et fixée à 60 mg/km.
Pour chacun des partenaires impliqués dans ce projet, ce travail de recherche a montré les avantages, les limites et les voies de progrès de ce type de moteur. « Même si le rendement des moteurs à richesse 1 a encore une marge de progrès, ils vont bientôt arriver à leur asymptote, poursuit Bertrand Gatellier. Pour continuer à l’augmenter, il faudra très vraisemblablement se tourner vers la combustion en mélange pauvre. Le projet EAGLE a été comme un éclaireur et a démontré que c’était possible. Il est clair que c’est un moteur plus complexe. Après, ce sera une question de ratio entre sa complexité et les gains de rendement obtenus. Je pense que ce type de moteur essence arrivera sur le marché à l’horizon 2028-2030. »
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