L’étude publiée dans Nature prédit de graves perturbations écologiques dans les prochaines décennies. Si les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne faiblissent pas, les régimes de température sans précédent pour certaines espèces commenceront avant 2030 dans les océans tropicaux. Les premières vagues seraient même déjà en train de se produire, comme semble en témoigner le blanchissement en masse récent des coraux sur la Grande Barrière de Corail. Les latitudes plus élevées et les forêts tropicales devraient être menacées d’ici 2050.
Alex Pigot, auteur principal de l’étude, alerte dans un communiqué : « Nous avons constaté que les risques du changement climatique pour la biodiversité n’augmentent pas progressivement. Au lieu de cela, à mesure que le climat se réchauffe, la plupart des espèces d’une même zone résistent pendant un moment, jusqu’à ce que la température franchisse un seuil au-delà duquel une grande partie d’entre elles affronteront soudainement des conditions qu’elles n’ont jamais connues auparavant ». Il fait allusion à un monde avançant vers une « série de falaises » et non sur une « pente glissante ».
Comprendre les conditions de survie de chaque espèce
Avec ses collègues des États-Unis et d’Amérique du sud, Alex Pigot a d’abord établi les conditions de survie de chaque espèce. Pour ce faire, ils ont utilisé les données climatiques (températures et précipitations) couvrant la période 1850-2005 et les ont recoupées avec l’aire de répartition géographique de 30 652 espèces d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens, de poissons, d’autres animaux et de plantes. Ils ont récolté des données pour toutes les régions du monde et ont divisé la Terre en cellules de 100 km de côté.
Les auteurs ont utilisé les projections thermiques et hydriques de 22 modèles climatiques jusqu’en 2100. Ils ont alors pu prédire quand les communautés biologiques, à savoir les assemblages d’espèces dans chaque cellule, commenceraient à subir des températures constamment plus élevées, que celles qu’elles ont déjà connues dans toute leur aire de répartition géographique pendant au moins cinq ans d’affilée. Les scientifiques ont testé trois types de scenarii climatiques RCP (pour Representative Concentration Pathway) établis par le GIEC: les RCP2.6, RCP4.5 et RCP8.5, correspondant respectivement à une hausse moyenne des températures de 1,6°C, 2,4°C et 4,3°C entre 1850 et 2100.
Les espèces vont affronter des conditions inconnues
Dans toutes les communautés biologiques étudiées, en moyenne 73 % des espèces franchissent le seuil de températures qui les place hors de leur zone de confort dans la même décennie. « Lorsque les températures dans une zone donnée atteindront des niveaux que l’espèce n’a jamais connus, nous nous attendons à ce qu’il y ait des extinctions, mais pas nécessairement – nous n’avons tout simplement aucune preuve de la capacité de ces espèces à persister après ce point », analyse dans le communiqué Christopher Trisos, co-auteur de l’étude.
Dans le scénario d’émissions hautes du GIEC, les températures mondiales augmenteraient de 4 ° C d’ici 2100. 81 % des communautés terrestres et 37 % des communautés marines verraient alors au moins une de leur espèce exposée à des températures annuelles moyennes sans précédent à cet horizon. Les tropiques seront particulièrement touchés. Respectivement 68 % et 39 % des communautés terrestres et marines tropicales verront au moins 20 % leurs espèces rencontrer des températures sans précédent d’ici 2100. Ces chiffres sont à comparer avec 7 % des communautés terrestres et 1 % des communautés marines en dehors des tropiques. Dans le monde, plus de 15 % des communautés biologiques verront au moins 20 % de leurs espèces affronter des conditions au-delà de leur zone de confort. Un tel événement pourrait causer des dommages irréversibles au fonctionnement de l’écosystème.
Si le réchauffement est maintenu à 2 ° C ou moins, seulement 2 % des communautés pourraient être confrontées à de tels événements d’exposition. Les chercheurs mettent toutefois en garde contre le fait que ces 2 % comprennent certaines des communautés les plus riches en biodiversité de la planète, telles que les récifs coralliens.
À l’instar de la lutte contre le coronavirus, il s’agira d’aplanir la courbe. Au lieu de donner du temps aux hôpitaux, cela donnera plus de temps aux communautés pour s’adapter. En espérant qu’elles puissent absorber le choc. « Le maintien du réchauffement climatique en dessous de 2 ° C aplanit efficacement la courbe d’accumulation de ce risque pour la biodiversité au cours du siècle, donnant plus de temps aux espèces et aux écosystèmes pour s’adapter au changement climatique – que ce soit en trouvant de nouveaux habitats, en modifiant leur comportement, ou avec l’aide d’efforts de conservation menés par l’homme », prévient Alex Pigot. Les auteurs appellent enfin à la mise en place d’un programme de surveillance décennal de la biodiversité, semblable à ce que font les climatologues.
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