Une volonté de rationalisation de la santé publique
Dans le domaine médical, la question de l’attribution de ressources limitées pour sauver et améliorer des vies se pose de façon particulièrement aiguë et explicite depuis longtemps. A partir des années 1960, des économistes ont commencé à évaluer l’efficacité des soins offerts par les systèmes de santé, en particulier lorsque ceux-ci sont des systèmes publics où les soins sont financés par la solidarité nationale. L’objectif était de permettre une répartition optimale des ressources pour maximiser les bienfaits du système de santé sur l’ensemble de la population. Au Royaume Uni, cela a abouti à la fin des années 1990 à la création du NICE (National Institute for Health and Care Excellence), une institution publique chargée de d’évaluer les politiques de santé de faire des recommandations. C’est pour accomplir ses missions que le NICE a rapidement adopté l’utilisation du QALY (Quality Adjusted Life Year).
Une méthode pour mesurer la durée et la qualité de vie
Un QALY représente une année de vie en bonne santé. Le nombre de QALY d’un individu est donc une mesure du nombre d’années qu’il lui reste à vivre en bonne santé : il traduit donc à la fois la longévité et le niveau de santé attendus [1]. Pour calculer ce nombre de QALY, on pondère chaque année d’espérance de vie de l’individu d’un score reflétant son état de santé attendu : une année en parfaite santé est pondérée de 1 et une année passée dans un état proche de la mort est pondérée d’une valeur quasi-nulle.
Pour chaque individu, les statistiques médicales permettent d’évaluer son espérance de vie et l’état de santé associé à ses états futurs. Afin de pondérer de manière cohérente les années d’espérance de vie, une grille a été définie permettant de qualifier l’état de santé. La méthodologie retenue, EQ-5D, se base sur cinq critères qui font consensus comme traduisant la qualité de vie des patients :
- la mobilité,
- l’autonomie dans le soin de soi-même,
- la capacité à mener ses activités habituelles (travail, loisirs, études, etc.),
- la douleur et l’inconfort,
- l’état psychologique (anxiété, dépression).
Pour chacune de ces dimensions, trois niveaux sont possibles :
- 1 (idéal),
- 2 (problèmes)
- 3 (problèmes extrêmes).
L’ensemble donne 35=243 possibilités auxquels on ajoute deux états particuliers : “inconscient” et “mort”. C’est cette grille de 245 états qui permet de juger systématiquement de la qualité de vie de chaque patient.
Un score est ensuite affecté à chacun des 245 états de la grille EQ-5D, représentant la valeur relative d’une année passée dans cet état par rapport à une année en parfaite santé, allant de 1 en parfaite santé à 0 en cas de mort [2].
Exemples de mesure du QALY au Royaume-Uni
Un recours aux préférences déclarées d’individus en bonne santé
La détermination du score QALY affecté à chacun des états de cette grille EQ-5D est faite par interrogation d’un groupe statistiquement représentatif d’individus. Trois types de mesures de préférences déclarées sont habituellement employés pour mesurer le QALY des différents états :
- Visual Analog Scale : les personnes interrogées doivent directement donner le score qu’ils pensent juste pour un état donné, sans l’intermédiaire d’un scénario de mise en situation.
- Time Trade-Off : les personnes interrogées doivent donner une préférence entre vivre plus longtemps dans un état dégradé ou vivre moins longtemps en pleine santé. On recherche alors le point où les interviewés sont indifférents entre les deux options, ce qui permet de déduire le score QALY dans l’état dégradé.
- Standard Gamble : les personnes interrogées doivent exprimer une préférence entre rester malade dans un état dégradé ou tenter une intervention, avec un taux de succès connu, qui conduira à une rémission complète ou la mort. On recherche alors également le point d’indifférence entre les deux options pour en déduire un score QALY pour l’état dégradé.
Un outil pour faire des choix
L’existence de l’échelle de QALY permet ensuite de quantifier la différence entre une situation initiale et celle après un traitement thérapeutique, permettant de hiérarchiser les interventions médicales selon leur gain de QALY. En allant plus loin, dans une optique de maximisation du nombre de QALY pour la population, les interventions médicales peuvent être hiérarchisées selon leur gain de QALY par euro dépensé. A cette fin, NICE utilise une valeur maximum de référence de 20.000 £ à 30.000 £ par QALY gagné.
Des controverses méthodologiques et éthiques
D’un point de vue méthodologique, la méthode QALY reste controversée dans son évaluation des états de santé. Nombre de critiques applicables aux méthodes fondées sur les préférences déclarées sont applicables au QALY : comment obtenir par déclaration hypothétique un score QALY non entaché de biais ? Les personnes interrogées, en bonne santé, sont-elles bien placées pour juger de cas de handicap qu’elles ne connaissent pas ?
D’un point de vue éthique, la méthode QALY reste critiquée pour son caractère différentiant, qui assume pleinement le fait qu’un individu jeune a plus de valeur qu’un individu vieux, et amène à discriminer dans l’attribution de ressources contre les personnes les plus âgées. Ceci est un effet souhaitable pour les partisans de la méthode : ils arguent d’un droit de chacun à accéder à un total de QALY le plus égal possible au cours de sa vie. Qu’un individu soit vieux prouve alors simplement qu’il a bénéficié du système et a déjà accédé à ce à quoi il pouvait légitimement prétendre.
Par Emmanuel Grand
[1] La mesure du QALY fait l’hypothèse d’une préférence universelle pour une bonne santé et pour une vie la plus longue possible, et donc in fine pour une maximisation du nombre de QALY.
[2] Certains états jugés pires que la mort peuvent être affectés d’une pondération négative.
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