Clément Nouvel est responsable LiDAR chez Valeo. Il a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la stratégie du groupe français autour de la technologie LiDAR. Une stratégie qui a vu Valeo développer des capteurs LiDAR depuis plus de dix ans, pour atteindre aujourd’hui un statut de leader mondial sur cette technologie.
Une avance qui permet au groupe de se projeter avec confiance sur les prochaines étapes du développement du véhicule autonome, alors que les premiers véhicules de niveau 3 arrivent sur le marché.
Techniques de l’Ingénieur : Valeo est un acteur historique sur le marché des capteurs pour l’automobile. Pouvez-vous revenir sur cette histoire ?
Clément Nouvel : Le développement industriel de capteurs d’assistance à la conduite pour équiper les véhicules a commencé dans les années 90, et Valeo était déjà leader sur ce marché à cette époque, avec le développement de capteurs à ultrasons, dont la finalité était un rôle d’avertissement du conducteur pour les manœuvres de stationnement.
Aujourd’hui nous avons produit plus d’un milliard de ces capteurs, qui permettent au conducteur d’être averti lorsque son véhicule suit une trajectoire se rapprochant dangereusement d’un obstacle.
Depuis, d’autres types de capteurs sont venus progressivement enrichir notre portefeuille de technologies pour une compréhension toujours plus complète de l’environnement du véhicule, comprenant capteurs ultrasons, caméras, radars et LiDARS, et améliorer toujours plus la sécurité.
Valeo a été le premier à proposer, grâce à ses capteurs, des systèmes d’alerte de de franchissement de ligne et systèmes de détection d’angle mort. Ces technologies sont venues s’ajouter au fur et à mesure pour s’intégrer de manière sûre au fonctionnement du véhicule, avec l’objectif d’informer et d’assister le conducteur dans sa tâche. Tout cela s’est fait de manière très progressive. Aujourd’hui, ces systèmes réglementés sont capables de prendre la main sur le véhicule dans certains cas spécifiques pour intervenir. C’est le cas pour le freinage d’urgence par exemple.
Pourquoi ces technologies sont-elles complémentaires ?
Chaque technologie de capteurs a ses avantages. Le capteur à ultrasons est par exemple bien adapté pour la courte portée. Il est, de plus, petit et peu cher. Il est donc possible d’en installer un peu partout sur le véhicule, pour apporter une aide au parking par exemple.
La caméra a une bonne résolution, peut voir en couleur, et est également peu chère, donc facile à installer dans les véhicules. D’ailleurs, peu de gens le savent, mais dès l’année prochaine quasiment tous les nouveaux véhicules auront une caméra frontale.
Le radar, via l’effet Doppler, permet de capter des informations à travers du brouillard, ou quand les conditions de luminosité sont très mauvaises. Ces technologies sont donc toutes complémentaires, et le LiDAR vient ajouter des avantages supplémentaires par sa portée et sa capacité à capter l’environnement en 3D avec une grande précision de jour comme de nuit, avec une capacité à voir les détails sans équivalent chez les autres types de capteurs.
Pour arriver au véhicule autonome, il faudra utiliser l’ensemble de ces technologies, qui offrent également une redondance de l’information, ce qui permet d’assurer un niveau de sécurité optimal.
Le LiDAR est-il aujourd’hui un outil technologique pour le développement des véhicules autonomes ?
Le LiDAR est une technologie indispensable pour atteindre le niveau 3 d’autonomie et présente également des avantages à des niveaux d’autonomie inférieurs, en particulier le niveau 2. Quand on importe une technologie venant d’un autre secteur industriel, il y a un temps de maturation, de convergence pour développer des applications technologiques robustes, performantes, et les moins chères possible.
Sur ce point, Valeo est en position de leadership, puisque nous avons entamé cette réflexion autour de la maturation du LiDAR pour les véhicules il y a plus de dix ans. La question qui peut se poser aujourd’hui est plutôt de savoir quand le LiDAR sera à un niveau de prix et de performance optimums. Sur ce dernier point, Valeo se place également en leader, puisqu’en produisant de gros volumes, nous développons aujourd’hui les Lidars les moins chers et les plus compétitifs du marché. C’est un domaine sur lequel nous avons un leadership important.
Ce leadership vous place-t-il dans une situation favorable dans la course au véhicule autonome ?
Oui, il est évident que cela constitue un avantage. Mais cette position de leader se reflète déjà aujourd’hui à travers la sortie du premier modèle – développé par Honda – de véhicule autonome de niveau 3, qui est équipé de cinq SCALA 1, nos capteurs LiDARs première génération. Le second modèle de niveau 3, présenté il y a quelques semaines à l’IAA de Munich, est le Classe S de Mercedes : il est équipé des capteurs LiDARs Valeo deuxième génération. A travers ces réussites s’est révélée une capacité, acquise progressivement, à adapter nos technologies aux différents cas d’usages liés au niveau 3 d’autonomie. Nous avons aujourd’hui cette capacité de présenter à nos clients des produits très compétitifs, et qui sont également développés et utilisés depuis dix ans par d’autres constructeurs. Toute cette expérience acquise et ce savoir-faire sont des atouts fondamentaux. Aujourd’hui, nous sommes par exemple en mesure de fournir des informations extrêmement précises sur le comportement de nos capteurs sur les routes de différents pays, grâce à l’expérience que nous avons accumulée. Cela a une valeur importante auprès de nos potentiels clients.
A la fin de l’année, notre seconde génération de LiDAR sera montée en série sur les modèles Classe S de Mercedes. Nous sommes les seuls acteurs dans ce cas.
Comment est appréhendé le développement des véhicules autonomes de niveau 4 ?
La marche pour passer du niveau 3 au niveau 4 est très haute. Nous avons pris de l’avance sur le niveau 3. Il faut savoir qu’aujourd’hui, le niveau 3 tel qu’il existe par exemple au Japon et tel qu’il sera bientôt implémenté dans d’autres pays, correspond pour les véhicules à une vitesse d’embouteillage. Pour passer au niveau 4, il va falloir augmenter le nombre de LiDARs dans chaque véhicule. En termes de complexité, c’est exponentiel entre les niveaux 3 et 4, mais il est certain que notre expertise du niveau 3 nous servira beaucoup pour les prochaines étapes.
Les véhicules de niveau 3 qui sortent sur le marché cette année sont dotés des trois types de capteurs que nous avons évoqués, mais également d’une connectivité et d’une cartographie qui vont s’ajouter progressivement à l’infrastructure du véhicule autonome.
Il est évident qu’il faudra au fur et à mesure mettre en place une standardisation de tous ces systèmes. Pour autant, le déploiement massif dans les véhicules de technologies utilisant les capteurs, la cartographie et la connectivité est d’ores et déjà en cours, avec l’utilisation par exemple de cartes HD pour la cartographie qui vont communiquer avec les capteurs. D’ailleurs, nous avons présenté à l’IAA de Munich cette année, un modèle Drive4U ayant un niveau 4 d’autonomie, tout en étant équipé intégralement de capteurs de série déjà sur le marché. Il y a donc une marge de manœuvre très large en termes d’innovations, même au-delà de la connectivité et de la cartographie.
Aussi, la production de capteurs à grande échelle va bien sûr favoriser le développement des véhicules autonomes pour tous les acteurs de ce secteur.
Pouvez-vous nous parler de l’usine de Wemding en Allemagne, dans laquelle ont été développés les processus de production de vos capteurs LiDAR ?
L’usine de Wemding est l’usine mère des capteurs d’assistance à la conduite chez Valeo. Elle produit des LiDARs, des caméras, des radars, des capteurs à ultrasons… cette usine est importante car c’est elle qui nous permet de produire des capteurs à grande échelle et donc à un coût réduit. C’est aussi une usine extrêmement avancée en termes d’automatisation.
Ensuite, pour en revenir au LiDAR, il s’agit d’une technologie complexe : pour produire des LiDARs en série, il faut parvenir à simplifier et à maîtriser des process et des technologies au maximum. C’est ce que nous sommes parvenus à faire sur notre site de Wemding, progressivement. Ce savoir-faire développé à Wemding est ensuite exporté vers nos autres usines de production. C’est un avantage concurrentiel très important, puisque nous sommes les seuls fournisseurs sur le marché à avoir intégré la production de Lidars en série. Nous en sommes à la seconde génération, alors qu’aucun de nos concurrents n’a mis sa première en production de série pour le moment.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Image du Une : Capteur produit à l’usine de Wemding ©Valeo
Cet article se trouve dans le dossier :
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