Après avoir travaillé pendant un peu plus de deux ans au sein de l’un des leaders mondiaux de la technologie de jumeau numérique, Romain Kirchhoff s’est associé au diplômé de l’INSA Strasbourg Théo Benazzi pour fonder Uzufly. Plutôt que de simplement transposer en Suisse le modèle de son ex-employeur, Romain Kirchhoff – détenteur d’un master de l’EPFL en management, technologie et entrepreneuriat – s’est efforcé de comprendre les besoins de ses futurs clients (collectivités et autres promoteurs immobiliers). Avec son associé, il a ainsi conçu une offre axée sur un objectif principal : assurer une meilleure communication entre aménageurs et habitants. Uzufly propose pour cela une solution en trois volets : capture d’images aériennes et génération d’un environnement 3D, intégration des futures constructions et création d’un rendu photoréaliste généré grâce à des outils issus du monde du jeu vidéo. Romain Kirchhoff, CEO et cofondateur d’Uzufly, nous détaille la genèse et nous dévoile les intérêts de cette solution innovante.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la genèse d’Uzufly ?
Romain Kirchhoff : J’ai pour ma part commencé mon parcours par un bachelor en génie civil à l’EPFL, suivi par un master en management, technologies et entrepreneuriat. J’avais donc déjà un attrait particulier pour l’innovation. J’ai rejoint ensuite, pour mon projet de fin d’études, un fonds d’investissement axé sur la thématique des drones. Cette expérience m’a amené à la conclusion que hardware et software ne sont pas forcément les aspects les plus importants dans ce domaine, mais qu’il s’agit plutôt de la façon dont les données capturées depuis les airs sont converties en informations utiles pour les clients. J’ai ainsi rejoint une start-up spécialiste des drones basée à Londres, rencontrée par le biais de ce fonds. J’y ai travaillé pendant deux ans et demi. J’ai ensuite décidé de rentrer en Suisse pour tenter de pousser plus loin cette thématique. Un peu naïvement, je pensais au départ dupliquer le business model et proposer des relevés topographiques pour des projets d’infrastructures en Suisse… Quand j’ai présenté cela à une première commune, on m’a répondu que l’on ne comprenait pas le concept ! J’ai ainsi réalisé qu’il fallait avant tout être à l’écoute des besoins des clients avant de formuler des offres. C’est là que j’ai pris conscience du besoin le plus important des communes : celui de mieux communiquer avec les habitants au sujet de futurs projets d’aménagements. C’est alors qu’a débuté ma collaboration avec Théo Benazzi, qui vient de l’INSA Strasbourg, et qui est spécialiste des jumeaux numériques photoréalistes. Nous avons ainsi lancé Uzufly en octobre 2020 et commencé à travailler avec les communes puis, de plus en plus, les promoteurs immobiliers, avec un même objectif en trois étapes : modéliser l’existant depuis les airs, intégrer les futurs bâtiments, puis traiter tout cela grâce à un moteur de rendu de jeux vidéo, comme Unreal Engine. Ceci afin d’obtenir un rendu le plus réaliste possible, digne d’être présenté au grand public.
Comment votre offre de services s’articule-t-elle ?
Le point de départ est toujours le même : la création d’un jumeau numérique. Nous réalisons l’acquisition des données indifféremment par drone, avion ou hélicoptère – et nous combinons parfois ces modes de prise de vue – afin de créer un socle 3D constituant notre base de travail. Ensuite, nous avons trois offres distinctes. La première concerne la mise à disposition de données techniques pour des logiciels-métier, comme un plan topographique, ou des fichiers 3D. Deuxièmement, une fois que le projet a déjà abouti à un premier aperçu de la volumétrie, nous pouvons intégrer ces premiers designs architecturaux à l’environnement 3D que nous avons créé. Nous mettons alors à disposition de nos clients une plateforme web qui leur permet de consulter et d’utiliser ce jumeau numérique. Il bénéficie d’une résolution de 1,5 cm par pixel – soit près de cinq fois ce que propose Google Earth – et d’une précision absolue inférieure à cinq centimètres…
Enfin, nous pouvons générer des rendus photoréalistes figés, mais aussi les animer en vidéo, puisque nous travaillons dans un environnement entièrement 3D.
Comment parvenez-vous à modéliser un environnement en 3D à partir de simples photos aériennes ?
Nous mettons en œuvre la technique de photogrammétrie. Quiconque dispose d’un drone et d’un logiciel tel que Pix4D peut faire de même. Nous apportons toutefois notre expertise sur des aspects tels que le choix du capteur, de l’optique, de l’architecture de vol, des points de contrôle, du géoréférencement… Toute la partie processing est aussi notre spécialité. C’est la grande force de mon associé Théo, qui a travaillé chez le leader mondial de la modélisation 3D à grande échelle.
Quel est, en moyenne, le temps nécessaire à la réalisation d’un projet ?
En règle générale, nous travaillons sur des zones d’une cinquantaine d’hectares. Cela implique environ une demi-journée d’acquisition. Les traitements prennent ensuite entre deux et cinq jours. Néanmoins, nous prévoyons généralement un délai d’un mois, afin de prendre en compte les éventuels imprévus logistiques, météo, administratifs, etc.
Qu’est-ce qui guide le choix du mode de prise de vue : drone, hélicoptère, avion… ?
L’idée de base de la société est d’être agnostique en matière de plateforme. Si, par exemple, nous avions une grande zone à cartographier, à l’échelle d’un pays, nous privilégierions l’avion. Si le projet concerne plutôt une commune entière, cela se fera plutôt par hélicoptère. Au-delà de 10 km², il est en effet plus rentable d’utiliser un hélicoptère que des drones. Le rendu visuel est aussi meilleur, car le temps d’acquisition est plus court. On a donc moins de variations de luminosité entre chaque image dues aux changements météo.
Combien de projets avez-vous pu mener à bien jusqu’à présent ?
Depuis un peu plus de deux ans, nous avons réalisé environ 70 projets, principalement à destination de promoteurs immobiliers et de communes. Nous avons toutefois aussi d’autres types de projets qui émergent, autour de l’inspection visuelle d’ouvrages d’art, ou encore l’inspection archéologique par exemple. L’un de nos objectifs principaux est de démocratiser l’utilisation des jumeaux numériques par les professionnels.
En quoi ce projet en lien avec l’archéologie va-t-il consister ?
Je ne peux pas encore en dévoiler tous les détails, mais ce projet est issu de l’une de nos collaborations avec des laboratoires de l’EPFL. Dans ce cadre, nous allons travailler avec l’un d’entre eux pour modéliser en 3D un temple égyptien. Cela va servir la recherche archéologique, mais pourrait aussi aboutir à des usages plus grand public, comme une application de terrain en réalité augmentée apportant des informations sur les hiéroglyphes…
Cela va nous demander beaucoup de temps, notamment sur le plan administratif, mais les opérations de terrain devraient débuter en novembre.
Avez-vous éventuellement d’autres perspectives de développement ?
L’un des meilleurs moyens, selon nous, de démocratiser l’utilisation des jumeaux numériques est de mettre à disposition une plateforme commune, accessible à la fois aux architectes, urbanistes et ingénieurs. C’est donc l’un de nos grands axes de développement.
À plus long terme, nous pressentons aussi un intérêt qui devrait aller croissant pour la réalité virtuelle. Même si nous restons, pour l’heure, concentrés sur le développement de nos solutions dédiées à l’urbanisme, nous restons ouverts aux opportunités qui pourraient se présenter sur ce créneau de la VR*.
- VR : Virtual reality, réalité virtuelle
Dans l'actualité
- Nawar Zreik : « Le BIM manager est en quelque sorte le gardien des jumeaux numériques »
- Leakmited passe nos canalisations au crible de l’IA
- FS-Guard : une solution logicielle innovante pour optimiser les nettoyages industriels
- Tessael optimise les simulations en 3D des sous-sols
- Muodim : la « radiographie », version XXL…
- Avec OODA, Obvious Technologies invente le poste de commandement 4.0
- Laval Virtual : les nouveaux horizons de la RA
- Jérôme Royan : « notre plateforme de réalité augmentée permet de bénéficier d’une cartographie à grande échelle »
- Samp : du jumeau numérique à la « Réalité Partagée »