Depuis la mise en service des centrales nucléaires en France, plusieurs familles de technologies sont utilisées pour traiter leurs effluents liquides et gazeux. On peut citer celle par voie thermique, qui consiste à chauffer l’eau pour procéder au dégazage ou à l’évaporation de l’eau, ou celle par adsorption, qui permet de retenir des composés à éliminer sur un solide. Depuis 2018, EDF et le LRGP1 (Laboratoire Réactions et Génie des Procédés) ont créé une équipe commune appelée Mélusine au sein de laquelle ils développent une nouvelle famille technologique faisant appel à des procédés membranaires. Objectifs : diviser par dix l’énergie consommée par les procédés utilisés pour traiter les effluents des centrales électriques, ainsi que continuer à en améliorer les performances environnementales.
Un premier procédé est développé pour recycler le bore grâce à l’osmose inverse, une technologie possédant un haut niveau de maturité, utilisée par exemple pour dessaler l’eau de mer. Cet élément chimique est employé pour contrôler le flux de neutrons au cœur des centrales. Deux types de membranes commerciales ont été testés, comme l’explique Éric Favre, professeur de génie des procédés à l’Université de Lorraine et chercheur au LRGP : « nous avons mis au point une nouvelle architecture d’un système multi-étagé de membranes et défini les bons niveaux de pression et de débit pour atteindre les performances de séparation du bore de notre cahier des charges. Les tests des deux membranes ont donné des résultats encourageants et un brevet à l’international a été déposé. Au final, nous avons sélectionné une membrane et fabriqué un prototype qui va être testé sur une centrale en service dans les mois à venir. »
Pour éliminer les gaz dissous dans l’eau (xénon, krypton, diazote, dihydrogène, dioxygène…), une deuxième technologie est développée pour procéder au dégazage. Elle repose sur l’utilisation de contacteurs à membranes, dans lesquels une force motrice est exercée grâce à un vide modéré associé à un balayage avec de l’azote. Cette double action permet d’assurer un effet de dilution et de maximiser le taux d’extraction. « Les contacteurs à membranes sont très utilisés pour par exemple faire de la désoxygénation, souligne Éric Favre. Nous avons adapté ce procédé et sommes parvenus à descendre à des niveaux de gaz résiduels très faibles, 100 000 fois inférieurs à la teneur en gaz dissous dans le mélange aqueux à l’entrée du système. » L’intérêt de cette technique est qu’elle consomme bien moins d’énergie que le procédé de référence par voie thermique. Elle se révèle également très modulaire, compacte et permet d’économiser de la surface au sol et des volumes dans les bâtiments dès la conception de l’installation. Cette technologie a elle aussi fait l’objet d’un brevet et doit être testée grandeur nature sur des centrales, prochainement.
Une distillation transmembranaire mise en œuvre grâce à la chaleur fatale
La distillation transmembranaire est une troisième solution en cours de développement. Elle consiste à utiliser de la chaleur pour éliminer des composés volatils, sauf qu’ici nul besoin d’atteindre le point d’ébullition de l’eau pour les récupérer par condensation, contrairement à la voie thermique classique, de type évaporation. L’eau est chauffée entre 60 et 70 degrés et mise au contact d’une membrane hydrophobe qui laisse uniquement passer les vapeurs. Le composé peut alors être récupéré sous la forme vapeur à travers la membrane s’il est volatil, ou sous la forme concentrée dans l’eau s’il est peu ou pas volatil. « L’avantage de ce procédé est qu’il permet de valoriser la chaleur fatale d’une centrale électrique, habituellement peu utilisée, mais qui est suffisante pour donner de la force motrice à la distillation transmembranaire, analyse Éric Favre. C’est une technique émergente et il n’existe quasiment aucun fournisseur à l’échelle industrielle. Nos travaux sont encore à l’échelle du laboratoire et la suite du travail va consister à fabriquer un pilote. »
Un quatrième procédé est en cours d’études et met en œuvre des membranes d’électrodéionisation dans le but de récupérer des espèces ionisables dans l’eau, comme des sels, des métaux, ainsi que l’ammoniac sous sa forme dissoute en NH4+. La force motrice est ici délivrée à l’aide d’un courant électrique avec la présence de membranes perméables aux ions disposées entre deux solutions, et de résines échangeuses d’ions, permettant un transfert sélectif des ions d’une solution vers l’autre sous l’action du champ électrique.
« Avec ces quatre technologies membranaires, nous avons une boîte à outils dans laquelle nous pourrons choisir le procédé le plus pertinent pour éliminer, voire valoriser, un composé présent dans les effluents de centrales électriques, se réjouit Éric Favre. Depuis un an, nous avons signé une nouvelle convention avec EDF pour une durée de 5 ans et avons élargi le périmètre des travaux de recherche du laboratoire Mélusine. Nous travaillons également sur des technologies de type DAC (Direct Air Capture) dans le but de profiter de la chaleur fatale des centrales pour capter le CO2 dans l’air et ainsi améliorer leur bilan carbone. C’est un sujet sur lequel nous travaillons déjà avec EDF depuis une vingtaine d’années, soit bien avant la création du laboratoire commun Mélusine. »
1 Le LRGP est une unité mixte du CNRS et de l’Université de Lorraine
Dans l'actualité
- Le nucléaire module de plus en plus sa puissance
- Énergie fossile ou renouvelable : remplacer le nucléaire, quel impact CO2 ?
- Quelle place pour le nucléaire dans la transition énergétique ?
- Le mix énergétique italien, entre dépendance au gaz et ambition nucléaire
- Coldep insuffle un air nouveau dans le traitement de l’eau
- Après la Suède, la France va-t-elle autoriser l’enfouissement de ses déchets nucléaires ?