Les géantes de glace Uranus et Neptune sont les deux planètes les moins connues de notre système solaire. Celles-ci n’ont été survolées qu’une fois chacune par une sonde spatiale, Voyager 2, en 1986 pour Uranus et 1989 pour Neptune. Début janvier, une conférence internationale baptisée “Ice Giant Systems 2020” a été organisée à Londres par la Royal Society. L’occasion pour de nombreux scientifiques d’échanger sur l’exploration future de ces deux planètes.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une géante de glace ?
Michel Blanc : Dans le système solaire, il existe trois types de planètes : telluriques (Terre, Mars, Vénus, Mercure), gazeuses (Jupiter, Saturne) et de glace (Uranus et Neptune). Pour les définir simplement, les planètes telluriques sont des objets solides avec une petite couche non solide, les géantes gazeuses sont des grosses boules d’hydrogène avec un peu d’hélium qui ressemblent au soleil. Pour les géantes de glace, l’essentiel de leur enveloppe est formé de glace, majoritairement glace d’eau mais aussi de méthane et d’ammoniac, dont une partie est sans doute à l’état liquide.
Pourquoi s’intéresser aux géantes de glace ?
On connaît très mal les géantes de glace. On les a survolées une fois avec une sonde Voyager 2 (Uranus en 1986 et Neptune en 1989). On connaît bien mieux les planètes telluriques, grâce aux différentes missions spatiales vers Mars et à moindre titre vers Vénus et Mercure. Et on connaît bien les géantes gazeuse, Jupiter avec la mission Galileo et Saturne avec Cassini-Huygens. D’un point de vue scientifique, si l’on veut comprendre la diversité du système solaire, les géantes de glace restent les deux grandes inconnues. En plus, depuis 1995, on a découvert et observé de nombreuses planètes autour d’autres étoiles que le soleil, ce que l’on appelle les exoplanètes. Et il se trouve que dans la classification par rayon et masse de ces exoplanètes – plus de 4 000 – celles de la taille d’Uranus et de Neptune font partie des plus abondantes. On connait actuellement très peu de choses sur la structure et la composition des exoplanètes. En gros, juste leur taille et leur masse! Donc, dans ce contexte de déficit d’information, on essaie de comparer les exoplanètes avec les planètes du système solaire, qu’on connait évidemment beaucoup mieux, dans un premier temps sur la seule base de leur masse et de leur taille. Deux paramètres qui permettent de montrer que, par leur taille et leur masse, Uranus et Neptune sont semblables à la composante majoritaire des exoplanètes.
Que connait-on d’elles pour le moment ?
On les observe depuis la Terre, mais les mesures sont limitées par la résolution d’image. Nous sommes à 19 unités astronomiques pour Uranus et 30 pour Neptune. Elles ont par exemple des propriétés communes avec les géantes gazeuses : champ magnétique propre, anneaux, satellites. D’ailleurs, on s’intéresse également à leurs satellites. L’un des plus intéressants par son activité géologique est Triton, un satellite de Neptune. Sa surface est parsemée de nombreux geysers qui alimentent son atmosphère d’azote. Il fait moins de 40° Kelvin (soit -230° C) à la surface. Avec ses 2700 km de diamètre, Triton est la septième plus grosse lune du système solaire et c’est en fait une lune très étrange. Elle orbite dans le sens rétrograde, opposé à celui de la rotation de Neptune et hors du plan de son équateur. Cela fait penser que Triton ne serait pas “né” dans le système de Neptune, mais serait, comme Pluton par exemple, un objet de la ceinture de Kuiper qui orbitait initialement au-delà de Neptune et a été capté ultérieurement dans son champ de gravité. Il pourrait ainsi nous informer sur cette famille très mal connue d’objets lointains du système solaire.
Quels sont les moyens mis en place pour découvrir ces géantes ?
Le télescope James Webb de la NASA est déjà engagé et va permettre de regarder l’ensemble des objets du système solaire, à distance. Il sera positionné à proximité de la Terre. Son objectif est d’étudier l’univers profond, la cosmologie, les planètes. Il ne sera pas dédié à une seule classe d’objets astrophysiques. Pour progresser dans nos connaissances des géantes de glace, plutôt que de les regarder à distance, il faut aller sur place. D’où l’intense activité de préparation d’une mission qui puisse aller rendre visite à Uranus et/ou Neptune des deux côtés de l’Atlantique. Les études battent leur plein pour construire les bases scientifiques du projet, dans les agences spatiales comme dans les laboratoires américains et européens. En ce moment les scientifiques œuvrent pour inciter les agences spatiales européennes et américaines à réaliser ces missions. Celles-ci n’ont pas encore pris leur décision. La Nasa va commencer dans quelques mois son cycle de prospective pour les sciences planétaires avec une mission vers Uranus et Neptune en étude parmi d’autres. Dans tous les cas, cela ne se fera pas avant le début 2030, le budget de l’agence spatiale européenne (ESA) étant déjà engagé jusque-là. La NASA et l’ESA discutent sur la possibilité d’une mission conjointe vers l’une ou l’autre des géantes de glace. Chaque mission coûte 2 ou 3 milliards de dollars, les agences ont donc un intérêt à s’associer.
Quels sont les défis technologiques pour cette mission ?
Il y a un degré de complexité important dans l’étude des deux géantes de glace. Pour mesurer la composition de leur atmosphère et mieux comprendre leur scénario de formation, la méthode la plus efficace consiste à faire descendre une sonde dans leur atmosphère. Plus précisément, réaliser un vaisseau interplanétaire qui irait se mettre en orbite autour de Neptune et larguerait la sonde dans son atmosphère. A la Nasa, une équipe du Jet Propulsion Laboratory (JPL) travaille sur ce scénario. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un gros bouclier thermique car la sonde doit entrer très vite et ouvrir un parachute qui fonctionne à basse température. Les compétences existent en Europe pour réaliser une telle mission, à l’ESA et chez les trois principaux industriels assembleurs de satellites : Airbus Defense & Space, OHB et Thales Alenia Space. Au laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM), le professeur Olivier Moussis travaille intensément sur la définition scientifique du projet de construction d’une telle sonde atmosphérique.
Si les missions vers les géantes de glace sont sélectionnées, quand pourraient-elles avoir lieu ?
Pour aller vers ces géantes de glace, il nous faut beaucoup de vitesse et d’énergie. On est obligé de se faire aider de l’assistance gravitationnelle de Jupiter, permettant de donner une impulsion au vaisseau pour aller vers Neptune et Uranus. Pour ces raisons de trajectographie, si on tire après 2030, on ne pourra pas tirer tout de suite vers Neptune. La première fenêtre de tir est favorable à Uranus. Peut-être le choix s’orientera vers une belle mission vers Uranus d’abord, mais cela n’est que spéculation personnelle. Il faut attendre un peu que la NASA et l’ESA aient étudié les différentes possibilités et pris une décision.
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