Fondée en 2015 à Rennes par trois frères, Unseenlabs a développé une technologie de géolocalisation par satellite des signaux radiofréquence émis par les navires en mer. L’entreprise parvient ainsi à suivre ces bateaux, quelles que soient les conditions météo et l’heure de journée. Un atout qui a déjà séduit une quinzaine de clients, notamment des entreprises, États et organisations maritimes, engagés dans la lutte contre les pratiques frauduleuses et anti-environnementales, telles que la pêche illégale ou le déversement d’hydrocarbures.
Créée par Clément, Jonathan et Benjamin Galic, Unseenlabs est née autour d’un objectif principal : celui de parvenir à localiser les navires en mer à partir d’un seul satellite, sans besoin de triangulation. Elle a pour cela misé sur une approche consistant à intercepter, depuis l’espace, des signaux radiofréquence (RF) émanant des bateaux, même en cas de coupure de leur transpondeur. Reposant sur un dispositif installé à bord de nanosatellites placés en orbite polaire à une altitude de 500 à 600 kilomètres, la technologie d’Unseenlabs permet, en moyenne, de revisiter un point d’intérêt deux fois par jour.
Après l’annonce début janvier de la réussite d’un nouveau lancement, la constellation de l’entreprise rennaise est aujourd’hui composée de huit satellites. Et Unseenlabs vise, à terme, une flotte composée de vingt à vingt-cinq unités indépendantes. De quoi atteindre un temps de revisite de l’ordre de la demi-heure et suivre ainsi avec une précision encore plus grande des navires impliqués dans des actions frauduleuses. C’est ce que nous explique le cofondateur et actuel CEO d’Unseenlabs, Clément Galic.
Techniques de l’Ingénieur : Quand, comment et pourquoi Unseenlabs a-t-elle vu le jour ?
Clément Galic : La société a été créée en 2015 avec mes deux frères, Jonathan et Benjamin. Jonathan, ingénieur Supélec et ancien d’Airbus Defence and Space, était spécialiste « missions satellites » chez eux, et plus particulièrement d’un aspect : les écoutes électromagnétiques, c’est-à-dire l’interception de signaux radio depuis l’espace. Il ne s’agit pas de la même technologie que celle que nous utilisons, mais le concept reste proche.
Benjamin, quant à lui, est avocat d’affaires à Rennes. Il n’est pas opérationnel au sein de la société, mais il a participé à sa création.
Pour ma part, j’ai une formation d’ingénieur en aviation civile ; j’ai fait l’ENAC[1] à Toulouse, où j’ai travaillé sur les systèmes critiques de contrôle aérien. J’ai travaillé pour l’aviation civile, puis j’ai basculé dans le monde du spatial.
En 2015, nous avons fait le constat que le secteur du New Space commençait à bien marcher aux États-Unis. De beaux concepts, de belles preuves technologiques émergeaient. Il y avait toutefois une certaine frilosité en France à importer ce modèle. Nous nous sommes donc dit qu’il fallait tenter l’expérience… Nous avions alors l’objectif d’apporter dans le secteur civil et privé des capacités d’interception de signaux ; quelque chose, à la base, réservé au domaine de la défense.
Nous nous sommes donc lancés avec, d’emblée, un parti pris technologique : classiquement, l’interception de signaux se fait par triangulation satellite ; or, nous avons développé une technologie qui permet de le faire avec un seul satellite. Il s’agit de la première barrière technologique que nous sommes parvenus à faire tomber. Nous avons ensuite poursuivi pendant plusieurs années le développement de cette technologie, tant sur le plan matériel que logiciel. Nous nous sommes donc concentrés sur la charge utile du satellite. La plateforme, quant à elle, est issue de solutions « sur étagère ». Tout cela a abouti à un premier lancement en 2019.
Pourquoi ce choix de la surveillance maritime ?
L’autre parti pris de notre société a effectivement été de focaliser notre offre sur un marché cible : celui de la surveillance maritime. Nous savions en effet qu’il existait un vrai problème en matière de suivi des navires.
Les bateaux ont des transpondeurs à bord : les AIS[2] ; un peu comme les avions. Sauf que, contrairement aux avions, l’AIS peut être coupé, modifié… Un bateau peu très facilement disparaître. Avec notre technologie, même si ces balises sont coupées, on peut continuer à suivre les bateaux à partir de leurs autres sources d’émissions radiofréquences.
Concrètement, sur quel type de satellite votre technologie est-elle embarquée ?
Il s’agit de nanosatellites 6U[3], qui font entre dix et quinze kilos. Cela nous permet de déployer rapidement notre constellation. Nous avons aussi pu, grâce à cela, commencer à travailler dès le lancement de notre tout premier satellite. Cela nous a permis de démontrer que la technologie de base, mais aussi notre produit et notre business model fonctionnent. Nous avons aujourd’hui huit de ces satellites en orbite.
Nos satellites passent par l’orbite polaire. Ils sont placés à une altitude de 500 à 600 km. En matière de temps de revisite, un satellite est capable de voir un même point deux fois par jour, en moyenne. Cela varie en effet en fonction de la position du point géographique qui nous intéresse…
À terme, de combien de satellites votre constellation sera-t-elle formée ?
Nous visons les 20 à 25 unités. Cela va nous permettre d’atteindre un temps de revisite de l’ordre de la demi-heure. Nous pourrons ainsi avoir un suivi encore plus précis du mouvement des navires et donc un niveau d’analyse encore plus fin.
Nous avons lancé notre huitième satellite en janvier, les neuvième et dixième vont arriver dans les tout prochains mois, avant l’été. Nous en avons également six autres en commande, qui sont en cours de construction.
Quelles applications cette technologie peut-elle trouver en matière de surveillance maritime ?
Nous travaillons beaucoup avec des acteurs de la lutte contre la pêche illégale. Il existe en effet de véritables flottes industrielles spécialisées dans ce type de pratique, qui mettent en danger les ressources et les écosystèmes. Ce type de navire est très facilement repérable grâce à notre technologie. Elle permet en effet de localiser les sources d’émissions – avec une précision de l’ordre du kilomètre, ce qui, en mer, est assez précis – mais aussi de caractériser et d’appliquer une signature électromagnétique à ces bateaux. Cette signature stable dans le temps permet de les suivre, d’observer leur trajectoire.
Nous avons aussi un bureau d’analyse, composé d’experts du monde maritime qui, en fonction des zones géographiques, des saisons, des types de bateaux et d’émetteurs, parviennent à caractériser le type d’infraction. Nous ne vendons pas que des cartes de bateaux ; notre produit est une offre complète de surveillance maritime.
Au-delà de la pêche illégale, notre technologie s’adresse en effet à tous les acteurs du domaine maritime, tous ceux qui ont quelque chose à protéger ou à surveiller : les États, pour lutter contre la pêche illégale, donc, mais aussi les entreprises oil & gas offshore, qui ont des installations en mer à protéger ; ou encore les armateurs, qui souhaitent pouvoir suivre leurs flottes.
Nous avons aujourd’hui des clients dans le monde entier ; une quinzaine pour l’instant, et cela croît de mois en mois.
Au-delà de la poursuite du déploiement de votre constellation, quels autres projets avez-vous éventuellement ?
Nous poursuivons un travail continu de R&D ; cela est au cœur de nos activités.
Nous avons toutefois pour principe de n’annoncer les choses que lorsqu’elles sont prêtes… Le secteur spatial est assez concurrentiel, mais il est aussi – et surtout – propice aux effets d’annonce. Nous ne voulons pas nous engager dans cette course aux annonces, qui, à terme, risque de nuire au secteur. Nous préférons garantir notre crédibilité auprès de nos clients.
[1] École Nationale de l’Aviation Civile
[2] Automatic Identification System
[3] 6 unités ; 1 unité représentant un volume de 10 cm x 10 cm x 10 cm
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