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Une utilisation surprenante des neutrons ultrafroids permettrait de mesurer le mouvement des virus

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

Des physiciens qui travaillaient sur une expérience effectuée il y a 60 ans pour comprendre l'origine de la matière dans l'univers ont découvert un nouvel outil pour étudier le mouvement de minuscules particules sur une surface, par exemple un virus voyageant le long d'une membrane cellulaire.

Ce nouvel outil utilise des neutrons ultrafroids (UCN) qui se déplacent plus lentement qu’un coureur moyen et permettront aux scientifiques de cartographier le mouvement d’objets minuscules avec une précision jusqu’à présent inégalée.  Leur découverte, réalisée à l’Institut Laue-Langevin, le centre phare en science neutronique et le berceau de la recherche avec des neutrons ultrafroids depuis plus de 25 ans, vient d’être publiée dans la revue Crystallography Reports.

Depuis leur découverte en 1969, les neutrons ultrafroids ont été utilisés par les physiciens expérimentaux pour répondre à des questions fondamentales sur l’univers comme l’origine de la matière et la manière dont la gravité s’inscrit dans le modèle standard de la physique des particules. Dans ce but, ils stockent les neutrons ultrafroids dans des pièges et étudient leurs propriétés comme leurs énergies ou temps de vie avec une très grande précision. 

Cependant, la durée de stockage moyenne des neutrons ultrafroids dans leurs pièges s’est toujours révélée beaucoup plus courte qu’escompté, ce qui affectait la qualité des observations. En 1999, le Dr Valery Nesvizhevsky et ses collègues à l’ILL ont découvert un nouveau phénomène qui pourrait expliquer ces pertes. Ils ont découvert qu’occasionnellement un neutron ultrafroid stocké dans le piège recevait un petit apport d’énergie supplémentaire. Cela n’arrivait qu’une fois sur 10 000 000 collisions, cependant, et leur origine était inexpliquée. 

D’autres hypothèses étant écartées, le Dr Nesvizhevsky commença à s’intéresser à l’influence des nanoparticules ou nano-gouttelettes connues pour occuper une couche située immédiatement au-dessus de la surface de la plupart des matériaux, y compris ceux situés à l’intérieur du piège.  

Pour vérifier cette hypothèse, le Dr Nesvizhevsky et ses collègues se sont tournés vers le dispositif UCN de l’ILL. Ils ont placé dans le cylindre de stockage des neutrons ultrafroids des échantillons avec des couches superficielles de nanoparticules dont la répartition granulométrique était connue et ont observé les interactions.

L’équipe a découvert que la modification d’énergie des neutrons ultrafroids était induite par des collisions semblables à celles des boules de billard avec des nanoparticules en mouvement à la surface, apportant ainsi la première preuve que ces nanoparticules ne sont pas stationnaires.

Les faibles niveaux d’énergie des neutrons ultrafroids signifient qu’ils rebondissent généralement sur les parois intérieures, en restant dans le piège. Cependant, ces apports d’énergie supplémentaire provoqués par l’interaction avec les nanoparticules leur donnent juste assez d’énergie pour surmonter la gravité et s’échapper par le haut de la chambre qui reste ouverte ou pour traverser les parois. 

Cependant, ce phénomène a deux conséquences particulièrement dramatiques :

  • Il pourrait expliquer les écarts dans les résultats des expériences réalisées il y a soixante ans lors de la mesure du temps de vie du neutron, dont les résultats diffèrent d’environ 10 secondes, bien au-delà des incertitudes rapportées. Un chiffre précis pourrait affecter les conclusions sur les origines de la matière dans l’univers jeune, ainsi que le nombre de familles de particules élémentaires existant dans la nature, et pourrait modifier les modèles de la formation des étoiles.
  • Il fournit également à la science un outil complètement nouveau et d’une exactitude unique pour étudier pour la toute première fois la manière dont les nanoparticules se déplacent et interagissent avec les surfaces des matériaux, en particulier par l’intermédiaire des interactions van der Waals/Casimir, dans toutes sortes de systèmes naturels et artificiels.

Les applications potentielles de cette technique sont vastes et incluent la production de produits chimiques et de semi-conducteurs, de convertisseurs catalytiques, de circuits intégrés utilisés dans les dispositifs électroniques et les sels halogénures d’argent dans les films photographiques. Cet outil pourrait aussi être utilisé pour étudier pour la première fois comment les molécules biologiques se déplacent le long d’une surface, comme les virus le long d’une membrane biologique.

« Nous avons trouvé ce tout nouvel outils scientifique par hasard. Nous n’avions jamais pensé que les neutrons ultrafroids pourraient avoir de telles utilisations pratiques. Il est certain que les implications de ces découvertes pour la physique fondamentale feront l’objet d’un débat brûlant et je m’attends à ce qu’il y ait des discussions pour savoir dans quelle mesure ces petits apports d’énergie contribuent aux incertitudes quant aux mesures de la durée de vie du neutron. Cependant, le potentiel de cette nouvelle technique pour étudier la dynamique des nanoparticules ne fait aucun doute et nous espérons travailler avec des chercheurs de nombreuses disciplines scientifiques pour réaliser son potentiel. » 

Dr Valery Nesvizhevsky de l’Institut Laue Langevin

Pour leurs prochaines expériences, Valery et ses collègues ont réservé du temps de faisceau supplémentaire à l’ILL et demanderont à des scientifiques de différentes disciplines de fournir des échantillons provenant de leurs propres recherches pour pouvoir les analyser avec des neutrons ultrafroids et prouver la validité de cette nouvelle technique.  

Le Dr Valentin Gordeliy est responsable du Groupe Transporteurs Membranaire à l’Institut de Biologie Structurale et a rencontré le Dr Nesvizhevsky pour discuter les applications possibles dans son propre domaine de recherche de cette nouvelle technique de neutrons ultrafroids : “Il s’agit d’une découverte importante et si sa faisabilité peut être vérifiée, c’est également une découverte potentiellement très excitante pour mes propres travaux en biologie structurale. Dans le corps humain, il existe de nombreuses nanostructures, leurs mouvements correspondent à l’échelle de temps de cette technique. Elles incluent les virus et différentes protéines et complexes protéiniques dont les histones, les échafaudages d’ADN qui régulent l’expression des gènes, contribuant à les ouvrir et à les fermer. L’un des sujets d’étude les plus attractifs serait les protéines membranaires qui contribuent à maintenir l’ensemble du corps en bonne santé et sont donc ciblées par 60% des médicaments existant.  D’autres outils comme les microscopes électroniques peuvent être utilisés mais ils ne sont pas adaptés pour étudier la dynamique. La possibilité d’étudier des interactions complexes comme un virus et une protéine membranaire permettrait d’acquérir de nouvelles connaissances en vue de découvrir de nouveaux médicaments ainsi qu’une meilleure compréhension de la manière dont notre corps fonctionne. » 

A propos de l’Institut Laue-Langevin (ILL) : c’est un centre de recherche international basé à Grenoble. Il est le leader mondial dans le domaine des sciences et des technologies de diffusion des neutrons depuis près de 40 ans.

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