Après un diplôme universitaire de technologie à l’IUT d’Amiens puis une formation d’ingénieur à l’UTC (Université Technologie de Compiègne), Guillaume Baniel débute sa carrière chez Thales. Il a la responsabilité de maintenir en condition opérationnelle les générateurs de bord installés dans les avions Mirage 2000. En 2018, il perd l’usage de sa jambe gauche, en dessous du genou, et commence à étudier la littérature scientifique mondiale sur les prothèses et les orthèses dites actives. Un an plus tard, il dispose des premières briques technologiques d’un futur dispositif actif d’aide à la marche. Grâce au soutien d’Eurasanté, un incubateur lillois, il décide de valoriser sa double compétence en gestion de projet et en développement technologique en créant sa start-up. Entretien avec Guillaume Baniel, le cofondateur et le CEO de Revival Bionics.
Techniques de l’Ingénieur : Pour quelle raison avez-vous décidé de développer votre propre dispositif d’aide à la marche ?
Guillaume Baniel : Je suis équipé d’une orthèse passive, qui entoure ma jambe gauche paralysée, et qui est constituée d’un ressort en carbone qui se déforme lors de la phase d’appui, puis restitue l’énergie. Ce dispositif ne possède pas de mode de propulsion plantaire, ce qui rend la marche contraignante. Je dois en permanence pallier l’absence de propulsion par des compensations au niveau du bassin, de ma jambe droite valide, et des muscles de ma jambe gauche, au-dessus de mon genou. Malgré la présence de cet équipement, la marche me fait souffrir.
Les personnes amputées du membre inférieur sont confrontées au même problème. Elles sont équipées d’une prothèse passive, qui fonctionne selon le même principe. Le pied artificiel est constitué d’un ressort en carbone, le même que celui que l’on peut observer sur des athlètes lors des JO, sauf que la lame est plus petite. Si cet équipement est relativement bien adapté au régime de course, cela est beaucoup moins vrai pour la marche et les activités quotidiennes.
Face à toutes ces contraintes, j’ai décidé de développer mon propre dispositif d’aide actif à la marche.
Pourquoi avez-vous développé une prothèse active plutôt qu’une orthèse active ?
Il est plus facile de concevoir un dispositif électromécanique compact qui vient remplacer le membre inférieur amputé plutôt qu’un autre qui vient entourer le membre paralysé. Ensuite, pour des raisons d’opportunité de marché et de débouchés potentiels. Il n’existe actuellement aucune orthèse active commercialisée et je pense que j’aurais eu des difficultés à convaincre des personnes de l’intérêt d’un tel équipement, même si pour les patients il est très fort. Le marché des prothèses actives est quant à lui plus dynamique. Environ 750 000 personnes sont amputées du membre inférieur chaque année dans le monde. Une entreprise allemande (Ottobock) commercialise déjà un produit qui s’appelle Empower. À l’origine, il a été développé par le célèbre grimpeur et inventeur Hugh Herr, puis par une start-up issue du MIT (Massachusetts Institute of Technology) aux États-Unis.
Quelles technologies avez-vous développées pour concevoir votre prothèse active ?
Notre dispositif est le fruit d’un assemblage de quatre briques technologiques. La première est constituée d’un moteur électrique, relié à une transmission mécanique, dont la fonction est de remplacer le mollet. La seconde se présente sous la forme d’un ressort qui vient se substituer au tendon d’Achille. La troisième repose sur une carte électronique qui pilote le système et fait office de contrôle moteur en remplacement du cerveau. Et la dernière se présente sous la forme d’une batterie dont le rôle est de remplacer la dépense métabolique d’un humain par une dépense électrique. L’ensemble de ces briques mécatroniques nous permet de créer un système analogue à celui d’une personne valide avec un mollet, un tendon d’Achille, une cheville, un pied ; le tout est animé d’un mouvement très naturel, calqué sur la démarche humaine.
Quelles difficultés avez-vous dû surmonter pour concevoir votre dispositif ?
Il faut savoir que la cheville est l’articulation du corps humain qui développe le plus d’énergie. Par exemple, celle d’une personne de 100 kg développe un couple très important de 150 newtons mètres (N m) pendant un très court instant ; un chiffre équivalant à celui d’une voiture de moyenne catégorie. Une prothèse du pied est donc un équipement extrêmement sollicité. Pour faire face à cette contrainte, nous utilisons un ensemble de matériaux qui sont à la fois légers et très résistants comme le titane, la fibre de carbone, l’aluminium aéronautique, et un acier à haute résistance élastique. Cette forte sollicitation sur le plan mécanique nous a également obligés à développer un système de contrôle-commande capable d’assurer un mouvement cohérent et pertinent en permanence pour que le patient puisse profiter d’un pied très fluide.
Ensuite, nous avons fait preuve d’originalité au niveau de l’architecture de notre système pour qu’il soit très compact tout en étant très robuste. Nous avons réussi à résoudre d’importants problèmes d’intégration, pour que les quatre briques technologiques soient intégrées dans notre dispositif, et nous l’avons breveté. Il ne mesure pas plus de 20 cm de haut pour un poids compris entre 2 et 2,5 kg, batterie comprise. Et au final, l’autonomie de notre batterie est presque deux fois plus importante que la seule prothèse active disponible sur le marché et commercialisée par l’entreprise Ottobock.
À quel stade de développement se trouve votre projet ?
Nous avons conçu un démonstrateur fonctionnel qui a fait l’objet d’une première évaluation formative. Elle a été réalisée par un orthoprothésiste qualifié qui est lui-même amputé, et son premier retour est élogieux.
Nous sommes actuellement dans une période où nous cherchons à lever des fonds pour un montant total de 3 millions d’euros. Cette somme nous permettra d’embaucher une équipe et de poursuivre le développement de notre dispositif, notamment gagner encore en compacité afin que notre prothèse ne pèse que 2 kg. Jusqu’ici, nous l’avons entièrement conçue à deux, mon associé et moi. Il s’agit d’une véritable performance, au regard des autres initiatives en cours dans le monde.
Notre objectif est de réaliser des évaluations précliniques et cliniques de notre prothèse active en 2024. Puis de commercialiser notre produit dans la foulée, en ayant franchi toutes les étapes réglementaires pour parvenir à apposer le logo CE sur notre équipement, car c’est un dispositif médical. Dans le futur, je compte aussi développer d’autres prothèses et orthèses actives.
Dans l'actualité
- Une neuroprothèse et de l’IA pour améliorer la mobilité
- Les thèses du mois : Ingénierie bioinspirée
- Plan d’investissement « France 2030 » : Techniques de l’Ingénieur présent pour accompagner les industriels et la R&D
- Écoutez notre podcast Cogitons Sciences : Les ingénieurs français font carrière à l’étranger [Les ingénieurs se réinventent #3]
- Motion : la bionique bientôt au service d’enfants en situation de handicap
- Une personne paraplégique marche grâce à une interface cerveau-moelle épinière
- Cette main bionique peut fonctionner plusieurs années
- L’impression 3D pour des implants antibactériens
Dans les ressources documentaires