Des chercheurs ont mis au point une pince acoustique permettant le contrôle de microbulles pour le largage ultra localisé de médicaments. Nous avons interrogé Diego Baresch, physicien à l'Institut de mécanique et d'ingénierie de Bordeaux (I2M, CNRS) et auteur principal de cette nouvelle étude.
En 2016, Diego Baresch a participé à la création de la première pince acoustique, utilisée pour manipuler des objets élastiques de taille submillimétrique. Cette nouvelle étude fait suite à ces travaux et porte sur la manipulation de microbulles.
Techniques de l’Ingénieur : Votre dernière étude utilisant une pince acoustique concerne les microbulles. Quelle est leur utilité ?
Diego Baresch : Il est déjà arrivé que des microbulles se forment dans le flux sanguin lors d’une perfusion. Si la présence de ces bulles n’est pas souhaitable (voilà pourquoi les infirmier(e)s “débullent” leur seringue avant perfusion), elle a permis de faire une découverte : dans le contexte de l’imagerie médicale ultrasonore, ces microbulles ont tendance à apparaître de manière très brillante dans les images échographiques.
Très vite, des gens se sont rendu compte que des bulles microscopiques pouvaient éventuellement être utilisées en tant qu’agent de contraste pour l’échographie ultrasonore. Bien évidemment, ce n’est qu’après avoir réussi à produire des bulles stables, d’une taille maîtrisée (entre 1 et 10 µm de diamètre) que les médecins ont pu envisager de perfuser des patients avec une dose de cet agent de contraste.
Cette technique est particulièrement utile en imagerie cardiaque, pour rendre visibles les zones non échogènes (qui renvoient peu d’écho) et apparaissent habituellement de manière assez sombre. L’injection de microbulles permet ainsi de mettre en évidence tout le circuit des vaisseaux sanguins.
Pourquoi ces microbulles peuvent-elles être utilisées comme vecteurs d’agents thérapeutiques ?
Depuis 20 ans, il y a un effort de recherche important pour doper ces bulles en médicaments et développer des thérapies très localisées. Ce principe permettrait notamment d’éviter de nombreux effets secondaires associés aux techniques invasives comme la radiothérapie.
Les bulles sont de bons candidats pour le largage de médicaments, car elles sont d’une part très visibles en imagerie, d’autre part elles ont la particularité de réagir aux ultrasons. On s’est ainsi rendu compte qu’en imageant ces bulles, on les faisait vibrer très fortement. Ces vibrations sont suffisantes pour déformer les bulles et générer un largage.
D’une manière générale, où en est la recherche sur le largage localisé par microbulles ?
Pour le moment, les microbulles sont autorisées en imagerie médicale, mais leur utilisation dans le domaine thérapeutique n’est pas encore d’actualité. Destruction de caillots sanguins, thrombose, largage ultra ciblé de médicaments font partie des potentielles applications.
On en est actuellement à des tests pré-cliniques sur des animaux proches de l’homme, donc le lancement d’essais cliniques ne saurait tarder.
Vos travaux consistent à étudier la manipulation de ces microbulles en utilisant des ondes acoustiques. Comment cela fonctionne-t-il ?
Nous avons dans un premier temps cherché à contrôler une microbulle seule. Pour cela, j’ai mis en place un dispositif permettant de piéger une microbulle et de la manipuler dans l’espace en trois dimensions.
Tout repose sur le principe de force de radiation acoustique, c’est-à-dire qu’une onde acoustique est capable d’exercer une force sur un objet. Pour ce faire, nous utilisons des vortex acoustiques, ce qui permet de piéger des objets à la manière d’une pince. Les travaux présentés dans cette étude consistaient à piéger une bulle et à la positionner près d’un tissu élastique pour comprendre comment elle pouvait vibrer dans un milieu naturel. Nous avons ensuite piégé des nanoparticules en surface de ces bulles afin de comprendre quels paramètres acoustiques étaient prépondérants pour le largage de médicaments.
Quel est l’intérêt des pinces acoustiques par rapport aux pinces optiques ?
Cette pince acoustique a été développée dans le sillage de la pince optique d’Arthur Ashkin, qui a reçu le prix Nobel de physique en 2018. Par rapport à cette dernière, la pince acoustique a trois avantages.
D’une part, les ondes acoustiques peuvent pénétrer les corps opaques (le corps humain en fait partie), ce qui n’est pas le cas de la lumière.
D’autre part, les ondes acoustiques peuvent exercer des forces 1 000 fois supérieures aux forces optiques, ce qui ouvre la porte à la manipulation d’objets in vivo, car le sang exerce lui aussi des forces importantes par écoulement.
Enfin, les fréquences acoustiques utilisées (entre 1 et 20 MHz) sont celles de l’imagerie biomédicale, donc bien connues.
La pince acoustique est ainsi un bon outil de contrôle spatial, sans contact et non invasif.
Quelle suite désirez-vous donner à ces travaux ?
Nous allons continuer à travailler sur la manipulation acoustique des microbulles et voulons aller un peu plus loin sur le largage de médicaments. J’aimerais beaucoup que ces travaux suscitent de la curiosité auprès de collègues biophysiciens et d’ingénieurs biomédicaux, pour voir si des collaborations proches des réalités de terrain de la médecine et de la biologie sont possibles.
Propos recueillis par Arnaud MOIGN
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