Pour que l’industrie décarbone ses activités, il est nécessaire de produire certaines de ses matières premières autrement qu’avec des énergies fossiles. Le méthanol est dans ce cas, et des PME comme Elyse Energy prévoient déjà des usines où la molécule sera fabriquée à partir d’hydrogène bas carbone et de CO2 biogénique.
Plusieurs voies sont à explorer pour baisser les émissions de gaz à effet de serre de l’économie productive. Si on focalise souvent à juste titre sur la réduction des consommations et le recours accru aux énergies décarbonées, des entrepreneurs se lancent également dans la production de nouvelles molécules, elles aussi décarbonées. C’est le cas de la PME industrielle française Elyse Energy, créée seulement en 2020 mais déjà porteuse de plusieurs projets pour la production de e-méthanol.
L’industrie est en effet gourmande de matières premières, à l’instar du méthanol. Cette molécule a de nombreux usages en tant que solvant, antigel, dénaturant de l’éthanol, additifs de carburant. Il est aussi beaucoup transformé en formaldéhyde pour fabriquer d’autres produits (plastiques, peintures, etc.). Actuellement dans le monde, le méthanol est produit presque totalement à partir d’énergies fossiles (65 % gaz naturel et 35 % charbon) ce qui induit des émissions de CO2 estimées à 300 Mt par an, soit 10 % des émissions de l’industrie chimique et pétrochimique (source Irena, 2021). La consommation a plus que doublé depuis le début des années 2000, atteignant désormais 100 millions de tonnes par an, et les moyens de production ont été fortement augmentés, avec l’implantation d’usines géantes, principalement dans des pays pétroliers.
Reconnaissance européenne
« Avec le développement de nouveaux usages, en particulier comme carburant pour le transport maritime, les besoins annuels en méthanol vont encore augmenter dans les années à venir, d’au moins 5 millions de tonnes » estime Benoit Decourt, associé cofondateur d’Elyse Energy. La jeune PME et sa cinquantaine de salariés se donnent pour mission de verdir la production de méthanol tout en la relocalisant en Europe. Elle vise aussi la production de kérosène décarboné pour l’aviation. Installée en France et en Espagne, ce sont les projets d’usines de e-méthanol qui la mobilisent le plus actuellement car ils sont plus matures.
Deux usines sont planifiées en France par Elyse Energy : une près de Pau sur le site de Lacq, et une autre en Isère. Cette dernière a été présélectionnée par la Commission européenne dans le cadre de son Fonds Innovation qui distribuera à terme 3,6 milliards d’euros. Sur les 41 projets retenus au niveau européen, seuls deux sont français, dont eM-Rhône porté par Elyse Energy. « Après un process de sélection très intense, nous sommes en cours de discussion avec la Commission sur l’accord de financement, pour aider à réunir les 700 millions d’euros d’investissement nécessaires au projet. Mais c’est surtout la reconnaissance que nous avons un projet sérieux, tant en termes de choix technologique que de modèle économique », se réjouit Benoit Decourt.
Trois briques technologiques
L’usine d’eM-Rhône est prévue sur la plate-forme chimique des Roches-Roussillon où il existe déjà des industriels consommateurs de méthanol. Elle devrait produire 150 000 tonnes par an de e-méthanol en fabriquant la molécule CH3OH par combinaison d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau et de CO2 industriel non évitable ou biogénique. Sur ce site, pour la première brique technologique, Elyse Energy prévoit un électrolyseur de 240 MW alimenté directement par le réseau électrique via un poste source de RTE. La PME compte profiter du mix électrique hexagonal peu carboné pour que l’hydrogène produit soit reconnu comme bas carbone. Elle espère aussi pouvoir faire appel à un constructeur d’électrolyseur européen.
La deuxième brique technologique est celle de la récupération de CO2. Plusieurs sources sont à l’étude mais la plus importante sera une cimenterie de Lafarge située à hauteur de Montélimar. D’autres sources comme des incinérateurs ou des chaufferies biomasse pourraient la compléter, nécessitant d’autres techniques de captation (à base d’amines) car leurs fumées présentent des concentrations plus faibles en CO2.
La dernière brique est la méthanolisation (parfois raccourci en méthanolation) pour combiner H2 et CO2. Plus complexe qu’à partir du CO, cette technologie est néanmoins très accessible, « car déjà sur étagère. Le défi est de convaincre ses vendeurs de s’adapter à la taille de notre projet, plus petit que les installations qu’ils équipent habituellement », précise Benoit Decourt.
À terme, Elyse Energy vise à exploiter quatre sites de production d’e-méthanol en France, avec un objectif de 500 000 tonnes par an. Elle compte aussi produire un million de tonnes en Espagne et au Portugal. À titre de comparaison, la France importe actuellement 600 à 770 000 tonnes par an. D’autres acteurs comme le cimentier Vicat, en partenariat avec Hynamics, une filiale d’EDF, ont également un projet appelé Hynovi dans l’Isère. L’engouement pour le e-méthanol commence, et il ne semble pas prêt de s’arrêter.
Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE