Interview

Une neuroprothèse et de l’IA pour améliorer la mobilité

Posté le 26 mai 2020
par Séverine Fontaine
dans Innovations sectorielles

Contrôler un exosquelette grâce à la pensée, c’est possible ! Un homme tétraplégique de 28 ans a réalisé cette prouesse grâce à une neuroprothèse mise au point par le centre de recherche biomédicale Clinatec du CEA. Derrière cette technologie, un long entraînement d’algorithmes d’intelligence artificielle.

C’est une prouesse réalisée l’année dernière. Un homme tétraplégique de 28 ans, atteint d’une lésion de la moelle épinière, est parvenu à contrôler un exosquelette par la pensée grâce à une neuroprothèse mise au point par Clinatec (CEA) dans le cadre du projet Brain Computer Interface (BCI). Cette neuroprothèse permet, grâce au dispositif Wimagine implanté au niveau du cortex moteur, de mesurer les signaux électriques émis par le cerveau lors d’intention de mouvement et de les transmettre sans fil et en temps réel à un ordinateur qui les décode pour contrôler l’exosquelette. Une performance permise par les nombreuses heures passées à entraîner les algorithmes d’intelligence artificielle permettant de décoder l’activité cérébrale. Pour mieux comprendre le fonctionnement de ces implants et le rôle joué par l’intelligence artificielle, nous avons échangé avec Guillaume Charvet, responsable du projet BCI, qui travaille depuis 15 ans dans ce domaine.

Techniques de l’ingénieur : Avant d’entrer dans le fonctionnement de votre technologie, pouvez-vous nous dire où en est la recherche mondiale dans les neuroprothèses ?

Guillaume Charvet, responsable du projet BCI. ©B. Ramain

Guillaume Charvet : Il existe différents types de neuroprothèses. Par exemple, les neuroprothèses de suppléance motrices comme les nôtres, de la parole, de l’audition (implants cochléaires) ou de la vision (implants visuels). L’ensemble de ces neuroprothèses peuvent utiliser l’intelligence artificielle lorsqu’elles nécessitent de décoder les signaux cérébraux provenant du porteur. Concernant les neuroprothèses motrices, que je connais mieux, différentes équipes travaillent dans ce domaine avec des réalisations avancées. Les premières démonstrations de contrôle BCI – pour Brain Computer Interface – ont été réalisées en 2005 puis en 2012 par une équipe de la Brown University (Projet BrainGate – J. Donoghue et L. Hochberg). Une personne tétraplégique a réussi à contrôler un bras grâce à un réseau de microélectrodes insérées dans le cortex cérébral avec un connecteur transcutané. Celui-ci permet d’avoir des signaux cérébraux de très bonne qualité car il mesure l’activité unitaire de chaque neurone. Une autre équipe, à l’Université de Pittsburgh (J. Collinger), s’est dirigée vers la même technologie, en allant plus loin. En stimulant le cortex sensori-moteur, les chercheurs ont réussi à redonner une sensation au patient lorsqu’il touche un objet avec un bras robotisé par exemple. Deux méthodes plus invasives que la nôtre.

Quelle est votre approche ?

Nous avons mis au point une neuroprothèse dotée d’un dispositif totalement implantable composé d’une matrice de 64 électrodes qui mesure les électrocorticogrammes, c’est-à-dire l’activité cérébrale. Elle est implantée de manière bilatérale sur la zone sensorimotrice supérieure du cerveau : la dure-mère. Elle embarque un circuit intégré spécifique (Asic) qui amplifie et mesure les signaux de faible amplitude – entre 10 et 100 microvolts – de l’activité cérébrale. Ces électrocorticogrammes sont ensuite transmis de manière sans fil à travers la peau vers une unité de calcul capable de les décoder.

Le dispositif Wimagine de Clinatec, intégré à la neuroprothèse, est doté d’une matrice de 64 électrodes permettant de mesurer les électrocorticogrammes. © La Brèche

Comment sont interprétés les électrocorticogrammes ?

Nous avons utilisé des algorithmes d’intelligence artificielle (machine learning) avec des modèles de décodage des signaux correspondant aux intentions du patient pour commander l’exosquelette. Nous réalisons une phase d’apprentissage pour créer ces modèles. Au début de cette phase, on part de zéro. Par exemple, dans le cas de l’entraînement au contrôle de la trajectoire des bras de l’exosquelette, le patient va être assisté dans un premier temps par l’exosquelette qui va lui montrer comment faire. Au fil du temps, on va réduire l’assistance de l’exosquelette jusqu’à arriver à un contrôle total par le patient. Pour définir ce modèle, nous allons demander au patient de réaliser des tâches précises. Par exemple “lève le bras”. Le système connaît la consigne ainsi que la trajectoire idéale pour réaliser le geste. En imaginant faire ce geste, le cerveau du patient va émettre des signaux. Nous allons chercher les caractéristiques spécifiques de ces signaux pour les associer à la trajectoire idéale. Une fois ce modèle fonctionnel, nous allons le figer et le patient pourra ensuite l’utiliser librement.

Combien de temps dure la phase d’apprentissage ?

Grâce au travail réalisé sur nos algorithmes pour les alléger et les optimiser, cela peut être très rapide, quelques dizaines de minutes pour un ou deux degrés de liberté. Plus on augmente les degrés, plus on prend du temps car il faut additionner les modèles. De plus, l’apprentissage se fait en temps réel afin de permettre au patient d’avoir un feedback visuel et ainsi d’adapter son activité cérébrale pour qu’il ait un meilleur contrôle.

Est-ce un modèle transposable d’un patient à l’autre ?

Non, notre neuroprothèse s’adapte à l’activité spécifique de chaque patient. En effet, chaque patient a une activité cérébrale spécifique. De plus, l’activité cérébrale d’un patient peut évoluer (plasticité cérébrale). Nous avons donc développé un algorithme adaptatif qui permet d’adapter le modèle au fil du temps en le mettant à jour. Mais contrairement aux équipes américaines devant créer un modèle chaque jour pour cause de micro-déplacement des électrodes impactant la stabilité de la mesure, nous avons réussi à faire fonctionner un même modèle de bras sur plusieurs mois. Ce qui n’a jamais été démontré jusque-là. Nous avons des signaux stables et durables dans le temps.

En étant “connectée” au cerveau, comment peut-on être sûr que la neuroprothèse ne va pas affecter d’autres aptitudes motrices ou cognitives du patient ?

A ce jour, dans le cadre de l’essai clinique en cours, aucun retour n’a jamais été remonté sur une perte de faculté motrice ou cognitive après implantation. Le dispositif Wimagine a été conçu afin de limiter les risques pour le patient, que ce soit par exemple les risques liés à la chirurgie ou au placement de l’implant sur le cortex ou les risques d’infections. Dans la méthode invasive citée précédemment, les équipes américaines ont utilisé des électrodes très pénétrantes placées au niveau du cortex moteur. Celles-ci ne vont pas altérer le fonctionnement du cerveau, mais le connecteur transcutané peut par exemple engendrer un risque d’infection lors d’une utilisation sur du long terme. De plus, les cellules du cerveau vont venir encapsuler naturellement les électrodes qui, au bout d’un moment, vont être éloignées des neurones ce qui entrainera une dégradation de la qualité de mesure. Cette approche permet de réaliser des preuves de concept clinique mais n’est pour l’instant pas adaptée pour un usage à long terme. A Clinatec, pour éviter ces désagréments, nous sommes partis sur un choix intermédiaire en positionnant les électrodes à la surface du cortex, et plus précisément sur la dure-mère, la couche qui protège le cortex. En ne pénétrant pas à l’intérieur, on limite les risques d’infection du cerveau. Également, nous n’avons pas de connecteur transcutané donc pas de faille à la barrière de la peau. Notre dispositif est entièrement implanté, ce qui limite considérablement le risque d’infection.

Photo de Une: Grâce à des neuroprothèses de Clinatec, un homme tétraplégique a pu contrôler un exosquelette par la pensée © J. Treillet/FDDClinatec


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