La jeune pousse FunCell valorise une technologie issue du CERMAV (Centre de recherches sur les macromolécules végétales). À l’origine, ce laboratoire du CNRS, situé à Grenoble, développait des matériaux composites à partir de fibres naturelles. Au cours de leurs travaux, les chercheurs découvrent qu’une molécule biosourcée a la particularité de se fixer sur les fibres en cellulose et qu’il est possible de la modifier chimiquement pour améliorer leurs propriétés. Grâce notamment à la présence du Centre technique du papier (CTP) et de L’École internationale du papier (Grenoble INP-Pagora) à proximité du CERMAV, les scientifiques ont l’idée de développer ce procédé pour renforcer les propriétés mécaniques des papiers. Une start-up est créée, et actuellement, elle débute une phase d’industrialisation de sa technologie. Rencontre avec Gilles du Sordet et Julien Leguy, deux des quatre cofondateurs de la start-up, et respectivement CEO et CTO de l’entreprise.
Techniques de l’Ingénieur : Quel est le principe technologique de votre procédé ?
Gilles du Sordet : Dans un premier temps, nous récupérons des déchets de l’industrie agroalimentaire constitués de pulpes de fruits utilisés pour faire des jus, ainsi que certaines graines. À partir de ces sous-produits, un polymère naturel, classé dans la famille des hémicelluloses, est extrait. Il a été sélectionné pour sa capacité intrinsèque à se fixer sur la fibre cellulose. Ensuite, nous modifions chimiquement ce polymère, en procédant à une réticulation, pour qu’il vienne renforcer les performances des fibres. Cette étape permet de créer des liaisons chimiques multiples qui vont venir se fixer sur plusieurs fibres en même temps, et ainsi permettre de les maintenir entre elles, et faire en sorte que l’ensemble des fibres ait une meilleure cohésion. Pour des raisons de secrets industriels, je ne peux pas vous donner plus de détails sur notre procédé.
Quels sont les bénéfices apportés par votre additif sur les papiers ?
Julien Leguy : Notre technologie améliore les performances mécaniques des fibres cellulosiques. À sec, en ajoutant notre additif biosourcé, il est possible de rendre le papier jusqu’à deux fois plus performant. Cet additif peut aussi servir à réduire la quantité de fibres utilisées pour fabriquer des papiers, tout en conservant leurs propriétés mécaniques. Ce qui est très avantageux, surtout dans le contexte actuel d’envolée du prix des matières premières, dont le bois fait partie et qui est utilisé pour fabriquer des fibres papier. Dans ce cas, les papetiers peuvent enlever jusqu’à 30 % de fibres dans la formulation de leurs papiers.
Notre additif permet aussi d’apporter un renforcement à l’état humide, comme pour les papiers d’hygiène de type essuie-tout, mouchoirs en papier, lingettes, couches pour les bébés. Actuellement, ce renforcement est réalisé à l’aide de molécules de type résine PAE (Polyamidoamine-épichlorhydrine), qui fonctionnent très bien mais qui sont pétrosourcées. Notre additif peut venir se substituer à ces molécules et nous parvenons, sur un papier à l’état humide, à conserver jusqu’à environ 20 % de ses performances à sec, ce qui correspond à ce qui est rencontré sur ce type de papier d’hygiène.
Quelles sont les applications de votre procédé ?
JL : Il s’applique à tous les types de papiers. En plus des papiers d’hygiène dont je viens de parler, il peut être utilisé pour fabriquer du packaging, de l’emballage de produits alimentaires, des barquettes. Dans un autre domaine, nous avons un client qui est intéressé pour assurer le transport de charges lourdes de grosses pièces mécaniques. Actuellement, il utilise un emballage en bois et il souhaiterait le remplacer par du carton ayant des performances mécaniques renforcées. Grâce à notre procédé, il est aussi possible de remplacer des matériaux en plastique par du papier plus résistant.
À l’opposé, certains de nos clients cherchent à réduire le grammage de leur emballage, utilisé par exemple pour de la livraison de produits achetés sur Internet, mais ne souhaitent pas perdre en résistance. Dans ce cas, nous sommes aussi capables de répondre leurs besoins.
L’avantage de notre procédé est qu’il est Iso process, cela signifie que le papetier peut utiliser notre additif comme s’il utilisait n’importe quel autre additif. Il n’a aucun changement à réaliser sur ses machines.
À quel stade de développement se trouve votre projet ?
GdS : Nous sommes encore à l’échelle du laboratoire, mais nous finalisons une levée de fonds de deux millions d’euros afin d’industrialiser notre technologie. Cette somme va nous permettre de construire un premier pilote, courant 2023, qui produira entre 5 et 10 kg d’additifs par jour. Il nous permettra de faire des essais sur des machines à papier pilotes chez des papetiers. Ensuite, nous construirons un deuxième pilote, d’une taille beaucoup plus importante, capable de produire une centaine de kilogrammes par jour. Ce volume nous permettra de couvrir les besoins de certains de nos clients.
La levée de fonds nous servira aussi à poursuivre nos efforts de R&D, car plusieurs additifs apportant de nouvelles fonctionnalités aux papiers sont en cours d’élaboration. Nous développons un additif permettant d’apporter de nouvelles fonctionnalités aux papiers ; nous nous focalisons sur les propriétés barrières notamment à l’eau ou à la graisse, pour des applications alimentaires, notamment des barquettes pour emballer des plats préparés. Mais il serait également techniquement possible de fabriquer des papiers antifongiques ou antibactériens pour le secteur médical, ou tout simplement pour fixer des colorants sur des papiers afin qu’ils ne migrent pas vers le contenu d’un emballage.
En parallèle de ces développements, nous allons poursuivre l’accompagnement de nos clients. Nous travaillons déjà avec cinq groupes papetiers, dont trois ont une taille à minima européenne, voire mondiale. Nous travaillons aussi avec des grands groupes dans le domaine de l’agroalimentaire, du luxe et de la cosmétique, qui ont des programmes de recherche pour trouver de nouvelles solutions à leurs emballages.
À l’horizon 2025, nous souhaitons procéder à une autre levée de fonds afin de construire un outil industriel capable de produire de très gros volumes et ainsi répondre aux besoins de tous nos clients.
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