Dans un précédent article, Emmanuelle Ledoux, la directrice générale de l’INEC, nous a présenté les enjeux de cette étude qui examine la transition bas carbone sous l’angle des ressources.
Capgemini Invent est la marque d’innovation digitale, de design et de transformation du groupe Capgemini.
Alain Chardon travaille sur les sujets de transition bas carbone depuis une quinzaine d’années, chez Capgemini Invent.
Techniques de l’ingénieur : Cette étude examine la transition bas carbone sous l’angle des ressources. Pourquoi avoir mis en place une méthodologie spécifique ?
Alain Chardon : Notre méthodologie a été conçue pour satisfaire à deux objectifs.
Nous voulions d’une part compléter les approches publiées en 2020 et 2021 par l’Agence Internationale de l’Énergie, l’Union européenne et l’ADEME. Par exemple, l’AIE a déjà pris en compte une petite quinzaine de technologies de la transition bas carbone ainsi qu’une grosse dizaine de ressources. De son côté, l’UE a regardé une trentaine de ressources et l’ADEME est en train de faire un travail de prospective formidable avec la grande étude Transition(s) 2050. Bien qu’ils soient approfondis, ces travaux ont la particularité d’être concentrés sur certains aspects par domaines ou par ressources. Par notre approche de consultant, nous avons cherché à apporter une vue quantitative d’ensemble.
D’autre part, nous souhaitions que cette méthode soit également utilisable par n’importe quelle entreprise qui souhaiterait évaluer la criticité en ressources de son portefeuille d’activités ou de sa stratégie.
En quoi cette méthodologie est-elle innovante ?
Nous proposons une évaluation complète qui prend non seulement en compte les quantités de ressources en tonnes et le poids économique en euros d’importations ou de dépenses, mais aussi un nouvel indicateur de criticité globale. Pour l’évaluation en tonnes, nous nous sommes fondés sur des ratios en kilogrammes par unité d’œuvre issus pour une grande partie de l’étude SURFER conduite par l’ADEME ainsi que le BRGM, et pour le reste, d’évaluations propres.
Concernant l’évaluation du poids économique, qui est déjà moins souvent présente dans les études, nous avons pris en compte la valeur de marché sur le London Metal Exchange et d’autres sources disponibles, ce qui donne une idée de l’exposition aux importations[1]. En effet quasiment tous les métaux et minéraux sont importés, soit directement en tant que tels, soit intégrés aux produits. Seuls l’aluminium et l’acier ont été considérés au prix des minerais importés, car ils sont produits en France, et le béton à son prix moyen sur le marché français.
Enfin il reste la question de la criticité multifactorielle. Un euro d’une matière n’entraîne pas les mêmes risques de criticité qu’un euro d’une autre matière. Ici, nos travaux ont dû faire preuve d’originalité pour permettre l’additionalité et la comparaison.
La méthode que nous avons développée[2] permet, à partir de 6 critères d’analyse, d’établir un score multifactoriel de risque ou de criticité, dont nous renormons l’impact sur une échelle de 1 (pas d’impact) à 100 (impact majeur). Cela nous sert à repondérer l’impact de chaque euro de ressource employée dans une technologie donnée, à calculer des ratios par kWh, par km ou par m² selon le type de sujet, à comparer l’évolution de l’impact à travers les années, au sein d’un portefeuille d’activités ou entre scénarios, ici ceux de la transition bas carbone nationale de 2020 à 2050.
Enfin une autre originalité de notre étude est que nous appliquons ces trois évaluations en tonnes, en euros et en euros.criticité[3] non seulement aux besoins bruts, mais aussi aux déchets et au flux de recyclage et de réemploi, ce qui permet d’évaluer les besoins nets et les gains accessibles avec une stratégie d’économie circulaire renforcée.
Quelles sont les limites de cette étude ?
Nous avons souhaité être totalement transparents sur les limites de l’étude[4], afin de permettre à d’autres secteurs de faire évoluer cette approche, d’affiner les évaluations avec leurs propres calculs et de démontrer les progrès possibles avec d’autres technologies plus efficaces en matière de recours aux ressources critiques.
Je rejoins ainsi le point de vue d’Emmanuelle Ledoux : l’une des principales vocations de cette étude est d’inciter les mondes industriel et institutionnel à s’approprier ces questions de criticité des ressources dans leur stratégie bas carbone.
Sans prétendre à la perfection, cette approche a le mérite d’être applicable au niveau des industriels et de les aider à se poser les bonnes questions. Peut-on rester dans un modèle économique linéaire de production en comptant sur le seul progrès technologique ? Doit-on investir sur les ressources biosourcées qui se régénèrent, plutôt que sur les ressources minérales finies ? Doit-on investir dans de nouveaux business models de produits et services partagés plus économes en ressources ? Doit-on se développer sur les activités de recyclage et de réemploi, plutôt que de laisser d’autres le faire ? Cette approche peut les aider à objectiver, quantifier et dérisquer leur stratégie bas carbone circulaire.
Je dirais en conclusion qu’une entreprise qui veut durer sur son secteur d’activité et réussir sa transition bas carbone n’a pas d’autre choix que d’intégrer ces questions de criticité de ressources dans sa stratégie à 3 ans, 10 ans ou plus.
[1] Il ne s’agit pas du coût complet d’importation, seulement la part d’extraction et de première transformation.
[2] Si vous souhaitez étudier en détail la méthodologie, l’ensemble des données chiffrées sont disponibles aux annexes 2 et 3.
[3] Approche qui permet de croiser valeur économique et criticité par la pondération du coût de la ressource par son indice d’impact.
[4] Les apports de l’étude ainsi que les limites et pistes d’approfondissement par les parties prenantes sont détaillées à la fin du rapport au Paragraphe 4.6 : Apports, limites et pistes d’approfondissement de l’étude, PP 132-136
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