Selon la start-up DiviGas, chaque année, 110 milliards de dollars d’hydrogène gazeux sont générés dans les raffineries, les usines chimiques et les usines d’engrais. Sur ce total, environ 15 %, représentant 16 milliards de dollars, sont perdus à cause du torchage. La membrane développée par DiviGas, pourrait recycler cet hydrogène gazeux auparavant non récupérable, rapportant à la raffinerie en moyenne 3 à 6 millions de dollars par an avec un retour sur investissement de 2 à 3. Entretien avec son PDG et cofondateur André Lorenceau.
Techniques de l’Ingénieur : Vous lancez une nouvelle membrane, présentée comme révolutionnaire pour purifier l’hydrogène. À quoi sert-elle ?
André Lorenceau : Aujourd’hui, la quasi-totalité de l’hydrogène produit dans le monde – 73 millions de tonnes chaque année – l’est à partir de charbon ou de gaz naturel. Lors de cette production, on obtient environ 75 % d’hydrogène et 25 % de CO2. Cet hydrogène est majoritairement utilisé dans les raffineries pour fabriquer les carburants dérivés du pétrole et pour produire de l’ammoniac, des fertilisants ou des explosifs.
Avant d’utiliser l’hydrogène, il faut le purifier. Cela peut se faire soit par séparation chimique, un procédé assez toxique qui existe depuis 90 ans, soit avec des membranes. Ce second type de procédé est plus récent, mais les membranes ont généralement du mal à tolérer certaines molécules, particulièrement les acides, les hexanes et les sulfites. Ces molécules ont tendance à dégrader la structure polymérique des membranes. Il y a un autre problème : les molécules avec de grandes chaînes carbonées se condensent facilement et bouchent les filtres. Une solution serait de monter la température dans la membrane, mais les molécules ne tolèrent pas les températures au-delà de 50°C-60°C.
Qu’est-ce que votre membrane a de plus que les autres ?
Notre membrane est beaucoup plus résistante aux hautes températures et aux acides. Ce qui fait son efficacité, c’est sa structure, les matériaux utilisés et le procédé de fabrication. Elle résiste ainsi aux acides jusqu’à 150ºC, ce qui ouvre des possibilités dans les raffineries, mais aussi dans plusieurs industries nouvelles. C’est notamment le cas du stockage souterrain de l’hydrogène vert dans les nappes phréatiques et les mines de sel ou pour la gazéification de biomasse.
Comment fonctionne votre membrane ?
Notre membrane renferme des fibres polymères radicalement nouvelles. Chaque module est un tube contenant environ 300 km de fibres creuses polymériques. Si l’on veut s’imaginer ces fibres, on peut les comparer à des spaghettis pas cuits.
La membrane repose sur un processus mécanique. Le gaz est poussé à travers ces fibres. La pression mène à une séparation moléculaire de l’hydrogène. L’hydrogène pur sort à une pression légèrement inférieure à la pression initiale, les autres gaz à une pression identique. On obtient ainsi d’un côté l’hydrogène pur et de l’autre les autres gaz.
Où en êtes-vous de votre développement ?
Nous avons levé 3,5 millions de dollars pour fabriquer notre première usine pilote à Melbourne, en Australie. Elle devrait être opérationnelle en mars 2022 et nous pourrons livrer nos premiers produits en juillet 2022. Cette usine permettra de fabriquer 70 modules par an, c’est un début. En effet, les besoins dans cette industrie sont énormes. Certains de nos clients ont besoin de 5 à 30 modules par an, d’autres jusqu’à 5 000 unités.
Dès que notre usine pilote aura permis de montrer l’efficacité de notre membrane sur le terrain, nous ferons une nouvelle levée de fonds de quelques dizaines de millions de dollars pour construire plusieurs usines beaucoup plus grosses un peu partout dans le monde.
Votre prochain développement est une membrane à purifier le CO2, pour quel marché ?
D’ici 2023, nous espérons développer une membrane à purifier le CO2. Elle servirait à capter les émissions dans les centrales électriques au charbon et au gaz, dans les cimenteries et les aciéries.
Lorsqu’on utilise une membrane, l’avantage est que le CO2 garde sa pression, alors qu’il la perd avec la séparation chimique. Si l’on veut capturer et stocker le CO2, il faut donc forcément passer par une membrane, car re-pressuriser le CO2 est prohibitif économiquement.
Un système de captage et de stockage de CO2 comprend 4 étapes : la séparation, la compression, le transport et le stockage. Les étapes de séparation et compression représentent jusqu’à 75 % du coût du système. Avec une membrane, on pourrait aider à abaisser les coûts globaux des systèmes de captage et de stockage de CO2 et ainsi participer à développer ce secteur dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
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