Confrontés à un manque de ressources en eau douce sur leur territoire, certains pays comme Israël doivent procéder au dessalement de l’eau de mer à grande échelle. D’autres, à l’image de Singapour, sont obligés d’utiliser cette technique, car ils manquent d’espace pour stocker l’eau. Le procédé de désalinisation le plus couramment utilisé par les industriels est celui de l’osmose inverse. Il consiste à séparer l’eau des sels dissous grâce à une membrane semi-perméable. Cette technique se révèle par contre coûteuse, surtout en énergie, car elle nécessite d’utiliser une forte pression, supérieure à la pression osmotique, autour de 50 bar. Une équipe internationale, coordonnée par des scientifiques de l’Institut Européen des Membranes (IEM) de Montpellier, a réussi à fabriquer une nouvelle membrane, qualifiée de biomimétique car inspirée du monde vivant, et dont les performances sont supérieures aux membranes actuellement utilisées. Ce travail de recherche vient d’être publié dans la revue Nature Nanotechnology.
Une protéine capable de transporter l’eau à très grande vitesse
Le procédé utilisé s’inspire directement d’une protéine présente dans le règne animal et végétal : l’aquaporine. Localisée dans les membranes cellulaires, elle possède un pore perméable uniquement aux molécules d’eau. Elle présente une perméabilité élevée puisque, lorsqu’une cellule se trouve déshydratée ou au contraire a besoin d’éliminer de l’eau, l’aquaporine est capable d’assurer le transport de l’eau à très grande vitesse, jusqu’à 109 molécules d’eau par seconde. Dans le passé, des scientifiques ont tenté d’utiliser cette molécule pour dessaler l’eau de mer, mais les applications sont limitées, car l’aquaporine a tendance à s’agréger et donc à perdre sa fonction lorsqu’elle est soumise à de fortes pressions et à des niveaux de salinités élevées. « Il y a une dizaine d’années, nous avons développé une technologie de rupture et réussi à fabriquer des canaux artificiels d’eau, à l’aide de molécules simples, et qui s’inspirent directement de l’aquaporine, explique Mihail Barboiu, directeur de recherche au CNRS. Ces canaux moléculaires ont l’avantage d’être capables d’assurer la même fonction que cette protéine, même lorsqu’ils sont soumis à de fortes pressions et en présence d’une eau de mer très salée. »
Depuis 10 ans, les scientifiques ne parvenaient pas à utiliser cette nouvelle technologie pour fabriquer des membranes utilisées par les industriels dans le procédé de dessalement par osmose inverse. Ces derniers utilisent généralement des matrices en polymères, constituées en polyamides. Le principal défi dans la construction d’un tel matériau hybride est l’interaction douce et adaptative requise entre les polyamides et les canaux artificiels d’eau. Ces derniers sont en effet perçus comme un corps étranger par la matrice en polymères, ce qui crée une interface entre les deux supports et donc des défauts. « Dans notre publication, nous démontrons que nous avons réussi à résoudre ce problème en créant une structure unique et hybride qui combine une matrice en polyamide et des canaux artificiels d’eau, révèle le chercheur. La membrane conçue ressemble à une superstructure en forme d’éponge. Pour prendre une image, lorsque l’on met des cailloux en travers d’une rivière, l’eau va continuer à couler en passant à côté de ces cailloux. Nous avons créé une sorte de dune de sable qui oblige l’eau à passer à travers les canaux artificiels d’eau. »
Le flux d’eau traversant la membrane multiplié par trois
Cette membrane biomimétique surpasse les performances des membranes classiques actuellement utilisées avec un flux d’eau pouvant la traverser trois fois supérieur. Jusqu’ici, les tentatives d’augmentation de la perméabilité des membranes s’étaient soldées par une perte de sélectivité. En clair, l’eau coulait plus rapidement à travers les membranes, mais laissait s’échapper une partie du chlorure de sodium. Ici, cette nouvelle membrane possède une perméabilité très élevée tout en laissant traverser uniquement les molécules d’eau. Les chercheurs ont calculé qu’à débit constant, il va être possible de construire des membranes au diamètre plus petit et d’économiser 12 % de l’énergie nécessaire au dessalement.
Cette innovation va être directement applicable à des procédés industriels puisque les canaux artificiels d’eau s’adaptent aux membranes en polyamides. Des discussions sont en cours avec de grandes entreprises assurant la gestion du service de l’eau. « Grâce à cette technologie, nous allons pouvoir fabriquer des m² de membranes à un coût compétitif, ajoute Mihail Barboiu. Notre innovation pourra aussi s’adapter à d’autres matrices que celles en polyamides. »
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