Fondée en 2018, Invers a créé une filière locale de production d'insectes à la ferme. Cette entreprise permet à des agriculteurs de valoriser des résidus de céréales et les protéines d'insectes sont utilisées pour fabriquer des aliments pour les animaux. Rencontre avec le cofondateur et président de la société.
Tout a commencé en 2016 par la lecture d’un article du journal Le Monde. Sébastien Crépieux, ingénieur agronome de formation, découvre qu’entre 35 à 40 % de la pêche industrielle mondiale n’est pas destinée à l’alimentation humaine, mais sert à nourrir des animaux d’élevage, notamment des poissons (saumons, truites, crevettes). Il apprend également que la Commission européenne va autoriser à partir de 2017 l’utilisation des insectes pour nourrir les poissons d’élevage. Il identifie ce changement réglementaire comme l’opportunité de répondre à la problématique environnementale de la surpêche. Il décide de créer une filière de production de protéines d’insectes en 2018. Entretien avec le cofondateur et président de l’entreprise Invers.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle a été la première étape de création de cette filière de production d’insectes ?
Sébastien Crépieux : Nous avons dû construire toutes les briques pour bâtir cette filière, à commencer par le choix de l’insecte. Dès le début, il n’était pas question de les nourrir avec des produits qui entrent en compétition avec l’alimentation humaine. Nous sommes installés dans le Puy-de-Dôme et j’ai contacté la coopérative Limagrain chez qui j’ai démarré ma carrière et ils disposaient de coproduits céréaliers, principalement du son de blé issu de meunerie. Nous avons testé plusieurs insectes, et nous avons observé que celui qui paraissait le plus simple à élever lors de la phase d’engraissement était le Tenebrio molitor. Il s’agit d’un insecte de la famille des coléoptères qui raffole de farines de céréales. Ce ver de farine est capable de multiplier son poids par 20 en un mois, c’est-à-dire de passer de 5 mg à 100 mg, ce qui correspond à la durée de l’engraissement.
Qui se charge d’engraisser vos insectes ?
Ce sont des agriculteurs, et dès le départ, nous avons décidé de les placer au cœur de la chaîne de valeur. Les insectes sont placés dans des bacs, que nous avons désignés, avec à l’intérieur toute la quantité d’aliments nécessaire pour les nourrir pendant un mois. Au début, toutes les opérations étaient réalisées manuellement, et nous avons développé un robot afin d’éviter au maximum les tâches répétitives, pour que les éleveurs se concentrent sur le suivi zootechnique des animaux. Un bâtiment type pour l’engraissement fait 1 000 m², à l’intérieur duquel 10 000 bacs sont empilés, les uns sur les autres, sur 15 niveaux, et cette unité produit au total 20 tonnes d’insectes par mois. Le robot manipule tous les bacs, et à la fin de l’engraissement, il verse leur contenu dans une trémie, pour faire le tri entre les insectes, les déjections, et l’aliment restant. Il y a très peu de pertes d’aliments, et le taux de conversion est très bon, puisque nous parvenons à amener quasiment tous les insectes à maturité, avec très peu de relance en élevage. Les déjections sont riches en matières organiques et sont épandues dans les champs pour fertiliser les sols et nourrir les plantes. Le bâtiment ne consomme pas d’énergie pour le chauffage, car nous avons développé un système climatique pour utiliser la chaleur dégagée par les insectes pour chauffer l’enceinte.
Quel est le rôle d’Invers ?
Nous intervenons en amont et aval de la filière. Nous avons des reproducteurs du Tenebrio molitor que nous faisons pondre, puis vient l’étape d’éclosion des œufs, et ensuite nous procédons à un premier stade de grossissement pour amener chaque insecte à un poids de 5 mg. Une fois cette phase de production des adultes réalisée, nous les livrons aux agriculteurs, puis un mois plus tard, nous venons les chercher pour les transporter dans notre abattoir. Sur place, nous procédons à la déshydratation qui permet d’obtenir un insecte entier et sec. Il contient environ 60 % de protéines, ce qui correspond au taux d’une farine de poisson. Notre produit est aussi très riche en gras, avec la présence d’acides gras insaturés qui représentent 4 % du poids de l’insecte. Cette protéine d’insecte entre dans la composition de plusieurs formulations et permet de fabriquer des aliments pour les chiens, les chats, les poissons et les poulets.
Quelles sont les perspectives de votre entreprise ?
Nous avons actuellement trois agriculteurs qui possèdent chacun un bâtiment et qui engraissent nos insectes. Ils sont tous situés dans le Puy-de-Dôme pour faciliter la logistique. L’an dernier, nous avons réalisé une levée de fonds de 15 millions d’euros pour financer le déploiement de notre outil industriel afin de construire un couvoir de 4 000 m² ainsi qu’une usine d’abattage et de transformation. Ces investissements nous permettront d’alimenter une filière de 25 bâtiments agricoles dans un premier temps, avec l’objectif de produire 2 500 tonnes de vers déshydratés par an. Pour l’instant, nos marchés sont très orientés vers la nutrition des chiens, des chats et des animaux de basse-cour. Pour nourrir des poissons d’élevage, nous devons attendre la signature d’accords internationaux et des changements réglementaires pour nous diriger vers ce marché, car actuellement la ressource en poissons est prélevée gratuitement dans les océans et notre produit est entre 2 à 3 fois plus cher qu’une farine de poisson.
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