Chaque année, dans l’Union européenne, plus de 200 millions de m3 de sédiments marins sont dragués dans les ports et les voies navigables pour faciliter la circulation des bateaux. Ces volumes, très importants, représentent 80 millions de tonnes de poids sec. 99 % d’entre eux sont déversés en mer ou alors gérés comme des déchets, et seulement 1% font l’objet d’une valorisation. Depuis 2017, un projet transfrontalier baptisé Suricates[1] a débuté dans le Nord-ouest de l’Europe afin d’accroître la réutilisation des sédiments grâce au développement de plusieurs solutions innovantes. Ces sédiments serviront, entre autres, de matières premières secondaires pour construire des systèmes de protection résilients contre les inondations et l’érosion du milieu littoral.
La plupart des réglementations européennes obligent à réaliser des analyses des sédiments, avant même qu’ils soient dragués, pour caractériser leur qualité. Deux solutions se présentent : s’ils contiennent des polluants, ils sont ensuite stockés dans des sites de stockage de déchets ; dans le cas contraire, ils sont rejetés en mer, au large, après autorisation. Pour la première fois, un outil portable appelé pXRF, jusqu’ici principalement utilisé pour caractériser les minéraux, et a été utilisé pour analyser les sédiments dans l’eau. « Il s’agit d’un analyseur de fluorescence des rayons X qui nous a permis de faire des pré-caractérisations sur site des sédiments avant que des études plus complètes en laboratoire soient menées, explique Éric Masson, géographe spécialisé en géomatique et en environnement à l’Université de Lille. Nous avons ainsi pu identifier les minéraux présents dans ces sédiments, des minéraux à risque sur le plan environnemental. »
Un nouvel équipement de déshydratation des sédiments a par ailleurs été conçu par le bureau d’études et d’ingénierie Ixsane, basé à Villeneuve-d’Ascq, et partenaire de ce projet. Il permet de retirer une grande partie de l’eau des sédiments, son volume passant de 70 % à 30%. Des procédés de déshydratation existent déjà, notamment par hydrocyclonage. Celui inventé a la particularité de fonctionner grâce à des traitements mécaniques par pression et filtration de l’eau pour séparer les sédiments de l’eau, dans un premier temps. Puis pour séparer les sables des sédiments fins. Ces derniers composés, constitués d’argiles et de limons, peuvent notamment servir de substituts dans la fabrication des ciments. L’un des aspects innovants de ce nouvel équipement est sa portabilité. Il peut ainsi être déplacé sur chaque site, même si trois containers sont alors nécessaires. « Nous avons démontré que ce prototype pouvait débiter des volumes allant jusqu’à 60 m3 par heure, complète Éric Masson. Dans le futur, il sera possible de concevoir des équipements industriels capables de débiter de plus grands volumes. »
Aménager des pistes cyclables avec des sédiments dragués
En Écosse, ce nouvel équipement a permis à Scottish Canals, un organisme chargé de la gestion des voies navigables et partenaire de ce projet, de valoriser pour la première fois ses sédiments dragués. Après avoir séparé les sables des éléments fins, ces composés ont été réutilisés pour faire du béton, afin de construire des blocs et protéger une zone littorale située à l’ouest de Glasgow. Une autre partie des sédiments dragués a également servi à aménager des sols dans le but de stabiliser des pistes cyclables sur le site de Bowling [2].
Une autre technique innovante a cette fois-ci été employée dans le port de Rotterdam[3]. Depuis plusieurs années, une zone naturelle humide a été aménagée sur l’une de ses rives afin de favoriser la biodiversité dans le port. Plutôt que d’utiliser des engins lourds pour transporter des sédiments vers ce site naturel, les scientifiques du projet Suricates se sont servis du fonctionnement hydraulique naturel du port, c’est-à-dire des courants d’eau, pour permettre la recharge en matériaux fins de cette zone humide.
« Nous avons déposé un câble optique de plusieurs centaines de mètres de long dans le fond du port pour surveiller la turbidité de l’eau pendant toute la phase de remise en suspension des sédiments, précise Éric Masson. Ce type de dispositif est rarement utilisé, surtout sur une période aussi longue, c’est-à-dire plus d’une année. Grâce à lui, nous avons pu estimer la quantité de sédiments qui a permis de recharger la zone humide. Au final, l’équivalent de 220 000 tonnes de sédiments de poids à sec a pu être déplacé. »
Le projet Suricates va se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2023. Il s’est vu confier une nouvelle mission dans le bassin de la Rance, au nord de la Bretagne. Depuis 1966, une usine marémotrice amplifie l’accumulation estuarienne naturelle de sédiments en amont du barrage, long de 390 mètres. « Nous allons contribuer à la définition du plan de gestion des sédiments de la Rance, confie Éric Masson. Ici, notre objectif est d’accompagner les acteurs locaux dans la gestion des impacts à long terme d’une infrastructure d’énergies renouvelables en mer. »
[1] Le projet Suricates (2017-2023) est financé sur fonds européens FEDER dans le cadre du programme Interreg-ENO
[2] Un quartier de Glasgow
[3] Aux Pays-Bas
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