Depuis décembre 2017, un arrêté préfectoral interdit le brûlage à l’air libre des déchets agricoles dont ceux des activités viticoles en Savoie car ils polluent l’environnement. Les souches ainsi que les sarments de vignes et de pépinières viticoles, c’est-à-dire les tailles de l’année, sont traditionnellement brûlés dans ce département. Sur le territoire savoyard, ces déchets représentent chaque année un volume de 28 000 m3 et concernent 330 viticulteurs et 23 pépiniéristes. Aucune solution alternative ne leur a été proposée.
Alors, à l’initiative de l’Université Savoie Mont Blanc et en partenariat avec des professionnels du secteur, des services de l’Etat et des élus, le projet VITIVALO est né. Son objectif : transformer cette contrainte réglementaire en opportunité afin de développer de nouvelles filières valorisant les déchets viticoles. Au final, une cascade d’idées nouvelles pour valoriser les déchets ont été trouvées, dont certaines sont en cours de recherche. Entretien avec Christine Piot et Grégory Chatel, enseignants-chercheurs à l’Université Savoie Mont Blanc et coordinateurs de ce projet.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les pistes de valorisation les plus intéressantes ?
Christine Piot et Grégory Chatel : Il n’existait pas de données sur la valorisation chimique des déchets de vignes des cépages savoyards en particulier. Une thèse de doctorat a débuté dans le but d’extraire des molécules à haute valeur ajoutée. Une première molécule a été identifiée : le resvératrol. Elle a déjà fait l’objet de nombreuses études à travers le monde et est très utilisée dans les cosmétiques, les compléments alimentaires ou autres alicaments. Sur le plan de la santé, cette molécule est un puissant antioxydant et agit en médiateurs d’effets biologiques pour le traitement de la maladie d’Alzheimer par exemple. Elle a des propriétés anti-âge, anti-cancéreuse, anti-inflammatoire, anti-microbien et anti-fongique. Nous avons démontré que les deux principaux cépages savoyard (Jacquère et Mondeuse) avaient des niveaux de concentration élevés en resvératrol, compris entre 2 à 6 grammes par kg de matière sèche.
D’autres molécules présentent-elles un intérêt ?
Une seconde appelée la viniférine a été également identifiée. Elle est beaucoup moins étudiée que la première mais a aussi des propriétés antioxydantes et présente quasiment les mêmes effets positifs que le resvératrol. Beaucoup moins employée par l’industrie, le marché de cette molécule est donc moins important. Nous avons pour projet de travailler avec un laboratoire afin de la tester sur des cellules humaines et du sang. La viniférine présente le même niveau de concentration dans les déchets bois viticoles que le resvératrol. Nous étudions les paramètres tels que le temps de stockage, la nécessité de broyage, ainsi que les conditions d’utilisation de ces déchets afin d’obtenir des concentrations maximales en viniférine.
Quelles sont les pistes de valorisation pour les résidus de matière bois ?
Nous avons écarté la piste de la valorisation énergétique car une étude réalisée dans le Vaucluse démontre que ces déchets ont un rendement faible et que cette valorisation n’est pas viable économiquement vis-à-vis du coût de transport. En 2018 et 2019, nous avons testé la valorisation sous la forme d’amendement. Après des analyses de sol, nous avons identifié que ces déchets présentaient les mêmes propriétés que des déchets de bois de type feuillu, le fumier ou la paille. Par contre, nous avons détecté la présence de cuivre, classé dans la catégorie des métaux lourds. Sa présence est liée à l’utilisation de la bouillie bordelaise [un fongicide fabriqué à partir de sulfate de cuivre, de chaux et d’eau, NDLR] pour traiter les vignes. Nous avons alors testé le compostage avec la collaboration d’une plateforme industrielle en diluant ces déchets viticoles à raison d’un cinquième avec d’autres déchets végétaux. Résultat : le produit final respecte les normes de compost. Un temps de compostage de 4 mois est nécessaire avant que ce produit ne puisse être vendu en compost industriel à des jardineries et à des maraîchers.
Quels sont vos futurs axes de recherche ?
Nous travaillons actuellement avec un laboratoire sur les propriétés d’isolation phonique et thermique. Ces déchets pourraient être utilisés pour renforcer des matériaux biocomposites. Nous allons également poursuivre notre travail sur la qualité de l’air car nous manquons de données scientifiques sur les émissions de gaz et particules fines lors des brûlages. Cela servira à étayer les arguments et la pédagogie vers les viticulteurs. Actuellement et malgré l’interdiction, environ 15% de ces déchets bois viticoles sont encore brûlés. Nous estimons que ce brûlage représente annuellement les émissions de 225 kg de particules fines. En comparaison, si l’on souhaite transporter la totalité de ces déchets avec des camions à moteur diesel vers un centre de traitement situé à 15 km, seulement 300 g de particules seraient rejetés.
A présent, notre projet rentre dans une phase opérationnelle avec la mise en place d’un nouveau modèle économique et un extracteur des molécules va devoir être installé. En amont, nous devons aussi résoudre la question de la gestion de la collecte. Situés sur des coteaux, ces déchets sont parfois difficiles d’accès et l’une des pistes serait de travailler avec une entreprise d’insertion afin de les descendre au bas des vignes. Enfin, nos travaux vont pouvoir servir à d’autres régions puisque d’autres territoires sont concernés par l’interdiction de brûler les déchets viticoles. C’est le cas par exemple de la Bourgogne et nous savons que le pinot noir contient lui aussi des molécules à haute valeur ajoutée.
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