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Interview

« Une billette qui sortira de l’usine Coralium ne présentera aucune différence avec une billette issue d’aluminium primaire »

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

Le développement d’une économie circulaire autour de l’aluminium permettra, entre autres, de traiter sur notre territoire les déchets aluminium qui sont aujourd’hui encore envoyés à l’étranger pour être traités.

La première fonderie française capable de recycler tous les types de déchets d’aluminium est en train de voir le jour en Vendée. L’usine Coralium, qui doit entrer en service l’année prochaine, permettra de traiter 40 000 tonnes d’aluminium par an. Auparavant, ces déchets étaient sortis de notre territoire pour être recyclés, parfois à l’autre bout du monde. Avant d’être revendus sous forme de billettes aux industriels français utilisant l’aluminium comme matière première. Une aberration économique et écologique, à laquelle Coralium doit apporter un début de réponse. Le projet, initié conjointement par le groupe familial Liébot, qui produit des fenêtres industrielles et des façades à base d’aluminium, et le groupe Corre, gérant de Fineiral, doit permettre de développer une économie circulaire autour de l’aluminium en France, pays inventeur du procédé de fabrication industrielle de l’aluminium.

Christian Chevrel, Directeur Général des activités amont du groupe Liébot[1], a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la stratégie derrière le développement de l’usine de recyclage Coralium.

Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la réflexion derrière la décision de développer l’usine Coralium ?

Christian Chevrel : Ce projet d’usine de recyclage de l’aluminium n’était pas prévu à la base. Pour revenir sur le contexte, il faut savoir que le groupe Liébot affiche une forte croissance depuis longtemps, qui ne faiblit pas dans le temps. Mon métier de directeur achat consiste depuis longtemps à trouver de nouveaux fournisseurs, avec la volonté affichée par le groupe de trouver ces derniers localement, pas forcément pour des raisons écologiques, mais plus par bon sens économique. Aujourd’hui, avec les RSE et les problématiques environnementales, on peut dire que cette volonté était avant-gardiste.

Ensuite, il y a la problématique de la désindustrialisation de la France, qui touche aussi l’aluminium. J’ai assisté à la disparition de nombreuses usines d’extrusion d’aluminium, alors que les besoins en profils aluminium étaient croissants.

Pendant un certain temps j’ai donc cherché des investisseurs pour nous accompagner en tant que fournisseurs et investir dans nos usines parce qu’en termes logistiques, les coûts sont importants. Trois usines sont ainsi venues s’installer dans l’ouest de la France. 

Nous avons alors monté une très grosse usine sur Lyon. Tout cet écosystème que nous avions bâti dans l’ouest de la France devait être répliqué dans l’est pour accompagner ce nouvel outil de production. Le problème qui s’est posé est qu’il devenait difficile de trouver des investisseurs. Nous avons pu investir dans une usine d’extrusion d’aluminium. Cela correspondait parfaitement à notre volonté d’investir localement, mais aussi à l’intégration d’un métier et d’un savoir-faire, et à la sécurisation de nos approvisionnements. 

Par la suite, nous nous sommes également rendu compte que nous avions une problématique avec l’approvisionnement en matières premières, et notamment l’accès à l’aluminium bas carbone. Ceci constituait un frein à notre stratégie environnementale. Les déchets aluminium ont une grande valeur, ils sont aujourd’hui collectés et envoyés vers des fonderies, mais il y a très peu de moyens industriels en France en termes de traitement des déchets, et en fait très peu de fonderies sur notre territoire.

Que deviennent les déchets aluminium produits sur le territoire français ?

Aujourd’hui cette matière première quitte notre territoire alors qu’elle a une valeur incroyable, car la transformation des déchets en billettes d’aluminium est un procédé qui ne représente que 5% de l’énergie totale dépensée par rapport à ce que l’on va consommer quand on repart sur un circuit de production à partir d’aluminium primaire.

Elle est exportée en Italie, en Espagne, en Belgique, en Chine également… pour revenir sous forme de billettes en France ! 

Vers 2019 sont apparues les premières difficultés sur les approvisionnements en aluminium, avec des variations de prix très importantes. Le groupe Liébot disposait de 3000 tonnes de déchets aluminium qui étaient normalement revendus, j’ai alors décidé que le groupe allait en garder la propriété, car il aurait été dommage de s’en séparer, au vu de sa valeur. J’ai trouvé une fonderie en Belgique qui était capable de transformer ces déchets en billettes, qui nous revenaient et que j’ai livrées à mes fournisseurs, et notamment au partenaire que nous avons emmené avec nous sur le projet Coralium. 

Suite à cela, nous avons poussé la réflexion sur le fait de trouver des partenaires, et même d’investir par nous-mêmes. Nous nous sommes donc lancés sur le projet d’une fonderie bas carbone, en y intégrant les métiers du tri, de la sélection et de traitement du déchet sur le même site, pour matérialiser notre ambition en termes de performance et de pertinence des process. Intégrer ces derniers limite les coûts logistiques, et une bonne gestion et identification des approvisionnements permet d’être plus performants en ce qui concerne les consommations en énergie et dans le taux de carbone qu’il y aura sur toute la chaîne.

Coralium est à ce titre un projet unique en France. Ensuite, il y a également la volonté d’emmener avec nous des partenaires. Notre usine d’extrusion est dans l’est de la France, nous avons des partenaires qui sont dans l’ouest, notamment un chez qui nous sommes largement majoritaires, en tout cas présents en tant que client numéro 1. L’idée est d’inciter des acteurs industriels à nous accompagner, pour être en mesure de capter leurs volumes, et de se dire que ce projet de fonderie va servir notre groupe, mais également d’autres acteurs de la filière.

Quels sont vos objectifs en termes de volumes d’aluminium recyclés ?

A l’origine, le projet concernait 20 000 tonnes d’aluminium, ce qui couvrait nos besoins, mais au final nous avons doublé cet objectif, pour arriver à 40 000 tonnes. Cette augmentation de volume nous donne une capacité plus grande pour absorber cet investissement de 42 millions d’euros. Aussi, notre premier fournisseur aura accès à cette matière qui nous appartiendra, mais nous pourrons également le vendre à d’autres acteurs du marché. 

Les acteurs industriels qui font de l’extrusion d’aluminium génèrent 20% de chutes, ils ont donc tout intérêt à nous faire parvenir ces déchets, qui leur permettront de racheter des billettes localement, et d’abaisser le bilan carbone de leur activité.

Au final, le seul métier qui n’est pas intégré au cycle de vie de l’aluminium à travers le projet Coralium est la collecte du déchet ?

Absolument. Cela existe déjà. L’aluminium n’est jamais enfoui, il est recyclable à l’infini sans perte de ses propriétés mécaniques. Ce métier de la collecte existe déjà et il est performant, nous n’avons donc pas vocation à la casser, mais plutôt à s’appuyer sur les collecteurs, en étant une solution pour eux. Plutôt que de collecter ces déchets et d’aller les vendre en Espagne ou en Belgique, nous leur offrons une solution plus locale, ici en Vendée. J’insiste sur l’importance de mettre en place le recyclage de l’aluminium à une échelle locale. Aujourd’hui une entreprise qui ne raisonne pas sur les boucles fermées est un peu en dehors du temps. Dès que vous allez exporter les déchets aluminium, la traçabilité de l’aluminium devient très compliquée, il devient donc impossible de mettre en place une bouclé fermée de recyclage.

Est-ce que le fait que l’aluminium soit facilement recyclable est un facteur déterminant dans la mise en place d’une boucle de recyclage fermée ?

Très clairement, c’est beaucoup plus simple. Mais l’idée est aussi de le transformer vertueusement. Une billette qui sortira de l’usine coralium ne présentera aucune différence avec une billette qui serait issue d’aluminium primaire. 

Le recyclage de l’aluminium est aujourd’hui parfaitement maîtrisé, et cela est forcément rassurant pour les clients, puisque la qualité est la même. 

Techniquement, qu’avez-vous mis en place pour recycler l’aluminium de la manière la plus vertueuse possible ?

L’objectif est d’avoir la meilleure performance carbone pour ces billettes. Au niveau énergétique, nous utilisons du gaz car c’est la seule énergie disponible en quantité. Cela ne nous empêche pas de travailler sur d’autres solutions, notamment l’hydrogène. Nous voulons avoir le mode de production le plus économe en énergie. Il va donc y avoir tout un travail sur les machines, la conception, le recyclage de l’énergie, mais également la matière première que l’on va mettre dans les fours. En effet, il est fondamental d’alimenter nos fours avec un aluminium aussi brut que possible, afin de ne pas générer de déchets.

Pour cela, il nous faut maîtriser au maximum la composition de ce que l’on va mettre dans les fours. Aujourd’hui, sur des batchs de 25 à 30 tonnes qui sont aujourd’hui mis en fusion dans une fonderie traditionnelle, il y a deux étapes : d’abord le batch passe dans un premier four de fusion, puis dans un second, dit de maintien, pour préparer la coulée.

Dans ce second four, Nous allons prélever un échantillon pour l’analyser par spectrophotométrie. Cela va permettre de connaître la composition métallurgique de notre batch. Parfois, nous serons obligés de rajouter des composants, comme du silicium ou de l’aluminium, et parfois certains composants seront en trop grande quantité. La seule solution quand il y a des composants en trop grande quantité est de rajouter de l’aluminium primaire, qui lui est fortement chargé en carbone.

Ainsi, plus on maîtrise la composition de nos déchets aluminium, moins il faut ajouter d’aluminium primaire pour refaire de nouvelles billettes, et plus ces dernières sont décarbonées. 

Aussi, pour avoir une connaissance aiguë de la provenance de nos déchets, il nous faut accumuler le plus d’informations possible sur leur composition. Pour cela, au sein de l’usine Coralium seront installées des machines à rayons X automatisées, qui vont aller voir pour chaque déchet la composition de l’alliage, pour être en mesure d’enlever tous les alliages qui ne nous intéressent pas. Après ce tri, les déchets sélectionnés vont passer dans un four de délaquage à 400°C pour éliminer tous les résidus restants. A la sortie de cette chaîne de délaquage, on obtient un aluminium brut, dont on maîtrise quasi parfaitement la composition. Pour, in fine, avoir à rajouter le moins possible de matière primaire, et disposer de billettes d’aluminium les plus décarbonées possible. 

Le soutien financier du programme France 2030 a-t-il été déterminant pour finaliser le projet Coralium ?

Déterminant non, puisque le projet était déjà lancé sur un volume de 20 000 tonnes, sur l’aspect fonderie. Nous nous sommes dit que ce n’était pas suffisant et qu’il fallait intégrer la partie traitement du déchet, en intégrant les meilleures pratiques du moment, ce qui a fait augmenter fortement le budget. 

Sur ce, France 2030 est arrivé et nous a beaucoup aidé. Cela correspondait en plus à un moment où tous les matériaux, l’acier, le gros œuvre, subissaient une forte inflation. Aussi il y avait alors de très nombreux projets de fonderies à travers la planète, ce qui participait à une surinflation sur ce type de projet. En ce sens, France 2030 nous a permis d’absorber ce surcoût contextuel et de passer à un volume de traitement de 40 000 tonnes par an. Sans France 2030, nous serions probablement restés sur des objectifs à 20 000 tonnes. Le projet n’aurait pas été bloqué, mais conduit sur une échelle plus réduite, avec des machines moins performantes.

Pourquoi le développement d’une économie circulaire de l’aluminium, au vu de la relative simplicité de son recyclage, n’a pas été envisagé plus tôt par les acteurs industriels ?

C’est surtout le risque financier, avec un retour sur investissement sur du long terme, qui a longtemps freiné les ardeurs des acteurs industriels de l’aluminium. Après, il y a aussi un peu d’attentisme. En tant que leaders sur notre marché, au niveau français et même européen, nous ne pouvions pas attendre. Un leader doit donner l’exemple. Si son marché amont ne bouge pas suffisamment et ne lui apporte pas de solutions, c’est à lui d’y aller. Il fallait bouger les lignes et ne pas attendre que cela se fasse tout seul.

Propos recueillis par Pierre Thouverez


[1] Groupe Liébot

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