L' « effet cocktail » fait beaucoup parler de lui. Car en mélange, même à de faibles doses, des molécules peu ou pas toxiques prises isolément peuvent devenir nocives une fois associées. Dernier travail en date : des chercheurs français ont découvert un cocktail potentiellement toxique entre un pesticide et une hormone contenue dans les pilules contraceptives.
Trois équipes de recherche associant des chercheurs de l’Inserm et du CNRS à Montpellier ont découvert in vitro un mécanisme moléculaire qui pourrait jouer un rôle dans l’« effet cocktail ». Cette étude est publiée dans la revue Nature Communications.
Bien que très faiblement actifs lorsqu’ils sont pris indépendamment, l’éthinylestradiol, un œstrogène présent dans les pilules contraceptives, et l’insecticide trans-nonachlor, reconnu comme perturbateur endocrinien, ont la capacité de se fixer simultanément au récepteur des xénobiotiques (PXR) situé dans le noyau des cellules et l’activent de façon synergique.
« Les analyses à l’échelle moléculaire indiquent que les deux composés se lient coopérativement au récepteur, c’est-à-dire que la fixation du premier favorise la liaison du second, expliquent les chercheurs de l’Inserm et du CNRS dans un communiqué. Cette coopérativité est due à de fortes interactions au niveau du site de liaison du récepteur, de sorte que le mélange binaire induit un effet toxique à des concentrations largement plus faibles que les molécules individuelles.» Lors de ce travail, les chercheurs ont analysé une quarantaine de produits chimiques, deux par deux, soit 750 combinaisons possibles. Mais cet effet n’a été retrouvé qu’entre ces deux molécules.
Un effet cocktail qui peut faire des dégâts
Toute substance étrangère à notre organisme, ou xénobiotique, se fixe sur le récepteur PXR. Des enzymes et des transporteurs de détoxification cellulaire sont alors synthétisés pour éliminer ces molécules étrangères. « On pourrait penser que la liaison de l’éthinylestradiol et de l’insecticide trans-nonachlor est bénéfique pour l’organisme, puisqu’elle stimule la synthèse de protéines de détoxification cellulaire, confie William Bourguet, chercheur du Centre de biochimie structurale de l’université de Montpellier (CNRS/Inserm), et co-auteur de cette étude à Sciences et Avenir. Sauf que ces protéines peuvent détériorer toutes sortes de molécules de manière anarchique, et détruire des médicaments par exemple. C’est une vraie perturbation endocrinienne pour l’organisme ! ». Si le trans-nonachlor est interdit dans l’Union européenne depuis 1981, on le retrouve encore dans l’environnement et dans les tissus adipeux ; c’est un polluant organique persistant.
Ces résultats doivent désormais être vérifiés chez les animaux. « Si ces travaux sont confirmés in vivo, des retombées importantes sont attendues dans les domaines de la perturbation endocrinienne, la toxicologie et l’évaluation des risques liés à l’utilisation des produits chimiques », préviennent les deux instituts. Il y a sans doute d’autres mécanismes en jeu de la part des perturbateurs endocriniens. Ailleurs dans le monde, des équipes de chercheurs travaillent sur des récepteurs différents. À raison d’au moins 150 000 molécules qui pourraient avoir un impact en mélange sur 48 récepteurs différents, les chercheurs ont en effet du pain sur la planche ! En attendant, les équipes du CNRS et de l’Inserm projettent désormais de tester l’effet cocktail possible, deux par deux, parmi 1 600 médicaments couramment utilisés.
L’effet cocktail pourrait bientôt être prouvé scientifiquement à grande échelle. Les industriels de la chimie se contentant encore d’étudier l’effet toxique des molécules individuellement, sans se préoccuper de l’effet cocktail, doivent commencer à avoir des sueurs froides.
Par Matthieu Combe
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