Interview

Un vaccin à ARN messager sous la forme d’un comprimé en cours de développement

Posté le 26 août 2024
par Nicolas LOUIS
dans Innovations sectorielles

Deux laboratoires de recherche et un incubateur développent en ce moment une méthode inédite de stabilisation de l'ARN sous une forme sèche afin de faciliter son administration par voie orale et alléger la chaîne logistique de la vaccination. Entretien avec deux personnes impliquées dans ce projet.

En pleine crise sanitaire, les vaccins à ARN messager ont incontestablement été l’innovation médicale la plus marquante de cette période. Grâce à une large campagne de vaccination, ils ont permis de lutter efficacement contre la pandémie de Covid-19. Et si dans le futur, ce type de vaccins s’administrait à l’aide d’un simple comprimé ? C’est en tout cas le projet de l’I2M (Institut de mécanique et d’ingénierie) et de l’UTCBS (Unité de technologies chimiques et biologiques pour la santé). Ces deux laboratoires de recherche développent une méthode inédite de stabilisation de l’ARN sous une forme sèche afin de faciliter son administration par voie orale. Ils ont été rejoints dans leur projet par l’incubateur Nexbiome Therapeutics. Pierre Tchoreloff, professeur à l’I2M et Stanislas Desjonquères, fondateur et CEO de Nexbiome Therapeutics, nous parlent de leur technologie innovante en cours de développement.

Comment est né ce projet de développer un vaccin à ARN messager sous la forme d’un comprimé ?

Pierre Tchoreloff, professeur à l’I2M. Crédit : P. Tchoreloff

Pierre Tchoreloff : À l’origine, nos travaux ont débuté sur l’ARN interférent, car l’UTCBS était davantage spécialisé sur ce type de petits ARN. En 2017, au gré des discussions, nous nous sommes demandés pourquoi ne pas essayer de stabiliser ces systèmes sous une forme sèche. Cette idée était presque farfelue, car l’ARN est encapsulé dans un assemblage supramoléculaire de lipides très fragile. Personne n’avait donc travaillé sur ce concept qui paraissait un peu utopique, car il nécessite d’appliquer des contraintes de compression très fortes sur ces assemblages. Nous nous sommes tout de même lancés et nous avons réussi à faire la preuve de concept de la viabilité de cet ARN interférent sous la forme d’un comprimé in-vitro, c’est-à-dire sur des cultures de cellules, puis une autre preuve de concept a été réalisée sur un modèle animal.

Comment parvenez-vous à fabriquer ces comprimés ?

PT : Notre procédé se déroule en deux étapes. La première consiste à réaliser une lyophilisation pour déshydrater les vecteurs, c’est-à-dire les nanoparticules formées de lipides et contenant des acides nucléiques. Pour cela, nous utilisons des excipients qui permettent de maintenir l’activité biologique au cours de cette étape qui peut être traumatisante. Nous obtenons alors un cake de lyophilisation qui, une fois dispersé, donne une poudre.

La seconde étape consiste à comprimer cette poudre. Nous avons observé qu’elle possède des propriétés très singulières, puisque dans le cas d’une formulation classique, elle nécessite d’appliquer une pression de 100 à 300 Méga Pascals, alors qu’ici le système développé ne nécessite que 25 à 50 Méga Pascals. La poudre est ainsi peu sollicitée mécaniquement et subit peu de zones de déformation. Nos essais ont permis de montrer qu’on pouvait la comprimer sans perdre l’activité biologique.

Comment Nexbiome therapeutics intervient-il dans ce projet ?

Stanislas Desjonquères, fondateur et CEO de Nexbiome Therapeutics. Crédit : S. Desjonquères

Stanislas Desjonquères : Nous sommes un biotech studios et gérons un portefeuille de projets en santé humaine. Notre métier consiste à sourcer de nouveaux concepts développés par des laboratoires académiques puis à définir une feuille de route pour en faire des produits pharmaceutiques. Nous connaissions le travail de l’I2M et de l’UTCBS sur l’ARN inteférent sous une forme sèche et au moment de la pandémie de Covid-19 et l’avènement des vaccins à ARN messager, nous avons saisi cette opportunité pour poursuivre le développement de leur concept sur ce type d’ARN.

À quel stade de maturation technologique se trouve ce projet ?

SD : Nous avons fait la preuve de concept de l’ARN messager sous une forme de comprimé in-vitro, c’est-à-dire que nous avons démontré son intégration dans des cellules en culture et l’expression de la protéine d’intérêt. Une preuve de concept a également été réalisée sur un modèle animal, ayant pu montrer une réponse immunitaire systémique consécutive à l’expression de la protéine codée par la séquence d’ARN messager utilisé. Concernant l’expression de la protéine spike, la preuve de concept in vitro a également été réalisée avec succès, et à présent, nous sommes au stade de l’administration par voie buccale et débutons des tests sur des animaux, dont les résultats doivent intervenir à la fin de l’année. Toute l’économie du projet repose sur cette preuve positive, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi démontrer la stabilité du produit dans le temps à température ambiante, sans dégrader son efficacité. La date de péremption doit être au minimum de 10 à 12 mois et idéalement de 36 mois.

Quels sont les avantages d’un vaccin à ARN messager sous la forme d’un comprimé ?

PT : L’intérêt est de sortir ce type de vaccin de la chaîne du froid. Par exemple, les vaccins Pfizer nécessitent une logistique très contraignante, car ils doivent être conservés à -80 degrés. Ce mode de conservation est très compliqué à gérer, en particulier dans des pays moins développés que les nôtres et qui n’ont pas l’infrastructure pour gérer une telle logistique. Le vaccin que nous développons devra se conserver à température ambiante sur des mois, voire des années et pour l’instant, un tel produit pharmaceutique n’existe pas. Le mode d’administration est très simple, car il suffit de déposer le comprimé dans la cavité buccale et son hydratation provoque une libération de son contenu avec des cinétiques maîtrisées, puis la transcription de la séquence d’ARN messager dans l’organisme.

Quelles sont les perspectives en cas de succès ?

SD : Si l’on parvient à faire la preuve de concept sur l’animal et à démontrer la stabilité du produit dans le temps, les perspectives de valorisation sont très importantes. On parle beaucoup des vaccins, car c’est le seul ARN messager sur le marché qui a fait la preuve de son efficacité, mais ce n’est pas la seule voie de valorisation possible. Il y a un mouvement de fond pour utiliser des ARN de différentes tailles en R&D avec un potentiel thérapeutique très fort. Ces projets sont toujours limités par la forme finale du produit pharmaceutique et son mode d’administration. L’idée générale sera alors d’essayer d’intégrer suffisamment en amont notre technologie dans l’ensemble des projets ARN.


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