La plupart des systèmes réfrigérants fonctionnent avec des gaz fluorés et ont un impact négatif sur l’environnement. Depuis 2016, la start-up Leviathan Dynamics développe un procédé alternatif, totalement neutre pour la planète, puisqu’il utilise l’eau comme réfrigérant. Une performance rendue possible grâce à la technologie de compression mécanique de vapeur (CMV) et celle des compresseurs centrifuges à très haute vitesse permettant de concevoir des machines compactes. Ingénieur en mécanique de fluides et en énergétique, Karino Kang a créé cette entreprise avec son associé Alan Chauvin. Il nous présente le nouveau système réfrigérant développé par Leviathan Dynamics.
Techniques de l’Ingénieur : Présentez-nous la technologie développée pour votre start-up.
Karino Kang : Pour produire du froid, il est nécessaire d’évaporer un réfrigérant à basse température. Nous avons développé une technologie qui rend possible la Compression Mécanique de Vapeur (CMV) d’eau sous vide poussée en dessous de 50 millibars et qui nous permet d’évaporer l’eau à 15 ou à 7 degrés. Pour mettre au point ce procédé, nous avons dû lever un important verrou technologique car il entraîne la formation de vapeurs d’eau très légère. Face à cette contrainte, nous avons développé un compresseur capable de débiter un débit volumique très important, environ 200 fois plus élevé que ceux utilisés avec des gaz fluorés. Afin que ce compresseur reste compact, nous avons choisi de travailler avec la technologie des compresseurs centrifuges à très haute vitesse.
D’autres innovations ont-elles été nécessaires ?
Sur le cycle de la thermodynamique, nous avons développé un cycle à échange direct qui utilise l’eau comme réfrigérant. Ce système permet d’envoyer directement le réfrigérant aux endroits où il y a un besoin en froid et de procéder à son évaporation sur place. Sur des sites industriels avec des lieux de consommation éparpillés, ce type de cycle est peu utilisé avec des gaz fluorés, car cela nécessite de remplir les tuyauteries de réfrigérant et a pour conséquence d’en consommer énormément, car plus il y a de tuyaux et plus il y a de fuites. C’est pourquoi sur ces sites industriels, on utilise un cycle à échange indirect, c’est-à-dire que le froid est produit localement au niveau de la machine, puis transporté vers les lieux de consommation à l’aide d’un échangeur thermique et l’utilisation d’un fluide frigoporteur.
Grâce à notre cycle à échangeur direct qui utilise l’eau comme réfrigérant, les problèmes de fuites dans les tuyaux n’ont pas d’incidence. L’eau circule ainsi dans les tuyaux sans nécessité de placer un échangeur intermédiaire entre la machine et la boucle de circulation.
Quels sont les avantages et les applications de votre procédé ?
Le principal avantage est d’éviter l’utilisation de gaz fluorés. Il faut savoir que ceux actuellement utilisés font partie de la classe des HFC (hydrofluorocarbures) et que chaque kg utilisé représente des émissions de CO2 dans l’atmosphère d’environ 2 tonnes. L’eau est un réfrigérant abondant qui n’a aucun impact sur l’environnement, même en cas de purges ou de fuites dans les systèmes.
Ensuite, notre technologie présente une meilleure efficacité énergétique, de l’ordre de 30 % comparé aux gaz fluorés. Par contre, nous n’allons pas sur toutes les gammes de températures, car l’eau est un réfrigérant pertinent pour produire du froid à température positive, mais en-dessous de zéro degré, il gèle. Notre objectif est donc de produire du froid à 15 degrés pour des applications de refroidissement industrielles et à 7 degrés pour de la climatisation. Ces deux marchés représentent environ 80 % de l’utilisation du froid dans le monde.
Une autre application est également possible et concerne le domaine des pompes à chaleur, mais nécessite un couplage avec une autre technologie. On peut par exemple imaginer un couplage avec la technologie CO2, qui se révélerait être très pertinent dans des régions très froides comme celles situées dans le nord de l’Europe.
À quel stade de développement se trouve votre système ?
Notre technologie fonctionne, mais nous devons encore valider sa fiabilité et sa robustesse. À l’été 2022, nous allons installer un démonstrateur technologique sur un des sites d’Ariane Group. Nous sommes aussi à la recherche d’autres entreprises afin de tester et valider notre système dans des conditions climatiques différentes.
En attendant, nous commercialisons un appareil pour le traitement des effluents industriels. Il s’agit d’une autre application, qui n’est pas destinée à produire du froid, mais qui utilise le même procédé, celui de la CMV. Concrètement, nous procédons à l’évaporation d’effluents industriels qui contiennent plus de 90 % d’eau. Notre procédé permet de condenser l’eau et donc de la distiller de manière très efficace et d’entretenir l’évaporation de l’effluent en consommant peu d’énergie. Pour les industriels, notre solution est très intéressante, car elle leur permet de réduire les quantités d’effluents à éliminer. Nous recyclons en moyenne 90 % de l’eau et elle peut ensuite être recyclée et réutilisée dans les processus industriels. Cette application est plus mature, car l’écart de température nécessaire entre la partie froide du système et la partie chaude n’est que de 7 degrés et est donc facile à atteindre. Alors que dans le cas d’une machine produisant du froid, l’objectif est d’avoir une différence de température plus importante d’au minimum 15 degrés voire de 30 degrés et cet écart est plus difficile à atteindre.
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