Des enseignants-chercheurs de l’université de Strasbourg ont développé un procédé capable de fixer des ions métalliques dans les eaux usées, puis de les récupérer pour les transformer en métaux. Cette technologie vient de rentrer dans un programme de prématuration du CNRS.
Les métaux lourds (mercure, plomb, cadmium…) s’accumulent dans l’environnement et se révèlent toxiques pour les organismes vivants. Chez l’homme, ils peuvent provoquer de graves problèmes de santé, même à de très faibles niveaux de concentration. La réglementation européenne est très stricte quant à leur présence dans les effluents et surtout les eaux de consommation. Parallèlement, l’approvisionnement de certains de ces éléments métalliques (palladium, platine, ruthénium…) est devenu un enjeu stratégique pour les pays développés, surtout depuis la demande croissante liée aux nouvelles technologies. Des enseignants-chercheurs de l’Université de Strasbourg ont développé un nouveau procédé, baptisé Metallocapt, capable de fixer des ions métalliques, puis de les récupérer pour les transformer en métaux.
« Les procédés actuels sont basés sur des précipitations chimiques associées à des technologies énergivores, mais ne sont pas totalement performants, car il reste toujours des traces métalliques dans les eaux traitées, analyse Caroline Bertagnolli, maître de conférences à l’IUT Louis Pasteur et à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC). Ces faibles quantités sont dangereuses, car elles peuvent s’accumuler dans l’environnement. Elles peuvent aussi contenir des métaux précieux et les jeter représente une perte d’argent. »
Metallocapt est composé d’une mousse polymère, très fréquemment employée notamment dans la fabrication de sièges, de matelas, d’habitacles de voiture… Elle présente l’avantage d’être peu onéreuse, robuste et flexible grâce ses propriétés viscoélastiques. Cette mousse se révèle aussi chimiquement très stable dans l’eau et grâce à ses larges pores, il est possible de faire passer un flux en continu au travers sans perte de charge importante. Un point important qui signifie qu’il n’est pas nécessaire d’imposer une forte pression à ce matériau pour faire passer un liquide au travers.
Metallocapt s’inspire d’un phénomène chimique observé chez les moules
Cette mousse polymère n’a pas de propriété de filtration des métaux, mais sert de support à un revêtement qui, lui, est capable d’adsorber les ions métalliques et dont l’origine est biosourcée. Ce revêtement a été conçu à partir de travaux de recherche menés par des scientifiques américains en 2007. Ces derniers ont étudié la capacité des moules à adhérer à presque tous les types de matériaux (rochers, coques de bateaux, morceaux de bois, algues…) et de manière extrêmement robuste. Ils ont alors mis en évidence que le phénomène chimique en jeu était proche de celui rencontré lors de l’oxydation des polyphénols. L’équipe américaine a ensuite démontré que la dissolution de dopamine dans une solution contenant de l’eau provoquait la formation d’un film de polyphénols plus ou moins noir à la surface de tous les matériaux plongés dans cette solution, et même sur le contenant. Ce même phénomène peut s’observer avec du thé qui laisse des traces noirâtres sur une tasse. Ou lorsqu’on croque une pomme et que l’on voit apparaître des taches orangées sur sa chair laissée à l’air libre.
« Nous avons testé la dopamine avec la mousse polymère et avons observé la formation d’un film noir à sa surface, et même à l’intérieur, explique Loïc Jierry, orofesseur à l’École Européenne de Chimie Polymères et Matériaux (ECPM) et à l’Institut Charles Sadron (ICS). Nos travaux de recherche ont démontré sa capacité à adsorber très fortement certains ions métalliques. Le caractère compressible des mousses permet en plus d’augmenter la surface spécifique d’adsorption pour un volume donné. Les groupements catéchols impliqués sont parmi les meilleurs ligands biologiques pour fixer des métaux. »
En plongeant la mousse revêtue de ce film dans une solution contenant plusieurs métaux lourds, les scientifiques ont réalisé la preuve de concept de sa capacité à piéger pratiquement tout le plomb et le cuivre présent. Autre atout : cette propriété se conserve lorsque l’on fait passer un flux en continu au travers du dispositif. Le système se révèle par ailleurs réversible, c’est-à-dire qu’il est possible de désorber les ions métalliques pour les récupérer. Pour cela, il suffit d’utiliser une solution acide et le changement de pH entraîne la libération des ions.
Une sélectivité démontrée sur le plomb et le cuivre
« Grâce à ce revêtement en polydopamine, nous observons une sélectivité sur le plomb et le cuivre, poursuit Loïc Jierry. Nous avons bon espoir qu’en utilisant d’autres types de polyphénols, nous réussissions à fixer d’autres métaux lourds. Si nous n’y parvenons pas, il sera possible de greffer d’autres composés sur les polyphénols, qui permettront de fixer d’autres types d’ions comme le cadmium et le platine. Par contre, cela augmentera le prix de notre procédé alors que jusqu’ici, nous travaillons avec des mousses et des polyphénols qui ne coûtent presque rien. »
Cette technologie vient de rentrer dans un programme de prématuration du CNRS dont l’objectif est de soutenir les premières étapes de développement d’une technologie en vue de son transfert vers l’industrie. Deux types d’entreprises devraient être intéressés par ce procédé. Celles qui rejettent des solutions potentiellement dangereuses et qui ont l’obligation de respecter des seuils maximum dans leurs effluents. En cas de dépassement, elles doivent alors s’acquitter de taxes. Les stations d’épuration devraient, elles aussi, être intéressées par cette innovation. Le procédé Metallocapt pourrait les aider à respecter des seuils maximum en éléments métalliques à ne pas dépasser dans les boues d’épuration afin de les épandre dans les champs. Car lorsque ces seuils sont dépassés, ces boues sont considérées comme des déchets ultimes et l’épandage est interdit. Il convient alors de les enfouir, ce qui entraîne des coûts supplémentaires, en plus de la difficulté à libérer de l’espace sous terre. « D’autres types d’entreprises devraient être attirés par notre procédé, ajoute Caroline Bertagnolli. Ce sont toutes celles à la recherche de métaux précieux, à l’image du platine, un métal devenu très cher. Le fait que Metallocapt soit capable de régénérer les métaux correspondant aux ions capturés devrait être un atout important de notre technologie. »
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